À l’occasion d’Octobre Rose, ELLE Suisse a mandaté l’institut M.I.S. Trend afin d’explorer le rapport des femmes à leur prise en charge en Suisse. Entre hypervigilance, pathologies encore négligées et avancées thérapeutiques, les résultats peuvent, en 2025, être étonnants.

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Crédits : Mart production

Chaque mois d’octobre, le monde entier se pare de rose, afin de rappeler une réalité fondamentale : une femme sur huit développera un cancer du sein au cours de sa vie. Si la campagne « Octobre Rose » est devenue un symbole de mobilisation féminine mondiale, elle interroge aussi le rapport plus général de la société à la santé féminine. Pour y voir plus clair, ELLE Suisse a mandaté en septembre 2025 l’institut M.I.S. Trend, référence helvétique en matière d’enquêtes d’opinion. 1418 Suissesses ont ainsi été interrogées sur leur rapport au dépistage, à la recherche médicale et à la confiance dans le système de santé. Les résultats révèlent un paradoxe : 57 % des participantes jugent les campagnes de prévention efficaces, mais 44 % disent avoir déjà eu le sentiment de ne pas être prises au sérieux par un professionnel de santé soit à travers une minimisation de leur ressenti voire une ignorance totale. Si la prévention gagne donc en visibilité, la confiance, elle, semble encore vaciller.

Héritage culturel pesant

Surtout chez les 18–29 ans, qui sont 59 % à le dénoncer dans le sondage de ELLE Suisse. « Ce sentiment est en effet parfois plus marqué chez les patientes plus jeunes, reconnaît le docteur Ambroise Champion, chef du service de radio-oncologie à l’Hôpital de la Tour, à Genève. Elles sont souvent mieux informées et plus vigilantes sur la qualité de leur prise en charge. » Pour le professeur Friedrich Stiefel, chef du service de psychiatrie de liaison au sein du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), à Lausanne, cette crise de confiance s’ancre également dans un héritage historique : « Les patientes plus âgées ont été habituées à accorder une confiance « aveugle » à leur médecin. La recherche médicale est par ailleurs fondée sur des racines patriarcales, qui ont longtemps écarté les femmes ». Pour le spécialiste, bien que les choses aient profondément changé, « aujourd’hui encore, des réflexes culturels persistent au sein de la société, et donc, même au sein du corps médical », insiste-il.

La recherche médicale est par ailleurs fondée sur des racines patriarcales, qui ont longtemps écarté les femmes.

Professeur Friedrich Stiefel, chef du service de psychiatrie de liaison au sein du CHUV
ELLE Suisse

Cette perception, les chiffres du sondage de ELLE Suisse la confirment : une Suissesse sur deux (56 %) estime que la recherche médicale ne tient pas suffisamment compte des spécificités féminines. Un sentiment nourri par le fait que certaines pathologies restent encore sous-étudiées telles que l’endométriose, la ménopause, ou encore les maladies touchant des femmes polypathologiques ou issues de minorités, selon le docteur Champion. « Résultat, poursuit le professeur Stiefel, nombre de patientes ont appris à composer avec la douleur, à la normaliser ou à la taire. » Pour autant, les experts rappellent que toutes les maladies féminines ne sont pas logées à la même enseigne. « Le cancer du sein est aujourd’hui la pathologie bénéficiant des meilleures recherches, tant sur le plan clinique que psychologique et social », souligne le professeur Friedrich Stiefel. Le docteur Ambroise Champion abonde : « Près de 99 % des cas concernent des femmes, donc les avancées majeures de ces dernières décennies proviennent d’une recherche quasi exclusivement féminine. »

