MADRID — Lors du sommet européen de Copenhague, le dirigeant socialiste s’est efforcé de projeter l’image d’un allié fiable pour la sécurité du continent. Mais sa position est brouillée depuis juin, lorsqu’il a semé le trouble au sommet de l’OTAN à La Haye en refusant d’approuver la nouvelle cible soutenue par Washington : consacrer 5 % du PIB national à la sécurité d’ici 2035, dont 3,5 % à la défense stricte et 1,5 % aux dépenses connexes comme la cybersécurité ou les infrastructures.
Pedro Sánchez a alors affirmé à ses homologues : « 2,1 %, ni plus ni moins », estimant que ce niveau suffirait pour respecter les objectifs de l’Alliance en matière de capacités. Madrid a ensuite assuré avoir obtenu une concession du secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, pour appliquer cette cible de façon flexible.
Mais la confusion a régné par la suite, car le communiqué de l’OTAN après le sommet de juin engageait les 32 pays membres, Espagne comprise, à accroître leurs dépenses.
Une comptabilité créative
L’Espagne reste aujourd’hui le pays le moins dépensier de l’Alliance, avec un budget de défense représentant à peine 1,43 % du PIB en 2024. L’OTAN prévoit une hausse à 2 % d’ici fin 2025 — soit environ 33 milliards d’euros —, mais ce chiffre demeurera bien inférieur aux nouveaux objectifs fixés.
Pour plusieurs experts, la trajectoire présentée par le gouvernement Sánchez est intenable. « Ce n’est pas possible », tranche le colonel à la retraite Alfredo Rodríguez, professeur en relations internationales à l’Université Camilo José Cela.
Sur la base de conversations avec des hauts responsables militaires, il affirme que l’Espagne ne peut pas moderniser ses forces armées sans augmenter ses dépenses à au moins 3 % du PIB.
Pour lui, « Sánchez ne respectera pas » l’objectif de 3,5 % fixé par l’OTAN pour la défense stricte. « Nous ne sommes pas un partenaire fiable », conclut-il.
La ministre de la Défense Margarita Robles elle-même s’est montrée prudente lorsqu’on lui a demandé si l’Espagne s’en tiendrait à 2,1 % pour la prochaine décennie. « Nous devons voir quels objectifs l’Alliance nous fixera », a-t-elle déclaré à la télévision durant l’été.
En avril, Pedro Sánchez a annoncé un « plan industriel de défense et de sécurité » de 10,47 milliards d’euros destiné à augmenter les dépenses sans « compromettre l’État providence espagnol ». Seuls 19 % des fonds sont destinés à l’achat d’armes, la majeure partie étant consacrée à la recherche et au développement via le ministère de l’Industrie.
Plus de 7,3 milliards d’euros de prêts à taux zéro ont déjà été alloués à de grands entrepreneurs, notamment Indra, Navantia et les filiales d’Airbus. Selon un modèle datant des années 1990, le ministère de l’Industrie fournit les fonds à l’avance et les entreprises remboursent les prêts sur 20 ans une fois les produits livrés au ministère de la Défense.
Les analystes avertissent que cette approche risque de se retourner contre l’Espagne. « Alors que l’Espagne se précipite pour atteindre les 2 %, la méthodologie de calcul de l’OTAN pourrait ne pas inclure les dépenses acheminées par d’autres ministères », a confié Félix Arteaga, de l’Institut royal Elcano, à Euractiv.
Certains affirment également que ce système masque les véritables dépenses de défense. Un rapport du Centre Delás pour les études sur la paix de Barcelone le décrit comme un moyen de « dissimuler le coût réel de la défense à l’opinion publique tout en augmentant les contributions de l’État à la R&D ».
Opposition du partenaire de coalition
Au niveau national, Pedro Sánchez est limité par une coalition politique fragile. La stabilité de son gouvernement dépend de son partenaire de coalition, le parti de gauche Sumar, qui s’oppose fermement au réarmement. Les engagements pris auprès de l’OTAN risquent de devenir un handicap politique s’ils sont perçus comme une capitulation devant Washington ou Bruxelles.
« Quiconque dit que nous dépensons pour la défense perd des voix », résume l’ancien colonel Rodríguez.
La sensibilisation du public à la sécurité est depuis longtemps faible, note pour sa part José Luis Pontijas, ancien colonel et professeur de géopolitique à l’Université Carlos III de Madrid. « Le débat sur la défense a été banalisé pendant des décennies, présenté comme une préoccupation de l’establishment militaire conservateur. »
Ce tabou politique a contribué à maintenir les forces armées espagnoles chroniquement sous-financées. Et si Pedro Sánchez se montre volontiers pro-européen sur la scène internationale, il reste, chez lui, prisonnier d’un débat où la défense demeure, pour l’heure, une question secondaire.
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