De quelle figure de la Rome antique pourriez-vous vous inspirer face à toutes ces difficultés ?
Le jeune Bart De Wever aurait répondu sans hésitation : Jules César ! C’était l’idole de ma jeunesse, ce général invincible, ce politique rusé qui s’est rapidement emparé du pouvoir et a étouffé toute opposition. Il est décédé comme un vrai héros à 55 ans. Moi aussi, j’aurai 55 ans dans quelques semaines… J’ai évolué depuis ma jeunesse et j’admire désormais l’empereur Auguste. Ce dernier a instauré la paix et a consolidé l’empire. Il est le père de notre société. Toutefois, je commence à pencher vers Marc Aurèle car il était un empereur stoïcien. Et j’ai besoin de ce courant de philosophie pour le moment… J’ai beaucoup lu sur le stoïcisme, j’essaie de l’appliquer dans ma vie. Marc Aurèle avait un truc : quand quelqu’un l’énervait, il récitait mentalement l’alphabet. Et je dois reconnaître que lors d’un débat de vingt heures sur le budget, cela peut aider.
Chose rare, vous vous revendiquez conservateur. Que représente ce terme pour vous ?
Cicéron a donné l’essentiel de ce qu’est le conservatisme : selon lui, on n’est pas né pour nous-mêmes, on est né dans une société fondée par nos ancêtres et fondée sur des valeurs. Ce n’est pas tellement l’individu qui compte, ni l’État. C’est la société et la citoyenneté qui sont importantes, ainsi que nos racines profondes. Elles sont notre logiciel : la philosophie grecque, le droit romain, l’humanisme, les Lumières… Je rejette le postmodernisme qui a créé la honte de l’identité occidentale où tout ne serait que colonialisme, racisme et impérialisme.
À propos du colonialisme, le roi Philippe a présenté ses regrets au Congo sous le gouvernement Wilmès. Aurait-il pu le faire sous le gouvernement De Wever ?
Absolument. Le Roi a exprimé ses profonds regrets et c’était très correct de sa part. Les atrocités au Congo, notamment lorsqu’il relevait du domaine personnel de Léopold II, c’est un fait. Il faut être conscient de ce qui s’est passé. Ce qui me dérange, c’est que cette démarche n’est jamais réciproque. Par exemple, sur l’esclavage. Tout le monde connaît l’histoire de l’esclavage transatlantique, mais celui de l’esclavage arabe ou africain, personne ne le connaît. La seule chose qui est exclusive à l’Occident en matière d’esclavage, c’est l’abolition de l’esclavage.
Dans les statuts de la N-VA, l’article 1 plaide pour une Flandre indépendante et républicaine. Sincèrement, vous y croyez encore ou est-ce devenu du folklore ?
Les statuts sont l’ADN d’un parti. Ce sont des fondements. Mais ils doivent toujours être confrontés à la réalité. Bismarck a dit que la politique, c’est l’art du possible et non du souhaitable. Pourquoi souhaiter l’autonomie de la Flandre ? C’est lié à ma réponse sur le conservatisme : je crois à une société qui repose sur le dialogue implicite entre citoyens. Et pour cela, il faut un pays, un logiciel commun, une langue commune. C’est tout cela qui manque à la Belgique, qui est devenue une addition de deux démocraties. Voilà une réalité objective. Cela dit, avec le résultat des élections de 2024, il s’est présenté une opportunité de mener une politique de redressement économique. Je ne pense pas que la Flandre soit un but en soi, ce n’est qu’un instrument au service de la démocratie et de la souveraineté du peuple. Si on est capable de servir son peuple à partir du fédéral, il faut le faire. Le MR et Les Engagés ont fait un choix audacieux : ils ont dit adieu à l’assistanat et au système PS. Ce sont des alliés. On livre ici la preuve que le nationalisme flamand a évolué – en tout cas, une partie du nationalisme flamand. La haine et la frustration, ce n’est pas mon choix (Bart De Wever fait référence au Vlaams Belang, NdlR).
Vous aviez regretté que Georges-Louis Bouchez, le président du MR, ne fasse pas partie de votre gouvernement. Est-ce que vous le regrettez encore aujourd’hui ?
Idéologiquement, je l’aime beaucoup, on se ressemble. Il est très, très, très fort. Mais sa personnalité est d’une autre nature que la mienne. Je ne pense pas qu’il apprécie le stoïcisme… C’est un latin. Moi, je suis un calme germanique. L’avoir dans le gouvernement présentait des atouts et des désavantages. L’avoir en dehors du gouvernement a aussi des atouts… et des désavantages !
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Un diplomate belge haut placé avait confié à La Libre que vous étiez un Premier ministre “surréaliste” puisque, tout en étant un nationaliste flamand, vous représentez très bien la Belgique.