S’informer sans se perdre

Et pourtant, même face à cette maladie bien étudiée, hypervigilance et désarroi persistent. C’est ce que constate au quotidien, Lucie Sforza, infirmière référente au Centre du sein du CHUV : « Beaucoup de femmes arrivent avec une masse d’informations glanées sur internet ou sur les réseaux sociaux. » L’inquiétude récurrente étant liée à l’impact supposé de l’alimentation sur l’évolution d’un cancer, nous apprend l’experte. Certaines culpabilisent alors, persuadées d’avoir mal fait quelque chose. « C’est une pression immense, qui s’ajoute à celle des symptômes et des traitements… Notre rôle est de les aider à retrouver confiance dans leur propre corps. » Car en effet, cette quête de compréhension n’est pas qu’un frein. Lorsqu’elle s’accompagne de discernement, elle devient même un atout, précise Lucie Sforza : « Nous avons notre expertise à transmettre, mais les patientes nous apportent aussi l’expertise de leur vécu. Cela enrichit la relation et nous pousse à nous remettre en question. Quand cette dynamique existe, la prise en charge devient plus équilibrée, plus égalitaire. »

Beaucoup de femmes arrivent avec une masse d’informations glanées sur internet ou sur les réseaux sociaux. […] Certaines finissent par culpabiliser, persuadées d’avoir mal fait quelque chose.

Lucie Sforza, infirmière référente au Centre du sein du CHUV
ELLE Suisse

Une démarche jugée essentielle par l’infirmière référente du CHUV, en particulier pour les femmes de plus de 30 ans. Selon le sondage de ELLE Suisse, 52 % des trentenaires estiment ne pas être suffisamment informées sur les signes précoces du cancer du sein. Un constat préoccupant, car « le cancer est souvent silencieux, et le dépistage est crucial pour se sécuriser et agir à temps », rappelle-t-elle. Un avis partagé par le docteur Champion : « Dès 30–35 ans, il devient essentiel de sensibiliser aux signaux d’alerte : modifications du sein, écoulements anormaux, indurations localisées. Le gynécologue joue ici un rôle clé ». L’oncologue de l’Hôpital de la Tour nuance toutefois : « Il n’est pas nécessaire d’informer systématiquement une femme de 20 ans sur le dépistage : le risque est extrêmement faible à cet âge. »

Dès 30–35 ans, il devient essentiel de sensibiliser aux signaux d’alerte : modifications du sein, écoulements anormaux, indurations localisées.

Docteur Ambroise Champion, oncologue à l’Hôpital de la Tour
ELLE Suisse

Perspectives encourageantes

« Avec plus de 1400 décès par année, le cancer du sein est la première cause de mortalité dans la population féminine suisse âgée de 40 à 50 ans. », alerte l’Hôpital de la Tour. Selon l’établissement, « plus de 90’000 femmes dans le pays vivraient actuellement avec un cancer. » Mais les récentes données concernant l’évolution de cette maladie se montrent encourageantes : « En Suisse, on ne constate pas d’augmentation significative du nombre de nouveaux cas, ni de modification notable dans la gravité des maladies au moment du diagnostic », observe le docteur Champion. Les années à venir s’annonceraient même prometteuses : nouveaux médicaments, marqueurs de suivi plus spécifiques, imagerie enrichie par intelligence artificielle… autant d’avancées qui affinent la détection précoce et améliorent la prise en charge, se réjouit le spécialiste. Sur le terrain, Lucie Sforza plaide, dans le même temps, pour une approche humaine toujours plus personnalisée : « Il faut continuer à proposer de nouveaux ateliers, des cafés de sexologie ou des espaces de parole pour accompagner les patientes dans toutes les dimensions de leur vie. »

Octobre Rose, concluent tant l’oncologue docteur Champion que l’infirmière référente Lucie Sforza, n’est pas qu’une campagne symbolique : « C’est l’occasion de rappeler l’importance du dépistage régulier et de l’écoute de son corps, sans anxiété inutile mais avec attention ». Ils insistent : la médecine d’aujourd’hui n’est plus uniquement centrée sur la maladie, mais sur le bien-être global des femmes, notamment pour le cancer du sein : « La très grande majorité des femmes guérissent lorsqu’il est détecté tôt. »

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