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Quand la Suisse officielle sert du vin étranger, ça coince
Alors que la branche viticole est en crise, des élus de chaque parti veulent conditionner les subventions publiques à la promotion de produits locaux.
En Suisse, tous les cantons produisent désormais du vin. Ici, les vignes du Mont-Vully dans le canton de Fribourg.
Yvain Genevay / Tamedia
«Ça me surprend et ça m’agace.» Damien Cottier (PLR/NE) est irrité et demande des comptes au Conseil fédéral. Son collègue Philipp Matthias Bregy (Le Centre/VS), lui, réclame des explications au parlement. L’origine de leur grogne? La Conférence nationale sur le fédéralisme, qui s’est tenue mi-novembre à Zoug: du vin étranger a été servi à l’apéritif.
Damien Cottier et Philipp Matthias Bregy ne sont pas seulement les présidents de leurs groupes parlementaires respectifs, ils sont surtout les deux visages politiques de la viticulture suisse. Le premier est le président de la Fédération suisse des vignerons, le second est à la tête de l’Interprofession de la vigne et des vins suisses. Or la branche traverse une crise sans précédent.
Et s’ils ont tous deux décidé de faire remonter le problème jusque sous la Coupole fédérale, c’est que cette conférence est organisée par les cantons et placée sous l’égide du Conseil fédéral, du Conseil des États et de la Conférence des gouvernements cantonaux. Elle bénéficie donc de deniers publics.
Or certaines de ces entités ont décidé de soutenir financièrement la viticulture. Le Canton de Vaud va injecter plus de 17 millions de francs. À Berne, lors du débat sur le budget, le parlement a promis 10 millions de plus pour la branche. On se retrouve donc dans une situation ubuesque, où l’on subventionne les vignerons d’un côté, mais où l’on préfère acheter du vin étranger de l’autre.
Damien Cottier, président de la Fédération suisse des vignerons, ici dans le vignoble neuchâtelois.
Odile Meylan/Tamedia
«Cela me dépasse que pour un événement qui parle de fédéralisme, les organisateurs ne pensent même pas à ce qui fait la richesse et la diversité du pays, à savoir l’attachement au terroir et à ses produits», développe Damien Cottier. Ce qui l’agace d’autant plus, c’est que les difficultés que traversent les vignerons suisses ne datent pas d’hier. Cet été, les médias en ont abondamment parlé.
Enfin, surtout en Suisse romande. Car s’il existe désormais des vins dans les 26 cantons, la viticulture reste une activité majoritairement latine. Le fait que Zoug soit un canton alémanique explique-t-il ce manque de sensibilité dans les choix faits pour la Conférence sur le fédéralisme? «C’est peut-être une partie de la réponse, réagit Philipp Matthias Bregy. Je le vois dans mon canton, l’attachement au vin est bien plus fort dans le Valais romand. Il y a donc un vrai travail de conviction à mener. Penser d’abord à des vins suisses lors d’un événement public doit devenir un réflexe.»
Et vous, privilégiez-vous les vins suisses?
Du côté des autorités, on se renvoie la balle sur ce «raté» zougois. Le Conseil fédéral rappelle que l’organisation de la Conférence sur le fédéralisme est principalement assurée par le canton hôte. «Le choix des vins n’a donc pas été coordonné avec les différentes parties.» Le gouvernement souligne toutefois que, lors du repas de gala, du vin suisse a également été servi. Mais il promet en outre de faire mieux et d’informer le prochain canton hôte pour l’édition 2029.
Du côté du parlement, les deux bureaux du Conseil des États et du National admettent que «sur le principe, le soutien des produits nationaux doit être pris en compte de façon adéquate dans les concepts d’organisation de manifestations financées majoritairement par des fonds publics». Mais ils estiment «qu’il n’est pas opportun de donner au ou aux cantons hôtes des consignes en matière d’organisation».
Lier subventions et promotion du vin suisse
Fin de l’histoire? Pas vraiment. En effet, à Berne, une proposition est désormais sur la table du parlement: favoriser la production indigène dans les manifestations bénéficiant de soutiens publics. Derrière cette idée, on trouve le sénateur Pascal Broulis (PLR/VD). Il vient de déposer un postulat soutenu par des élus de tous les partis et de toutes les régions: Fabien Fivaz (LES Verts/NE), Baptiste Hurni (PS/NE), Marianne Maret (Le Centre/VS), Fabio Regazzi (Le Centre/TI) et Werner Salzmann (UDC/BE).
