La guerre en Ukraine a placé les pions de Moscou et Pékin plus proches que jamais sur l’échiquier géopolitique. Les deux voisins, liés idéologiquement par leur défiance à l’égard des États-Unis, ont aussi vu leurs économies se rapprocher depuis 2022. Ainsi, les importations et exportations combinées de la Chine avec la Russie ont atteint environ 240 milliards d’euros en 2024, en hausse d’environ 2 % par rapport aux 235,3 milliards d’euros enregistrés en 2023, d’après des chiffres officiels des douanes chinoises, rapportait l’AFP en janvier, repris par GEO.
La raison en est simple : privée (partiellement du moins) de ses fournisseurs de biens et de ses acheteurs de pétrole occidentaux, la Russie s’est tournée vers l’Est. Son mouvement vers la Chine pourrait encore s’accentuer, après l’annonce récente de Donald Trump d’une augmentation de 25 % des droits de douane pour l’Inde, autre grand acheteur asiatique de pétrole russe.
La Chine, si elle réfute en bloc les accusations selon lesquelles elle fournirait des systèmes à des fins militaires à la Russie, ne se positionne pas pour autant aux côtés de l’Ukraine. Une peine, pour Kiev, car Pékin pourrait précipiter la reddition de Vladimir Poutine, sans même avoir à envoyer des soldats sur le sol ukrainien, ou à risquer des vies russes, selon The Insider. C’est en fait le champ économique qui pourrait faire plier le champ militaire.
Des composants chinois essentiels pour Moscou
Pour faire fonctionner son arsenal de guerre et relever le challenge de la technologisation des combats emmenée par les drones ukrainiens, la Russie est largement dépendante d’éléments de base. Or, ces composants viennent en grande partie de Chine, et la Russie, bien que théoriquement capable de produire ces éléments, n’a ni le temps ni les moyens d’en internaliser la fabrication rapidement. La mise en place d’une ligne de production peut prendre un an, voire plus, et il est quasiment impossible de compenser en parallèle la perte de plusieurs approvisionnements clés.
Résultat : le moindre goulot d’étranglement peut geler une chaîne de production entière pendant des mois. Et selon plusieurs enquêtes rapportées par The Insider, ce sont précisément ces maillons faibles, discrets mais essentiels, que Pékin continue de fournir en silence. On compte parmi eux :
La diphénylamine, un stabilisant chimique indispensable à la fabrication de poudres sans fumée, qui provient pour moitié de Chine. Sans elle, les munitions deviennent instables et inutilisables.Les antennes anti-brouillage, complexes et capables de contrer la guerre électronique ukrainienne, sont également importées de Chine, offrant un œil électronique crucial aux drones russes.Les moteurs électriques pour drones FPV, dont la Russie importe pour plus de 100 millions de dollars par an, sont introuvables ailleurs à une telle échelle. La Chine est le seul pays capable de produire ces moteurs en masse.La fibre de carbone, indispensable pour alléger les drones et prolonger leur autonomie, est elle aussi largement fournie par Pékin.La fibre optique, utilisée notamment pour les liaisons sécurisées des drones en plein champ de bataille, dépend totalement des importations chinoises. Un site de production en Russie ayant été endommagé par une frappe ukrainienne, cette dépendance s’est encore accrue.
La liste pourrait encore être longue, et explique à elle seule l’influence immense de la Chine sur les capacités offensives de la Russie.
Entre Chine et Russie, un interdépendance bilatéral
Pour autant, il est peu probable que Pékin décide de couper les vivres à Moscou, la Chine ayant quelques intérêts économiques à soutenir son grand voisin. Ainsi, l’Empire du Milieu demeure le plus grand acheteur de pétrole russe, avec environ 2 millions de barils par jour, devant l’Inde et la Turquie, indiquait Reuters fin juillet (Zone Bourse).
La Russie est également “devenue le principal fournisseur de gaz naturel de la Chine”, a déclaré Vladimir Poutine en janvier (Interfax). Le gazoduc Power of Siberia aurait ainsi atteint son objectif annuel de 38 milliards de mètres cubes livrés dès le 1er décembre 2024, soit un mois avant l’échéance initiale. Le projet d’un Power of Siberia 2 reste pour sa part encore flou.
Les nombres sont tout aussi parlants dans le secteur automobile : en 2024, la Chine a exporté plus d’un million de véhicules vers la Russie, soit sept fois plus qu’en 2022, indiquait en mars Business Insider. Cette croissance fulgurante place la Russie comme premier marché d’exportation pour les constructeurs chinois, représentant environ 30 % des exportations automobiles chinoises.
Si la Russie est dépendante de la Chine pour sa guerre, Pékin compte aussi largement sur les ressources fossiles de Moscou, et sur son marché de consommateur. L’Empire du Milieu semble donc jouer la montre : en évitant de s’aligner pleinement sur son voisin tout en maintenant une coopération économique étroite, elle préserve sa liberté d’action et son influence.
Article initialement publié le 6 août.