La COP30 de Belém laissera le souvenir d’un sommet où deux récits ont cohabité sans jamais se rejoindre: celui d’une action climatique foisonnante, soigneusement mise en scène par les coalitions volontaires et les acteurs non étatiques, et celui d’un accord intergouvernemental réduit à l’essentiel, dépourvu des éléments structurants qu’exige la science. Le Luxembourg, très présent sur la scène diplomatique brésilienne, a incarné ce dédoublement narratif. Vendredi soir, il célébrait l’adhésion de plus de 80 pays à l’initiative colombienne en faveur d’une sortie progressive et organisée des énergies fossiles. Vingt-quatre heures plus tard, il reconnaissait la faiblesse d’un compromis final «à peine acceptable», dénué de toute feuille de route, incapable d’orienter réellement la transition mondiale.

L’annonce colombienne avait pourtant tout d’une avancée symbolique majeure: un bloc international, couvrant une partie significative du G20, s’engageant à planifier la sortie du pétrole, du gaz et du charbon, avec un suivi annuel et des investissements massifs. Mais l’élan politique affiché n’était pas une décision COP. Il ne reposait ni sur un texte négocié, ni sur des engagements juridiquement contraignants, mais sur une déclaration d’intention extérieure au processus formel. Le Luxembourg, comme d’autres, y a vu la preuve que le multilatéralisme restait capable de produire des coalitions ambitieuses. Ce qu’il ne disait pas encore, c’est que ces coalitions prospèrent précisément parce que les États ne parviennent plus à s’accorder collectivement.

Lorsque Serge Wilmes, pour l’Union européenne, s’est exprimé samedi, le contraste était net. L’accord final est décrit comme insuffisant, trop lent, en décalage profond avec la trajectoire 1,5 °C. L’Union, qui ne voulait pas bloquer un paquet minimal soutenant la coopération internationale, admet que sa demande centrale — une trajectoire mondiale de sortie du fossile — a été écartée. Le Luxembourg déplore aussi l’absence d’une feuille de route contre la déforestation et d’un mécanisme clair alignant les prochaines contributions nationales sur les impératifs physiques du climat. L’enthousiasme de la veille fait place à la lucidité, sans cynisme mais sans illusions.

Le discours de clôture de Simon Stiell, secrétaire exécutif d’Onu Climat, nourrit cette ambivalence. Il affirme que la coopération est «bien vivante», que l’humanité «reste dans la course», que la transition vers une économie bas carbone est «irréversible». Mais il insiste aussi sur la désinformation, les pressions politiques, les frustrations accumulées, et ce constat essentiel: malgré l’unité apparente, nous ne gagnons pas encore la bataille climatique. Sa formule la plus révélatrice dit tout: les pays «ont choisi l’unité… mais la vitesse n’y est pas». Autrement dit, la machine fonctionne, mais elle n’avance pas au rythme exigé par l’urgence.

C’est dans le rapport final du Global Climate Action Agenda, publié en parallèle, que se lit le paradoxe le plus éclatant. Le document foisonne d’engagements volontaires, de pipelines d’investissements, de coalitions industrielles, de programmes techniques couvrant les réseaux électriques, les transports, l’agriculture, la finance et les écosystèmes. On y parle de trillions mobilisés, de centaines de millions d’hectares restaurés, de 437 millions de personnes rendues plus résilientes. Cette abondance donne l’image d’une COP extraordinairement dynamique, d’une transition mondiale déjà bien enclenchée. Mais aucun de ces éléments ne fait partie du texte négocié entre États. Ce n’est pas l’accord. C’est la vitrine.

L’écart entre ces «réalisations» et l’accord final souligne une vérité structurelle: lorsque les États ne peuvent plus s’entendre sur les ruptures, ce sont les acteurs non étatiques qui produisent les récits de progrès. Ce déplacement du cœur de gravité — de la décision à l’action, de la diplomatie aux coalitions — permet d’afficher un mouvement global, mais ne remplace pas la capacité des gouvernements à fixer une direction commune. C’est là que se loge l’inconfort politique du Luxembourg: actif, visible, moteur sur la finance climatique et l’innovation, mais lucide sur la faiblesse persistante du cadre multilatéral.

Belém confirme ainsi que les COP ne sont ni des échecs ni des succès: elles sont des négociations qui évoluent plus lentement que les phénomènes qu’elles prétendent encadrer. Elles produisent un progrès réel, mais périphérique. Elles entretiennent la coopération, mais ne tranchent plus les enjeux fondamentaux. Rome ne s’est pas faite en un jour, dit-on. Mais la crise climatique non plus ne se construira pas — ni ne se résoudra — par l’accumulation de déclarations d’intention et de vitrines d’initiatives. Il manque encore l’élément central: la capacité des États à accepter ce que la physique impose.

Le Luxembourg, par son double discours de Belém, ne fait que refléter ce paradoxe global. Il célèbre l’énergie du système quand il avance, et constate son impuissance quand il stagne. À l’image de cette COP30, il navigue entre ambition affichée et réalisme contraint, entre diplomatie active et dépendance à un cadre international qui ne parvient plus à produire les ruptures nécessaires. Une position honnête, mais révélatrice d’un monde qui, face au climat, bouge beaucoup — sauf là où cela compte le plus.