Travailler plus, dit la Première ministre, car le Japon fait face à un manque de main d’œuvre…
Absolument. Il y a un criante pénurie multisectorielle. Le gouvernement chiffre en nombre d’heures et non en nombre de postes les manques, mais c’est de loin dans le bâtiment que les besoins sont les plus forts, devant le transport, la restauration ou l’hôtellerie puis la distribution et les soins aux personnes. Les plus de 65 ans travaillent jusqu’à 75 ou 80 ans, mais cela ne suffit pas. Cela irait mieux si plus de femmes occupaient plus de postes à temps plein, mais c’est souvent difficile avec des enfants en bas âge. Il y a aussi un problème de productivité très basse au Japon à cause de la structure très hiérarchisée qui fait perdre du temps. La pénurie est la raison pour laquelle, à la demande des entreprises, les gouvernements successifs ont fait entrer des centaines de milliers de travailleurs étrangers temporaires.
Sauf qu’aujourd’hui cette présence d’étrangers pose apparemment problème, et la nouvelle Première ministre veut corriger cela, n’est-ce-pas ?
Oui, elle veut serrer la bride et a même créée un poste ministériel dédié à la coexistence avec les étrangers, pour mieux les surveiller comme le réclame l’électorat d’extrême-droite, dont Sanae Takaichi est une figure de proue. Actuellement, plus de 2,5 millions d’étrangers travaillent au Japon, cela progresse au rythme de plus de 200 000 par an depuis la fin du Covid. Ces travailleurs vietnamiens, philippins, chinois ou népalais sont devenus très visibles, sur les chantiers, dans les commerces, dans les restaurants. Il sont parfois sous-payés, traités comme des esclaves et certains commettent des délits. Les touristes étrangers sont désormais aussi très nombreux, 40 millions par an, avec des comportements parfois inappropriés qui exaspèrent les Japonais.
Que propose la Première ministre pour résoudre ce problème ?
Eh bien c’est là que se trouve une partie de sa logique économique qui est plus tournée vers les techniques que vers les citoyens. Pour elle, le Japon doit investir à fond dans l’intelligence artificielle, dans la robotique, dans les machines. Ainsi il aura moins besoin d’humains, moins besoin de jeunes, moins besoin d’étrangers, il innovera, il exportera ses techniques, il croîtra et tous les problèmes économiques seront résolus. En attendant ce cercle vertueux (peut-être illusoire), il faut que les Japonais se retroussent les manches et donc elle est prête à revenir en arrière, à réformer la législation du travail pour relever le plafond d’heures supplémentaires fixé à 45H par mois. Cela signifierait autoriser plus de 10 heures supplémentaires par semaine, pour des semaines qui font déjà 40 heures pour les travailleurs à temps plein.
La Première ministre japonaise fait de l’économie un des points clefs de son mandat. Quelles sont les grandes lignes de son programme ?
Elle reprend les grande lignes de la politique abenomics de son mentor décédé, Shinzo Abe. La doctrine abenomics devient donc Sanaenomics, avec des largesses budgétaires, financées par la dette, une politique monétaire ultra-souple, de l’innovation et des réformes. Abe avait échoué en partie, mais elle, elle y croit. Son côté ultra-nationaliste semble lui faire oublier que son pays n’est plus à la pointe, qu’il compte moins de champions industriels, qu’il est endetté comme jamais, qu’il décline et qu’il vieillit bien plus vite encore que prévu.