Infirmier de formation, spécialisé en soins intensifs et en aide médicale urgente, Thibault Dubois est doctorant au sein de l’équipe de sciences infirmières de l’Université du Luxembourg. En congé sans solde chez Vivalia, l’intercommunale des soins de santé en province de Luxembourg, il garde néanmoins une petite activité aux soins intensifs à Bastogne pour ne pas perdre contact avec le terrain. Ce jeudi, il a donné une conférence en ligne dans laquelle il expliquait pourquoi le mouvement de rotation dans la profession était inéluctable. Une mise en abyme dans une province voisine qui ne ménage pas sa peine pour garder son personnel.

Infirmier de formation, Thibault Dubois est doctorant au sein de l’équipe de sciences infirmières de l’Université du Luxembourg.  

Les chiffres sont implacables. Il manque 5,8 millions d’infirmières dans le monde. Ce constat est-il aussi d’actualité à l’échelle de la province de Luxembourg?

Oui, il y a toujours un besoin de recruter. Sans doute moins pressant qu’il y a deux ou trois ans mais ça reste compliqué d’avoir des équipes complètes. Il y a en moyenne 10 à 15% de départs par an, ce qui représente un renouvellement total d’une équipe tous les 8 à 10 ans.

L’arrondissement d’Arlon compte 287 infirmières qui bossent au Grand-Duché

Est-ce typique à la province de Luxembourg?

C’est toujours la province avec le moins d’infirmières par tranche de 10.000 habitants. 78 exactement. La moyenne de la Région wallonne est de 105. En Région flamande, c’est 121. Ce sont les chiffres de 2023.

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Avec le Grand-Duché comme voisin en plus…

Oui, c’est la province qui compte le plus de travailleurs qui passent la frontière pour aller travailler. L’arrondissement d’Arlon compte 287 infirmières qui bossent au Grand-Duché. Il est suivi de très près par les arrondissements de Virton et de Bastogne. Dans le dernier Plan National Santé, 64,7% des infirmiers et infirmières qui travaillent au Grand-Duché sont frontaliers.

40% des infirmières à Libramont sont françaises. Beaucoup d’étudiantes du Grand Est sont venues faire leurs études à Libramont

Mais la Belgique accueille aussi beaucoup d’infirmières étrangères, non?

Oui. A titre d’exemple, 40% des infirmières à Libramont sont françaises. Beaucoup d’étudiantes du Grand Est sont venues faire leurs études à Libramont. Elles sont restées pour travailler parce qu’elles se retrouvaient plus dans l’organisation. Il y a un incitant fiscal aussi. Un infirmier breveté avec un niveau A2 ou BTS comme on dit en France qui venait travailler en Belgique avec deux ou trois ans d’expérience gagnait autant qu’un infirmier en chef belge présent depuis huit à neuf ans dans la même maison.

Vous analysez tous ces chiffres et vous effectuez un travail de terrain. Quelle est votre méthode de travail?

J’ai réalisé 21 entretiens avec des infirmières et infirmiers belges qui travaillent sur les sites de Libramont et Bastogne. J’ai déjà analysé 8 échanges.

Il y a de plus en plus d’hommes mais on reste malgré tout à 85% de femmes

Qu’en ressort-il?

Chez les gens qui envisagent de quitter, il y a deux grandes catégories. Une première qui concerne beaucoup d’infirmières célibataires qui veulent passer la frontière pour des raisons financières afin d’acheter, par exemple, un appartement. La seconde, ce sont des personnes qui ne se sentaient plus en phase avec la manière de fonctionner de l’hôpital mais qui souhaitaient rester dans le monde des soins de santé. Certains ne voulaient pas se retrouver en soins à domicile ou dans une maison de repos.

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Le bien-être au travail était-il évoqué?

Les horaires faisaient partie du débat, même s’ils sont inhérents à la profession. Ils reviennent souvent dans la discussion à partir du moment où il y a des enfants

Les lignes ont-elles bougé quant au genre dans la profession?

Il y a de plus en plus d’hommes mais on reste malgré tout à 85% de femmes. La différence est moindre si on ne parle que des temps-pleins. Les hommes sont aussi davantage représentés dans les services spécialisés comme les soins intensifs plutôt qu’en chirurgie ou médecine. Ces chiffres correspondent, bon an mal an, à la situation mondiale.

Quelles sont les choses entreprises par les hôpitaux pour retenir leur personnel de soins de santé?

Il y a eu une prise de conscience sur la question. Si rien n’était fait, les choses ne s’arrangeraient pas comme ça alors que se profile la construction du nouvel hôpital à Houdemont près d’Habay. C’est un objet de rétention malgré lui car beaucoup de gens veulent le découvrir et s’approprier les lieux. Il y a des incitants assez simples comme des chèques repas ou des bons cadeaux. La campagne de recrutement a été retravaillée avec une communication plus présente sur les réseaux sociaux comme dans les écoles d’infirmières. La province, elle, offrait une prime aux nouvelles engagées. Et il y a tout simplement la carte de la proximité avec des infirmiers et infirmières qui souhaitent bosser le plus près de chez eux.

Les infirmières qui travaillent en province de Luxembourg le font parce qu’elles aiment retrouver cette atmosphère de travail et cette mentalité belge

N’y a-t-il pas un modèle à repenser ou de nouvelles pistes à explorer?

Si. Le concept d’hôpital magnétique (Magnet Hospital) revient dans beaucoup de conversations. C’est une idée née dans les années 80 et mise en pratique dans les années 90 aux Etats-Unis. Il consiste à retenir le plus possible le personnel en faisant en sorte que le lieu de travail soit agréable et que le travailleur se sente valorisé dans son boulot avec, pour conséquence, des meilleurs soins à prodiguer aux patients.

En conclusion, la situation est préoccupante en province de Luxembourg, mais pas désespérée non plus, c’est ça?

Les infirmières qui travaillent en province de Luxembourg le font parce qu’elles aiment retrouver cette atmosphère de travail et cette mentalité belge. Beaucoup ont peur de franchir la frontière en raison de la barrière linguistique. Ce travail est fortement basé sur la communication. Vivalia fait des efforts pour rendre les conditions de travail le plus agréable possible. Avec les moyens du bord. Beaucoup sont fières de travailler en Belgique et de s’occuper de leur communauté. Des infirmières ont décidé d’aller travailler au Luxembourg puis de revenir en Belgique parce qu’elles ne s’y retrouvaient pas dans les valeurs.