Dans la nuit de samedi à dimanche, l’Europe repasse à l’heure d’hiver. Près de cinquante ans après son introduction, le changement d’heure continue de diviser. Malgré les promesses de Bruxelles et les appels répétés de pays comme l’Espagne, les Vingt-Sept n’ont toujours pas réussi à s’accorder pour y mettre fin.
Le rituel semestriel du changement d’heure mis en place dans les années 1970 pour réaliser des économies d’énergie en pleine crise pétrolière divise toujours l’Europe. L’Espagne vient d’ailleurs de redemander sa suppression. Le président du gouvernement Pedro Sánchez a publié lundi dernier une vidéo en ce sens, dénonçant un système inutile et néfaste pour la santé.
“Franchement, je ne vois plus l’intérêt. Dans tous les sondages réalisés auprès des Espagnols et des Européens, une majorité d’entre eux se prononcent contre le changement d’heure. De plus, la science nous dit que cela ne permet plus de réaliser des économies d’énergie. Ce que la science nous dit, c’est que cela perturbe les rythmes biologiques deux fois par an”, rappelle notamment Pedro Sánchez, rappelant que le Parlement européen avait voté il y a six ans pour y mettre fin.
Abandon sans cesse repoussé
L’idée d’en finir avec le changement d’heure n’est pas nouvelle. La Commission européenne avait proposé dès 2018 de l’abolir à la suite d’une vaste consultation à travers l’Europe. Quelque 84% des participants, soit près de 4 millions de personnes, s’étaient prononcées pour mettre fin à cet usage, puis le Parlement avait donné son feu vert. Le dernier passage à l’heure d’été aurait dû avoir lieu le 31 mars 2019, chaque pays restant ensuite libre de choisir l’heure d’été ou l’heure d’hiver.
Mais la mesure n’a jamais été mise en place, faute d’accord entre les Vingt-Sept. La date butoir a d’abord été repoussée au dernier dimanche d’octobre 2021. Brexit, Covid et Ukraine ont ensuite relégué le sujet au fond des tiroirs. A tel point que Bruxelles envisageait récemment de retirer la proposition, avant que l’Espagne ne la relance.
Chaos potentiel
Pourquoi un tel blocage? Parce qu’en sortir est plus compliqué qu’il n’y paraît. L’UE n’a aucune autre prérogative que de fixer une date commune pour le changement d’heure en mars et en octobre. Pour le reste, chaque gouvernement peut décider du fuseau horaire qu’il choisit. Et c’est là que le bât blesse.
Géographiquement, le Bénélux, la France et l’Espagne devraient en principe partager le même fuseau horaire que Londres ou Lisbonne. Mais en 1940, le Troisième Reich a imposé l’heure de Berlin aux pays conquis, et l’Espagne s’est alignée. Après la guerre, la plupart ont conservé l’heure allemande, la France préférant parler, par euphémisme, de “nouvelle heure”.
Aujourd’hui, l’opinion publique dans chaque pays diverge: l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Pologne préféreraient rester à l’heure d’hiver, tandis que la France, l’Italie et l’Espagne voudraient conserver l’heure d’été. Résultat: un chaos potentiel si chacun faisait bande à part. Sans compter que pour des pays situés au cœur du continent, comme la Suisse [lire encadré] ou la Belgique, pris en étau entre des voisins sur des fuseaux horaires différents, ce serait un véritable casse-tête économique et logistique.
>> Voir le sujet du 19h30 sur l’heure d’hiver :
Passage à l’heure d’hiver: appel à la prudence sur les routes / 19h30 / 2 min. / hier à 19:30 Engrenage compliqué
Le changement d’heure n’est pas né d’hier. Pendant la Première Guerre mondiale, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et la France ont adopté l’heure d’été pour des raisons d’économie d’énergie, et notamment de charbon. En France, la situation avait même viré à l’absurde: l’Hexagone avait gardé ces changements d’heure jusqu’en 1945, mais à la suite de l’invasion allemande, la zone libre et la zone occupée n’ont plus eu la même heure pendant quelques années.
Après le choc pétrolier des années 1970, l’Europe remet ça, mais dans le plus grand désordre. A tel point que la loi européenne de 1980 ne donnait que la date du passage à l’heure d’été en mars. Il a fallu attendre 1994 pour que tous les pays passent à l’heure d’hiver à la même date en octobre.
Quarante-cinq ans plus tard, le constat est partagé: les changements d’heures ne sont plus synonymes d’économie d’énergie et ne sont pas bénéfiques pour la santé. Mais les gouvernements ont peur de remettre le doigt dans un engrenage compliqué.
Certains relativisent même, se disant que la situation pourrait être pire: l’Europe n’est en effet pas dans la position des Etats-Unis ou du Canada, où ce sont les municipalités elles-mêmes qui décident de leur fuseau horaire.
Sujet radio: Pierre Benazet
Texte pour le web: Fabien Grenon