« Oiseau de tempête » : en langue russe, le « Bourevestnik » a un nom presque poétique. Son surnom « Tchernobyl volant », a en revanche de quoi faire trembler l’Europe entière. Ce nouveau missile de croisière, dont l’essai final a été réussi ce dimanche, pourrait bientôt effrayer l’Ukraine, la Pologne, l’Allemagne… Mais pas que.

Après avoir parcouru 14 000 km en 15 heures lors de son dernier essai, selon Moscou, le « Bourevestnik » devrait revendiquer une portée « illimitée » estime Héloïse Fayet, spécialiste du nucléaire au centre de réflexion français IFRI. Histoire de menacer n’importe quel pays qui se mettrait en travers de ses ambitions. Mais comment ça marche ?

Indétectable mais lent

Cette arme, qualifiée d’« unique » par Vladimir Poutine ce dimanche, utilise un réacteur nucléaire contrairement aux missiles classiques exclusivement propulsés par des carburants chimiques. « L’air ambiant y est chauffé par le cœur du réacteur, puis expulsé à grande vitesse pour générer la poussée », estime Amaury Dufay, chercheur au centre IESD à Lyon et spécialiste de la propulsion nucléaire.

« Cela permet d’allonger considérablement le temps de vol et la portée », explique-t-il à l’AFP, « c’est un peu comme si vous aviez un moteur de voiture qui consomme beaucoup moins de litres aux 100 km ». Mais en plus de voler longtemps, il est surtout indétectable grâce à une altitude de vol comprise entre 15 et 200 mètres.

VidéoPourquoi le nouveau missile à propulsion nucléaire russe inquiète les États-Unis

On peut, par exemple, imaginer le faire « décoller de Russie, faire un détour par l’Amérique du Sud et attaquer l’Amérique du Nord par le Sud, par des côtés qui pourraient être moins défendus par les défenses antimissiles américaines ». En revanche, il est relativement lent, à une vitesse subsonique, et « a priori sa capacité de manœuvre et d’évitement est limitée par sa lenteur », estime Héloïse Fayet.

Selon le chef de l’État-major russe Valéri Guérassimov, « les caractéristiques techniques du Bourevestnik permettent de l’utiliser avec une précision garantie contre des sites hautement protégés situés à n’importe quelle distance ».

Avec sa propulsion nucléaire, la question se pose sur la radioactivité du missile. S’il touche une cible ou est intercepté, qu’il porte une charge nucléaire ou conventionnelle, la contamination est inévitable. Il semble en revanche que le test n’ait pas provoqué de contamination détectable. « L’agence norvégienne de surveillance de la radioactivité n’a rien détecté alors que le test est passé dans sa zone de détection. De même, les stations du TICE (le traité d’interdiction des essais nucléaires, NDLR) n’ont rien détecté non plus. Donc a priori, le missile en lui-même n’a pas de dimension radioactive », explique Héloïse Fayet.

« Une arme de déstabilisation »

Pour autant, l’essai final annoncé ce dimanche était surtout géopolitique, en réponse au renforcement des systèmes de défense antimissile, en particulier les États-Unis et leur projet de Golden Dome. « Le Golden Dome américain et les projets de développement de défense antimissile en général sont parmi les principaux moteurs » du projet, explique sur X l’analyste russe spécialiste des questions nucléaires Dmitry Stefanovich.

À l’heure actuelle, l’impact stratégique reste limité. « Le missile n’est pas opérationnel, il n’y a pour l’instant aucune infrastructure de déploiement dans les forces, pas de doctrine d’emploi », explique Héloïse Fayet. « Il est nécessaire de déterminer (ses) possibilités d’application et de commencer à préparer l’infrastructure nécessaire », a déclaré Vladimir Poutine à son sujet.

« Je pense qu’il faut voir cela comme une tentative de Vladimir Poutine de continuer d’épuiser Donald Trump sur le nucléaire et la défense antimissile. C’est dans son intérêt de le persuader qu’il a absolument besoin d’un Golden Dome, mobilisant de nombreuses ressources », selon Héloïse Fayet.

Car aujourd’hui, ni les États-Unis, ni, encore moins, l’Europe, n’ont de « bouclier antimissile permettant d’intercepter une attaque massive de missiles balistiques et de croisière », explique sur X Étienne Marcuz, chercheur à la FRS. « C’est donc une arme de déstabilisation qui pèse dans le domaine de la défense antimissiles, qui montre que les Russes sont toujours capables d’innovation et qu’ils ne se préoccupent pas trop de sûreté », résume-t-il.