Avec Le Conflit n’est pas une agression, publié pour la première fois en 2016, traduit en France en 2021 et écrit à la première personne, l’essayiste Sarah Schulman, propose une réflexion  sur un phénomène quotidien dans nos vies : celui de ne plus parvenir à gérer nos conflits sans céder à la violence. Comment, dans le conflit, distinguer le sentiment de l’agression d’une agression ? Un essai qui se veut “manifeste réparateur”,  où elle pose un principe fondamental, à savoir que les personnes traumatisées ne réagissent pas de manière proportionnée à la situation à laquelle elles sont confrontées. Juliet Drouar, intéressé par la  question du traumatisme,  nous explique comment il a lu et intégré dans ses travaux ce texte qui l’accompagne depuis sa découverte.

La rhétorique de l’agression

Quand on saisit le comportement d’une personne en la voyant comme une menace, quand il y a un ascendant de pouvoir où la personne dominante dans la situation va mobiliser la rhétorique de l’agression pour produire de la violence, il y a une incompréhension sur ce qu’est un conflit, ou en tout cas sur ce qu’est une agression.
Sarah Schulman revient d’ailleurs sur le fait que ce qui pourrait être un conflit, c’est-à-dire un désaccord, le fait de mal prendre quelque chose, le fait d’être inconfortable, mal à l’aise, n’a rien à voir avec une agression et elle critique  ce recours à la judiciarisation, autrement dit, le fait de faire appel à la police ou à l’Etat, privilégiant la responsabilité individuelle. Juliet Drouar revient sur le sentiment d’agression qui engendre la réaction violente : “C’est pas que j’ai peur mais je vais instrumentaliser le fait de dire ah j’ai eu peur, instrumentaliser l’agression pour dire c’est légitime : instrumentaliser l’éthique en fait, quand on dit j’ai été agressé ou l’autre était dangereux.”

Le traumatisme n’est pas une condamnation à perpétuité

Que se passe -t-il en cas de grand danger, comment réagit le corps traumatisé ?Juliet Drouar évoque celui qu’il cite abondamment dans son dernier livre paru, Trauma, Peter A. Levin, docteur en psychologie et spécialiste du traumatisme, qui lui, va insister sur l’aspect moins politique mais plus clinique, pour appréhender le traumatisme, chez les animaux, chez les humains, de l’ordre de la guérison par le corps. Chez les êtres humains, reprend Juliet Drouar, souvent, on n’arrive pas à sortir de cette réaction de figement pour revenir à l’état antérieur, est traumatisé : “ça veut dire qu’on n’a pas évacué ce qui s’est passé, l’expérience qui s’est passée corporellement n’a pas été comprise par le cerveau, l’énergie stockée n’a pas été évacuée. Et on reste dans l’état, en fait, où on est rentré dans ce figement. On reste avec des émotions de terreur, de rage, de honte”. C’est comme ça que nous, notre corps, restons coincés.

Quand le vocabulaire est trop spécifique

“Ce qui m’est venu en tête, c’était Judith Butler, mais ça pourrait être d’autres autorités, c’est quand le vocabulaire est trop spécifique dans des champs universitaires”, résume Juliet Drouar pour parler d’un auteur qui lui résiste, dont il essaie de décrire le propos, mais que ça lui tombe des mains parce que “c’est trop compliqué” pour lui.

Pour aller plus loin avec notre invité

Juliet Drouar est auteur, en parallèle de son travail de chercheur, art-thérapeute. Parmi ses publications :

Sortir de l’hétérosexualité, Binge Audio, 2021 (un premier essai sur la question de l’hétérosexualité).La Culture de l’inceste, Seuil 2022. Il s’associe avec la journaliste Iris Brey pour coordonner un ouvrage sur la question.Cui-Cui, Seuil 2025 (premier roman).Trauma, Stock 2025 (essai).Références sonoresArchive Sarah Schulman, février 2021. L’autocritique ressentie comme une agression.Texte 1. Confusion entre conflit et agression. Sarah Schulman, Le Conflit n’est pas une agression, chapitre 1 : “En amour : le conflit n’est pas une agression”, traduit par Julia Burtin Zortea et Joséphine Gross, éditions B42, 2016, p.31.Texte 2. E couter sans exclure. Sarah Schulman, Le Conflit n’est pas une agression, op. cité, chapitre 2 : “Se défaire de l’intime : l’Etat et la production de la violence”, p.64.Archive, Peter A. Levine, docteur en psychologie et spécialiste du traumatisme. Le rôle central du corps dans le trauma, 20 décembre 2022.Chanson. Mitski, I don’t like my mind.