Je comprends cette perception. Elle a sans doute comme fondement une compréhension quelque peu datée du mouvement flamand qui serait anti-francophone et anti-belge. Cela n’a jamais été le cas. Cela a toujours été une caricature. Comme bourgmestre d’Anvers, j’ai également fait mon devoir : j’ai organisé les fêtes pour le 21 juillet et le 11 novembre…. J’ai même revitalisé ces évènements. Le bicentenaire de 2030 représente une vraie opportunité pour montrer le potentiel économique de notre pays. Certains pensent que j’ai un agenda caché mais ce n’est pas du tout le cas. Il faut assumer sa fonction. Devenir Premier ministre n’était pas une évidence pour moi, je dois l’avouer. Mais je veux assumer cette fonction à 100 %.
Vous êtes opposé à l’institution monarchique – un résidu de l’Ancien Régime, selon vous – et pourtant vous avez tenu des propos élogieux à l’égard du roi Philippe.
Nous avons un bon Roi. Je suis républicain, c’est l’ADN de mon parti, mais ce n’est pas du tout ma préoccupation principale. Notre Roi fait son devoir, il est très consciencieux et professionnel, il représente le pays et joue le rôle de médiateur avec une objectivité parfaite. Je n’ai aucun reproche à lui faire. Il a été un arbitre très correct durant la formation du gouvernement. Tant que le Roi est là, c’est inutile de rêver à une république. J’ai d’autres problèmes plus urgents à gérer…
Fin octobre, vous avez utilisé la “case royale” en pleine crise budgétaire, donnant ainsi implicitement un rôle au Roi qu’il n’avait pas…
Je ne peux pas dévoiler le colloque singulier avec le Roi. Je dirais juste qu’il m’a aidé…
“Notre Roi fait son devoir, il est très consciencieux et professionnel, il représente le pays et joue le rôle de médiateur avec une objectivité parfaite. Je n’ai aucun reproche à lui faire. Il a été un arbitre très correct durant la formation du gouvernement. Tant que le Roi est là, c’est inutile de rêver à une république. J’ai des autres problèmes plus urgents à gérer…”
Sur le plan institutionnel, n’est-on pas allé trop loin en régionalisant les compétences “climat” et “mobilité” ?
Si quelqu’un, partant d’une page blanche, inventait le fédéralisme belge, on le mettrait dans une maison de fous. La répartition des compétences est complètement illogique car on a transformé un État unitaire en une fédération, à l’inverse du processus de constitution des États-Unis et de l’Allemagne. Le fédéralisme belge n’existe qu’en Belgique et c’est une chance pour le reste du monde… Les six réformes de l’État ont créé un État très cher et très inefficace. Faut-il une septième réforme de l’État ? Vous connaissez ma position, je plaide pour le confédéralisme. Peut-on, au contraire, refédéraliser certaines compétences ? Je n’y crois pas, car cela demanderait également une refédéralisation de la démocratie belge, ce qui est impossible. Nous n’avons plus de langue partagée ni d’opinion publique commune. Ce n’est pas la politique qui fait la société mais la société qui fait la politique.
Le dossier des avoirs russes “gelés” vous prend énormément de temps et d’énergie. Est-ce juste ?
La pression, dans ce dossier, est incroyable. J’ai une équipe qui travaille jour et nuit sur ce sujet. Ce serait une belle histoire : prendre l’argent du méchant, Poutine, pour le donner au gentil, l’Ukraine. Mais voler des avoirs immobilisés d’un autre pays, ses fonds souverains, cela n’a jamais été fait. Il s’agit de l’argent de la Banque centrale russe. Même durant la Seconde Guerre mondiale, on n’a pas confisqué l’argent de l’Allemagne. Pendant une guerre, on immobilise les avoirs souverains. Et, à la fin de la guerre, l’État perdant doit abandonner tout ou partie de ces avoirs pour dédommager les vainqueurs. Mais qui croit vraiment que la Russie va perdre en Ukraine ? C’est une fable, une illusion totale. Ce n’est même pas souhaitable qu’elle perde et que l’instabilité s’installe dans un pays qui a des armes nucléaires. Et qui croit que Poutine va accepter la confiscation des avoirs russes calmement ? Moscou nous a fait savoir qu’en cas de saisie, la Belgique et moi, personnellement, allions le sentir passer “pour l’éternité”. Cela me semble une période assez longue… La Russie pourrait aussi confisquer certains avoirs occidentaux : Euroclear a 16 milliards en Russie. Toutes les usines belges en Russie pourraient aussi être prises. Et si Biélorussie et la Chine confisquaient également les avoirs occidentaux ? A-t-on réfléchi à tout cela ? Non, on ne l’a pas fait. J’ai interrogé mes collègues européens afin de savoir s’ils étaient prêts à mutualiser les risques encourus par la Belgique. Seule l’Allemagne a dit qu’elle était prête à le faire… Sans cette mutualisation, je ferai tout pour bloquer ce dossier. Tout. Après cet épisode, si j’ai un job international après le “16”, ce sera pour faire la vaisselle…
“Qui croit que Poutine va accepter la confiscation des avoirs russes calmement ? Moscou nous a fait savoir qu’en cas de saisie, la Belgique et moi, personnellement, allions le sentir passer “pour l’éternité”. Cela me semble une période assez longue…”