l’essentiel
Des gains territoriaux stratégiques pour la Russie, des garanties de sécurité pour l’Ukraine, un rôle de “faiseur de paix” pour Trump et une influence renouvelée pour les États européens, chacun veut ressortir vainqueur en imposant ses conditions de paix. En attendant, aucun accord n’est signé… Entretien.
La Dépêche du Midi : Après un plan de paix très favorable à la Russie, un texte plus acceptable pour l’Ukraine peut-il voir le jour ?
Vera Grantseva, politologue, spécialiste de la Russie : Ce que nous savons avec certitude, c’est que l’Ukraine maintient son refus catégorique de céder le Donbass. Ce projet inclut également de fortes garanties de sécurité pour l’Ukraine, émanant des États-Unis. Elles sont cruciales car, pour Kiev, elles constituent la seule véritable victoire après des années de guerre : obtenir une protection occidentale sans laquelle le futur est incertain.

La politologue Vera Grantseva est spécialiste de la Russie.
Photo Natalia Duplinskaya
Le verrou de l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan semble avoir sauté, la Russie peut-elle se satisfaire de ce compromis ?
C’est une question de perception de la victoire pour toutes les parties. Les garanties américaines excluent formellement l’adhésion à l’Otan ce qui, en théorie, pourrait être présenté par Poutine comme une victoire tactique. Mais dans le même temps, elles confirment des mécanismes de sécurité qui sont, fondamentalement, similaires aux accords de l’Otan.
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Cela pourrait signifier des livraisons d’armes, des troupes au sol en cas d’agression, un soutien logistique total. Pour les élites russes, ce n’est pas une victoire. C’est l’inverse de ce contre quoi la Russie a mené la guerre. Le Kremlin verrait donc cette clause comme une défaite déguisée, car l’Ukraine serait de facto protégée par l’Occident. Pour l’Ukraine, c’est une victoire essentielle, même en l’absence du label Otan. Cette ambiguïté rend l’accord très difficile à vendre à Moscou.
Outre l’Otan, la question du Donbass bloque aussi non ? Ça semble non négociable pour les deux camps.
Le Donbass est la condition sine qua non pour que Poutine puisse revendiquer une victoire auprès de son peuple. Il a investi sa crédibilité et sa survie politique dans cette annexion et doit rapporter une victoire territoriale pour justifier le coût humain et économique du conflit.
Pour l’Ukraine, refuser de céder le Donbass est aussi une question de survie nationale. La société ukrainienne comprend que donner cette région, même minée par la guerre, ne ferait qu’aider Poutine à gagner du terrain pour préparer sa prochaine invasion. L’Ukraine ne peut pas signer un accord qui permettrait à l’agresseur de préparer sa prochaine victoire.
Trump cherche aussi à se présenter en grand vainqueur dans ces négociations, qu’en pensez-vous ?
L’influence de Trump est purement politique et électorale, il cherche à se positionner comme le faiseur de paix qui “gagne” en mettant fin au conflit. Le problème, c’est qu’il articule son point de vue autour de celui de son dernier interlocuteur…
On connaît la position du Kremlin sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan, mais qu’en est-il de l’UE ?
C’est un point fascinant qui illustre un changement de perception de la victoire chez Poutine. Contrairement à 2013-2014, où la simple idée d’une association à l’UE a servi de casus belli pour l’annexion et l’invasion de l’Ukraine. L’idée d’une adhésion accélérée dans l’accord de paix n’a provoqué aucune opposition notable du Kremlin. C’est un recul idéologique de taille. Ça prouve que Poutine sait changer ses objectifs s’il voit qu’il ne peut pas les atteindre. Pour masquer cette défaite idéologique, le Kremlin utilise la propagande pour dévaloriser l’UE, en la présentant comme faible et incapable de se défendre elle-même.
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La Russie est-elle en mesure de continuer à s’entêter ainsi ?
Son entêtement est coûteux. Le régime n’a pas de ressources inépuisables et la guerre est impopulaire en Russie. Pour l’heure, Poutine est bloqué : il ne peut pas rentrer sans le Donbass, car ce serait une défaite politique, mais il ne peut pas non plus accepter les garanties occidentales, car ce serait une défaite stratégique. Seule une pression économique et politique interne très forte permettrait un déblocage.