Les plaines arides du Colorado ont succédé à la verdoyante piste d’essai de l’EPFL mais l’ambition de Denis Tudor est immuable: mener à bien son projet d’Hyperloop, un mode de transport à grande vitesse, entièrement électrique. Sa start-up Swisspod a franchi il y a dix jours une étape importante, atteignant la vitesse de 102 km/h lors d’un essai sur la piste de 520 mètres installée dans la ville américaine de Pueblo, au pied des Rocheuses. Loin encore des 600 km/h visées à terme par la jeune pousse Swisspod.
La technologie diffère de la sustentation magnétique, souvent évoquée pour de telles vitesses. Ses petites capsules circulent en lévitation à l’intérieur d’un tube à basse pression. Avec entre autres pour intérêt de n’avoir aucune émission directe de CO₂. La prouesse réalisée le 21 novembre égale la vitesse atteinte en 2020 par la filiale que le groupe britannique Virgin dédiait à cette innovation. La société a depuis jeté l’éponge.
Ce qui n’est pas du tout dans les plans de l’entrepreneur vaudois d’adoption dont la technologie développée à l’Ecole polytechnique de Lausanne a été distinguée à plusieurs reprises dans les compétitions organisées durant les années 2010 par un certain Elon Musk. Le milliardaire est depuis soupçonné d’avoir lancé ces projets pour saborder le projet de TGV entre San Francisco et Los Angeles, un serpent de mer ferroviaire auquel le président Donald Trump a décidé cet été de retirer ses fonds fédéraux.
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Un Haut-Lieu de l’industrie ferroviaire
«Il y a actuellement beaucoup de problèmes avec le transport ferroviaire de passagers en Amérique», relevait d’ailleurs Drew Feeley, administrateur adjoint de la Federal Railroad Administration (FRA) des Etats-Unis, cité dans le communiqué de presse qui a suivi le test de Swisspod. Ajoutant: «Nous pensons que des projets comme celui-ci ont le potentiel de changer radicalement la façon dont l’Amérique se déplace». «Qui sait, peut-être que Pueblo, dans le Colorado, deviendra la plaque tournante des transports aux États-Unis?», a renchéri Heather Graham, maire de Pueblo.
La ville américaine, surnommée «steel city» (ville de l’acier) a été un haut lieu ferroviaire, une activité pour laquelle elle est encore connue. En mars 2024, Stadler Rail y a inscrit un record de distance pour son train à hydrogène Flirt H2 qui a parcouru, également en test, une distance de 2803 kilomètres sans recharge. Son modèle circule depuis septembre 2024 entre les villes de San Bernardino et de Redlands, en Californie du Sud.
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Swisspod a aussi opté pour Pueblo pour des raisons d’espace mais aussi de réglementation plus souple. L’entreprise qui emploie une dizaine de personnes dans le canton de Vaud et une vingtaine aux Etats-Unis assure toutefois vouloir rester basée en Suisse, notamment en raison de la qualité des talents qu’elle y trouve, appréciant la «complémentarité» offerte par les deux pays.
Au-delà des Etats-Unis, le Moyen-Orient et l’Inde revêtent également un potentiel pour l’Hyperloop en raison de leurs besoins importants en infrastructures. Contrairement à l’Europe déjà bien dotée. C’est pourtant sur le Vieux Continent qu’a été pour la première fois envisagé un tel mode de transport. En 1889, dans la nouvelle Journée d’un journaliste américain en 2889, un train circulant à 1500 km/h dans un tube est imaginé par Michel Verne, fils du célèbre écrivain français qui d’ailleurs publia d’abord le texte sous son nom.
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De nombreux obstacles à surmonter
Denis Tudor en est éminemment conscient, la voie qui mène à la mise en fonction de ses petites capsules est encore longue et semée d’embûches, raison pour laquelle il ne se hasarde pas à articuler une date fixe. L’entreprise a finalisé une levée de fonds de 13 millions de dollars pour poursuivre le développement de ses activités. La prochaine étape est de créer un prototype avec un siège qui pourrait accueillir une personne, relève le jeune entrepreneur.
Outre les habituelles résistances et les enjeux techniques, les investissements nécessaires à la réalisation d’une telle infrastructure représentent l’un des freins à l’avènement d’un mode de transport sur lequel plusieurs équipes travaillent actuellement dans le monde. Au Canada, Transpod, une entreprise concurrente, évoquait il y a deux ans un possible tronçon test entre Calgary et Edmonton à l’horizon 2027. Objectif qui suscitait un grand scepticisme en raison du coût, de l’énergie nécessaire ainsi que de la nécessité d’avoir des tronçons parfaitement droits pour cette technologie.
L’aspect financier fait partie intégrante projet de Swisspod, notamment soutenu par Innosuisse: «Ce que nous avons fait, c’est essentiellement déplacer toute la technologie vers le véhicule, relève Denis Tudor. Il n’y a donc pas d’électrification, pas de réseau, pas de câbles et pas d’aimants fixés à l’infrastructure. Pour cette raison, le coût de l’infrastructure peut un peu varier d’un pays à l’autre, mais il représente entre un cinquième et un dixième du coût d’un train à grande vitesse ou à sustentation magnétique.»
Cela suffira-t-il pour donner corps un jour à un Hyperloop? D’ici 2889, il reste en un peu de temps pour concrétiser la vision de Michel Verne.