Sur le devant de la scène, la gloire et les paillettes. De l’autre côté du rideau, l’effort toujours, la solitude souvent, le désespoir parfois… Fayza Lamari, la mère de Kylian Mbappé et Céline Bonnet, celle de Léon Marchand, ont raconté leur vie autour de leur fils, l’un star planétaire du foot, l’autre de la natation, ce mardi 7 octobre en début de soirée, lors de la table ronde « Mères de champions ».
Lors de cet échange, qui concluait le colloque de la quatrième édition de « Demain le monde » organisé par Radio France, l’Équipe et France Télévisions à la Maison de la Radio (Paris XVIe), les deux femmes ont laissé entrevoir la réalité à deux faces d’une existence sous les feux des projecteurs.
« Nous ne sommes pas préparées à devenir des personnalités publiques »
« Notre premier contact date d’avant les JO de Paris 2024, raconte Céline. J’ai appelé Fayza que j’admirais pour lui demander comment elle vivait la célébrité de Kylian. Nous avons discuté une heure et demie. » Quelques mois plus tard, Léon Marchand devenait quadruple champion olympique. « Bien sûr, je les ai mis en garde, souligne Fayza. Tout en évoquant les choses positives qui allaient arriver. Nous ne sommes pas préparées à devenir des personnalités publiques. »
D’abord, les jeunes années, les prouesses sportives des débuts, l’ascension… « Quand Kylian avait 6 ans, il était un peu différent, rêveur, se souvient Fayza. Il a fait un tournoi et j’ai vu qu’il n’était pas comme les autres. Je lui ai rajouté de la musique et du théâtre car il détestait ça et que je voulais justement qu’il voie autre chose. Avec son père, nous avons été stricts jusqu’à ce qu’il parte de la maison à 14 ans pour aller au centre de formation de Monaco. La culture de l’effort est indispensable. »
Céline, elle, ne se souvient pas avoir vu dans son fils un futur champion très tôt. « On lui a appris à nager et il s’est mis à le faire tous les jours, précise la maman, ancienne championne de natation comme son mari Xavier Marchand. On ne l’a pas trop poussé. Il nageait très bien, mais à aucun moment on ne s’est dit que ça le mènerait au plus haut niveau. Nous sommes intervenus pas mal au début pour l’orienter, pour le guider. »
Les points communs sont légion. Les deux garçons sont réfléchis, sérieux et avertis. « Léon a une intelligence de course, des stratégies qu’il met en place, avance Céline. Il est très matheux. Son entraîneur dit qu’il est toujours investi, tout le temps. Il se lève à 5 heures, nage 4 heures par jour six jours sur sept. Il n’est bien que dans l’eau mais il sait aussi prendre du recul parfois. »
« Quand je l’ai vu descendre les Champs-Élysées, j’ai su qu’il m’échappait »
Ce que Fayza a vite perçu chez Kylian. « Il est pareil, beaucoup plus à l’aise sur un terrain qu’en dehors, dit-elle. D’ailleurs, en dehors du terrain, il n’a pas de vie mais c’est celle qu’il a choisie. J’ai toujours dissocié sa carrière sportive et l’homme qu’il devient. C’est là qu’il m’impressionne : sa capacité à faire son plan de saison, comment gérer les temps forts les temps faibles. »
L’un a quitté le foyer familial à 14 ans, l’autre à 19 ans. Les mamans se sont consolées dans la certitude qu’ils vivaient leur rêve. Jusqu’au « tsunami ». En deux temps pour Kylian, avec son transfert de Monaco au PSG, en 2017, puis le titre de champion du monde en 2018. D’un seul coup pour Léon, avec ses quatre médailles d’or aux JO de Paris 2024.
« Lors de la Coupe du monde 2018, j’étais toute seule chez moi, se souvient Fayza. Quand je l’ai vu descendre les Champs-Élysées, j’ai su qu’il m’échappait. Je l’appelais Justin Bieber car je suis passée directement de Bondy au Royal Monceau (hôtel de luxe parisien). J’avais l’impression que nous étions les Tuche. »
« J’ai très mal vécu la surmédiatisation », lâche Céline. « Moi aussi, ajoute Fayza. Kylian à Paris, c’était une loupe grossissante sur les défauts, il n’y avait plus d’humain. J’ai eu des pics très bas. Aujourd’hui, nous avons très peu de moments pour nous. »
« Même marcher dans la rue, il ne peut plus »
Le revers de la médaille est lourd à porter. « Je suis passée par tous les états, surenchérit Fayza. J’ai eu une discussion avec lui l’année dernière, alors que ça n’allait pas trop bien. Je lui ai demandé s’il ne voulait pas avoir une petite copine. Il m’a répondu : tu vois une femme dans ce bourbier ? Il lui est arrivé de faire des tours de périphériques dans une 206 juste pour voir ce que cela faisait. Même marcher dans la rue, il ne peut plus. Cela m’attriste. »
Léon Marchand est un peu plus épargné mais « il ne rentre plus en France, il reste aux États-Unis et c’est nous qui allons le voir quand nous pouvons. C’est cher payé », glisse Céline.
« Oui, c’est cher payé, embraye Fayza. Au moment de la Suède (affaire classée sans suite après une plainte pour viol à Stockholm en octobre 2024), je partais avec 35 copines sur une île, pour fêter mes 50 ans. En quelques mois j’ai pris 12 kg. J’étais blessée. J’avais confiance en Kylian mais je lui ai demandé : est-ce que tu l’as fait ? Il m’a répondu : tu as fini tes délires ? C’est le seul déplacement que l’on n’a pas organisé et on en a payé les conséquences… »
Une place à trouver pour les petits frères
Autre difficulté, laisser grandir le petit frère, Oscar pour Léon, Ethan pour Kylian, dans l’ombre de ces géants. « Cela a été difficile pour Oscar, raconte Céline. Quand son frère est parti, on a pris un chien mais ça ne remplace pas (sourires)… Il y a eu quelques soucis. Aujourd’hui, c’est mieux. Mais Léon prend énormément de place. Je ne pouvais pas dire à Oscar qu’il était moins fort. Il a voulu nager, il faisait n’importe quoi. Il arrive à contrôler ses émotions aujourd’hui. »
Fayza a connu des soucis similaires : « Ethan était un grand prématuré, souligne-t-elle. Il a huit ans de moins que Kylian et il est arrivé à 10 ans au PSG. Du jour au lendemain, nous sommes devenus riches. Ethan ne faisait rien, il se la racontait, il laissait faire les choses. Je lui ai dit que son nom était déjà pris, mais pas son prénom. Ce qui me ravit aujourd’hui, c’est de le voir heureux comme dimanche à Lille quand il a marqué devant le PSG (1-1) sous les yeux de son frère. Les deux s’entendent au-delà du sport. »
« Comme Léon et Oscar, enchaîne Céline. Ils s’entendent aussi. Ils font front tous les deux (rires). » Le meilleur remède contre la solitude.