L’assistance exulte devant le siège du Parti républicain, fondé en 2019 par José Antonio Kast, 59 ans. Candidat à la présidentielle pour la troisième fois, il l’emporte, et largement. Avec 58,16 %, il devance Jeannette Jara (41,84 %), la communiste représentante de la gauche, ancienne ministre du socialiste Gabriel Boric, élu en 2021. Avec plus de 7 millions d’électeurs et la totalité des régions remportées, Kast devient le président le mieux élu de l’histoire du Chili, retour de l’obligation de vote oblige – la participation a atteint 85,1 %. Il est aussi le premier sympathisant de la dictature de Pinochet (1973-1990) à accéder au pouvoir.
Largement majoritaire
“Une majorité sociale comme jamais il n’y en a eu dans l’histoire du Chili se dessine”, se réjouit le sénateur Rojo Edwards, soutien de Kast. Lors de son entrée au palais de la Moneda le 11 mars prochain, Kast composera avec un Parlement à majorité de droite et d’extrême droite, recomposé par les législatives du 16 novembre. “Le Congrès ne pourra s’opposer à une fermeture des frontières, puisque les Chiliens viennent de voter pour ce programme de gouvernement”, défend Rojo Edwards.
L’héritier de Pinochet aux portes de la présidence chilienne
La nuit est tombée depuis plus d’une heure quand José Antonio Kast fait son apparition sur scène. Le catholique, fils d’un soldat nazi ayant fui au Chili, frère d’un ministre de Pinochet et père de neuf enfants, “demande à Dieu la sagesse, la tempérance et la force”. “Nous voulons un gouvernement d’unité”, martèle-t-il. Sa victoire, après sa deuxième place au premier tour du scrutin, il la doit aussi au soutien du libertaire d’extrême droite Johannes Kaiser (13,94 %), de la candidate de droite Evelyn Matthei (12,46 %) et d’une partie des électeurs du populiste Franco Parisi (19,71 %).
Le président élu se veut désormais prudent. “Il n’y a pas de solutions magiques. Tout ne change pas d’un jour à l’autre.” Les interrogations sont nombreuses sur la mise en œuvre des mesures de son programme de “gouvernement d’urgence” : l’expulsion des 337 000 étrangers irréguliers et la coupe de 6 milliards de dollars dans les dépenses publiques en 18 mois. “Il faudrait neuf années avec des avions de 100 personnes tous les jours pour mener ces expulsions”, a rétorqué Jara pendant la campagne. “Il va devoir fournir des réponses sur le court et le moyen termes, sinon les gens vont s’impatienter”, anticipe Rodrigo, 43 ans, venu écouter le discours de Kast.
La gauche, quant à elle, réalise son pire score présidentiel. Malgré des avancées sociales, comme la baisse du temps de travail ou la hausse des pensions, elle n’a pas su peser sur les principaux sujets de préoccupation. Le sentiment d’insécurité, alimenté par l’arrivée importante d’immigrés ces dernières années (+ 45 % en cinq ans), est particulièrement élevé en dépit de chiffres de la délinquance stables, sauf sur les indicateurs du crime organisé, qui augmentent. Boric, l’ancien leader étudiant, ne peut que reconnaître le “triomphe clair” de son successeur. Jeannette Jara promet, elle, son “soutien” à Kast “dans tout ce qui sera bon pour le Chili” et une “opposition ferme” face à “tout ce qui peut nous faire reculer”. Son public est plus amer, entonnant en chœur : “Qui ne saute pas est nazi !”
“L’urgence ne signifie pas l’autoritarisme”, a assuré Kast, pour dissiper les craintes sur son profil. Mais les fantômes du passé ne sont pas loin. Il suffit de s’éloigner de 300 mètres de la scène de son discours pour voir flotter la figure du général Pinochet sur de grands drapeaux. Kast a pris soin de se démarquer de ses positions de 2017 et 2021, lorsqu’il affirmait que Pinochet aurait voté pour lui s’il était encore vivant, s’opposait à l’avortement ou voulait éliminer le ministère de la Femme. Mais les inquiétudes demeurent.
“Il y a ce qui est écrit dans son programme et il y a ses silences. On ne sait toujours pas où il va effectuer ses coupes budgétaires. Cela pourrait affecter les programmes sociaux”, prévient le directeur exécutif d’Amnesty International Chili, Rodrigo Bustos. L’avocat liste de nombreux foyers de préoccupation : “dérégulations sur l’environnement, aggravation de la militarisation du sud du Chili [où des communautés autochtones sont en conflit avec l’État], soutien aux policiers auteurs de violences, discrimination des femmes, des minorités sexuelles, des migrants…”
“Dès ce lundi, il faut redoubler d’efforts.”
José Antonio Kast, le président chilien d’extrême droite, promet de rétablir “le respect de la loi”