Tomahawk Block IV cruise missile during a flight test (US Navy)
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie)
L’éventuelle livraison de missiles de croisière Tomahawk à l’Ukraine ne représenterait pas un tournant stratégique, mais un multiplicateur d’une dynamique déjà à l’œuvre : la “syrianisation” progressive du conflit. Ce terme désigne une guerre qui s’auto-alimente, où la multiplicité des acteurs et de leurs agendas empêche tout compromis politique.
La spirale d’un conflit sans centre
Une guerre se “syrianise” lorsqu’elle devient une arène ouverte aux puissances extérieures, chacune poursuivant ses propres objectifs. En Syrie, depuis 2011, aucun acteur n’a pu imposer de solution car tous défendaient des buts incompatibles : changement de régime pour certains, survie du régime pour d’autres, lutte contre le terrorisme pour d’autres encore. Cette fragmentation a transformé le conflit en un jeu à somme nulle, où chaque avancée de l’un équivalait à une perte inacceptable pour l’autre.
L’Ukraine est entrée dans le même schéma : Washington, Moscou, Bruxelles, Varsovie, Londres, Ankara, Pékin, tous agissent mus par des intérêts divergents et souvent inconciliables. L’apport extérieur de ressources – armes, financements, renseignement – a neutralisé le mécanisme d’épuisement naturel qui, autrefois, finissait par éteindre les guerres.
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Le faux mythe de la supériorité technologique
La livraison de Tomahawk ne modifiera pas le rapport de force de fond. La Russie a absorbé des années d’attaques de missiles, a renforcé sa défense aérienne et, surtout, a élargi son réservoir de recrutement avec des centaines de milliers d’hommes. La supériorité technologique d’un système d’arme isolé ne suffit pas à inverser le cours d’un conflit qui se joue désormais sur le volume de feu et la profondeur des réserves industrielles.
Ces trois dernières années, Kiev a reçu l’essentiel de l’arsenal occidental : des missiles longue portée tels que Himars et Storm Shadow, des chars Abrams et Leopard, des systèmes Patriot et même des F-16. Chaque nouvelle livraison a nourri l’escalade, mais n’a ni empêché l’érosion progressive du territoire ukrainien, ni contraint Moscou à réduire ses ambitions.
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Causes génératives et causes cinétiques
Pour comprendre pourquoi la guerre ne s’éteint pas, il faut distinguer les causes qui en ont provoqué l’éclatement – les “causes génératives” – et celles qui l’entretiennent aujourd’hui – les “causes cinétiques”. La première, comme l’a rappelé Jens Stoltenberg en 2023 devant le Parlement européen, fut la question de l’expansion de l’OTAN à l’Est, perçue par Moscou comme une menace existentielle.
Mais une fois le conflit déclenché, d’autres forces motrices sont entrées en jeu : l’élargissement de l’OTAN à la Finlande, la perspective de produire des missiles longue portée en Ukraine, les flux continus d’armements, les attentes territoriales grandissantes des deux camps. Même si la question de l’adhésion de Kiev à l’Alliance atlantique était réglée aujourd’hui, la guerre ne cesserait pas : les causes cinétiques ont acquis leur propre autonomie et alimentent une spirale qui dépasse le motif initial de l’affrontement.
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Risques stratégiques et perspectives
Les Tomahawk risquent donc d’inciter Moscou à reconsidérer ses lignes opérationnelles, en envisageant une pression directe sur Kiev par le front nord via la Biélorussie. L’augmentation du volume de feu ukrainien entraîne presque mécaniquement une riposte symétrique russe : plus l’offensive de Kiev s’intensifie, plus la contre-offensive de Moscou s’amplifie.
La perspective est celle d’un conflit qui se chronicise, toujours plus destructeur pour l’Ukraine elle-même et susceptible de redéfinir les frontières du pays avec des exigences territoriales russes toujours plus étendues. Jusqu’ici, la logique des livraisons d’armes occidentales a eu pour effet de prolonger la guerre plutôt que d’en abréger la durée.
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L’illusion qu’un nouveau système d’armes puisse changer le destin du conflit est démentie par les faits. En l’absence d’un accord politique global, chaque nouvel envoi d’armements devient le carburant d’une guerre qui a déjà pris les traits structurels du conflit syrien : fragmentation des objectifs, radicalisation des positions, dépendance aux flux extérieurs de ressources.
L’Ukraine est piégée dans cette logique et les Tomahawk, loin de représenter un tournant, en sont simplement la nouvelle confirmation. Tant que le conflit restera prisonnier de ses causes cinétiques, chaque escalade ne sera qu’une étape supplémentaire vers une guerre sans issue.
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