«Que ce soit la Confédération, les cantons ou les communes, les pouvoirs publics participent financièrement à l’organisation de nombreux événements dans toutes les régions», explique Pascal Broulis. Des manifestations qui, selon lui, ne jouent pas toujours le jeu de la production indigène. Il demande ainsi au Conseil fédéral d’évaluer dans quelle mesure il est possible «d’exiger que les organisateurs de manifestations, bénéficiant directement ou indirectement de soutiens fédéraux, mettent en valeur en grande majorité des produits agroalimentaires de notre pays et des vins suisses».
Le conseiller aux États, Pascal Broulis (PLR/VD).
Yvain Genevay / Tamedia
Et de lâcher: «Si les Suisses consommaient suisse, on résoudrait une bonne partie des problèmes.» La part du vin helvétique sur le marché national est aujourd’hui de l’ordre de 30%, et on part du principe qu’atteindre 40% permettrait de sauver la branche.
Lier subvention et promotion des produits locaux? L’idée n’est-elle pas contraire aux valeurs libérales? Damien Cottier a une réponse en deux temps. «Idéalement, il faudrait réussir à faire passer le message sans contrainte», explique le Neuchâtelois, qui précise qu’en Suisse romande également, «il y a parfois des cérémonies, inaugurations ou autre remises de diplôme où le réflexe de servir des vins suisses manque».
L’élu PLR insiste sur la différence entre privé et public. «Évidemment, on préférerait que les privés misent eux aussi sur le vin suisse. Mais ces derniers font ce qu’ils veulent, car ils ne touchent pas d’argent public. Quand les autorités financent une manifestation, elles sont en droit de fixer certaines règles. Même si là, le bon sens voudrait qu’on aille vers des produits locaux.»
«Diversité et qualité» des vins suisses
Au cœur de la polémique, comment le canton de Zoug réagit-il? «Le choix des vins servis pendant la manifestation, notamment lors de l’apéritif, a été déterminé par les contingences du site choisi pour l’événement, répond la conseillère d’État Silvia Thalmann-Gut. Pour le dîner de gala, nous avons veillé, dans le cadre de la sélection limitée proposée par le traiteur, à privilégier autant que possible des vins suisses.» Elle précise que le choix du vin n’a été critiqué qu’occasionnellement dans le sondage en ligne réalisé après la conférence, qui a eu des retours «globalement très positifs».
Elle ajoute enfin: «Nous apprécions beaucoup la viticulture suisse, avec sa diversité et sa grande qualité. C’est pourquoi les intervenants ont reçu un coffret de vins composé de crus que nous avons sélectionnés provenant de six cantons différents, Valais, Vaud, Tessin, les Grisons, Argovie et Zoug, pour symboliser cette diversité et cette qualité.» Pas sûr que cela suffise pour calmer la grogne.
Le vin suisse et l’expérience des ambassades
Promouvoir les vins suisses dans les événements bénéficiant de subventions publiques, l’affaire n’est pas totalement inédite. Il y a une quinzaine d’années, le parlement fédéral s’était déjà penché sur la question des ambassades. À l’époque, c’est l’ancien conseiller national PDC valaisan Christophe Darbellay qui avait sonné l’alarme, scandalisé que des vins espagnols et italiens aient été servis dans le Pavillon suisse lors de l’Exposition universelle de Shanghaï de 2010.
Il faut se pencher sur les déclarations de l’époque pour se rappeler le tollé que cela avait provoqué. «Des entreprises suisses ont été contactées pour livrer leur vin dans des délais irréalistes et à des conditions prohibitives. Régulièrement, des ambassades suisses servent du vin étranger par pingrerie ou snobisme. C’est inacceptable, imaginez qu’une ambassade italienne ou française en fasse de même. Impensable», s’offusquait alors le Valaisan.
Après trois ans d’allers-retours parlementaires, le principe a été adoubé. En juin 2013, le Département fédéral des affaires étrangères annonçait vouloir encourager les ambassades à servir «exclusivement des vins suisses lors des réceptions officielles». Dans ce cadre, une collaboration avec les exportateurs de vins suisses a été mise en place. «Cela n’a pas toujours été simple, mais aujourd’hui ça fonctionne, conclut Damien Cottier. Servir un vin suisse permet aussi aux diplomates de raconter une histoire, de créer du lien, et ça, c’est précieux.»
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