Richard Ferrand, le premier compagnon de Macron qui monnaye son influence

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  1. > **Richard Ferrand, le premier compagnon de Macron qui monnaye son influence**
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    > Claire Gatinois et Ivanne Trippenbach
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    > L’ancien président de l’Assemblée nationale, reconverti en consultant, apparaît toujours dans l’entourage officieux du chef de l’Etat.
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    > Emmanuel Macron porte un toast. Puis un autre. Quatorze de ses anciens conseillers fêtent, ce 27 septembre, leur pot de départ dans les salons de l’Elysée. « Je sais ce que je te dois », confie le président de la République aux plus proches. Parmi les convives figure le premier compagnon de marche : Richard Ferrand, ancien président de l’Assemblée nationale sèchement battu aux législatives de juin. Le chef de l’Etat lui rend hommage, aussi. L’ex-élu du Finistère n’est pourtant pas là pour célébrer son retrait.
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    > Le lendemain, il revient au Palais, au dîner des chefs de la majorité présidentielle, pour donner le « la » sur la méthode de la réforme des retraites. Ce soir-là, l’ancien titulaire du perchoir évoque le premier la menace de la dissolution qui, à ses yeux, peut discipliner l’Assemblée ; Emmanuel Macron approuve et réclame à ses communicants de le faire savoir. Richard Ferrand avait déjà son rond de serviette au dîner de rentrée politique, le 1er septembre, et à celui des dirigeants de Renaissance, à la fin août. Sa voix reste écoutée, comme « avant ».
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    > Sans mandat, il flâne dans Paris du mardi au jeudi, depuis sa garçonnière du quartier de l’Opéra où il relit Le Rouge et le Noir, avant de rejoindre femme et enfants dans son ancienne circonscription. Amer ? Parfois. Nombre d’élus de la majorité le décrivent comme ruminant son revers électoral face à une socialiste, inconnue, de 38 ans.
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    > **Vague à l’âme**
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    > L’ancien du Parti socialiste (PS) avait senti venir sa propre défaite. « Christophe est cuit, et moi j’ai très chaud aux fesses », avait-il confié au chef de l’Etat, évoquant un autre fidèle, Christophe Castaner, qui sera battu dans les Alpes-de-Haute-Provence. « Tu es pessimiste », avait voulu rassurer le président. Mais l’intuition du Brestois était la bonne : trente ans de carrière balayée. Comme si la seconde lame du rasoir l’avait fauché, après l’échec des régionales en Bretagne, en 2021. S’en est suivi un grand vide.
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    > En ce début octobre, son vague à l’âme se dissipe. Une actrice, croisée par hasard au Cercle interallié, l’a interpellé pour faire projeter son film à l’Elysée. « Je passerai le message », a promis l’intime du chef de l’Etat, flatté. Preuve que le sexagénaire compte encore. Il n’apparaît plus dans l’organigramme du pouvoir mais échange chaque semaine avec le chef de l’Etat qui, privilège rare, lui porte une oreille attentive. « Celui qui vous dit que Macron vous écoute est un frimeur », minore depuis toujours l’intéressé qui a refusé un poste officiel de conseiller élyséen et le « salaire du bavardage ».
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    > Même sans fonction officielle, le Breton pèse. Sur les retraites, il a convaincu M. Macron de ne pas faire passer la réforme abruptement, dès cet automne, comme l’y poussait la majorité de ses troupes. Il avait déjà barré la route à Catherine Vautrin (ex-Les Républicains), présidente du Grand Reims, que le chef de l’Etat avait, en mai, envisagé de nommer à Matignon à la place d’Elisabeth Borne. Après son départ, il conserve des attaches en recasant ses proches : Meziane Rezki, son ancien chef de cabinet, est désormais conseiller politique de la première ministre et son ex-directeur adjoint de cabinet, Amaury Dumay, dirige celui du ministre des relations avec le Parlement, Franck Riester.
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    > Richard Ferrand reste l’un des hommes du président que Thierry Solère, conseiller spécial de M. Macron, surnomme « le détenteur de la couronne du Christ historique ». L’un de ceux qui osent lui parler franchement. Une qualité précieuse aux yeux du chef de l’Etat, qui s’inquiète de se laisser enfermer par les courtisans.
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    > Celui qui avait pris sa carte au PS à 18 ans assure avoir tourné la page de la politique. Mais, depuis un mois, M. Ferrand fait la tournée des ministres et des parlementaires. Sans jamais quitter son costume trois pièces, il dîne, déjeune, ne dit pas non à un pastis et fume toujours autant. Il met en garde Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, dont l’Elysée ne voulait pas : « Tu connais la loi des médias : je lèche, je lâche, je lynche. » A Franck Riester, il explique comment distinguer chez le député d’opposition la sincérité de la posture. Au Palais-Bourbon, où il dispose toujours d’un bureau, on l’aperçoit de temps en temps. Richard Ferrand soigne son entregent.
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    > Car le retraité de la vie politique ne compte pas se retirer des affaires. Et c’est cet entregent que l’éphémère ministre de la cohésion des territoires compte monnayer. Sa société de « conseil pour les affaires et autres conseils de gestion », destinée aux particuliers, entreprises, fonds d’investissement et associations, est enregistrée depuis le 2 août. Implantée dans le 16e arrondissement de Paris, elle porte le nom de Messidor, référence au mois des moissons dans le calendrier révolutionnaire. « Ça fait aussi penser à un nom de chien », observe un conseiller du chef de l’Etat, qui perçoit un rival en cour et imagine que l’ex-vigie de l’Assemblée pourrait bien ressurgir sur le devant de la scène à l’occasion d’un remaniement.
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    > **« On est heureux pour toi »**
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    > D’ici là, l’ancien journaliste doit veiller au grain. Si sa société ne lui rapporte pas assez, il pourra conserver son indemnité de fin de mandat – environ 2 500 euros par mois jusqu’à l’âge de la retraite. Pour appâter les clients, Richard Ferrand peut faire valoir son carnet d’adresses et un casier judiciaire propre. Le 5 octobre, la Cour de cassation a confirmé la prescription des faits dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne, qui lui avait valu une mise en examen en 2019 pour prise illégale d’intérêts. L’homme était mis en cause pour l’achat de locaux, au nom de sa compagne, en vue de les louer à l’organisme mutualiste qu’il dirigeait. « Par ce montage immobilier et économique, M. Ferrand avait permis à sa compagne d’acquérir un bien immobilier sans bourse délier puisque le loyer couvrait intégralement le prix d’acquisition », rappelle l’arrêt, soulignant que le couple n’a « pas délibérément cherché à dissimuler les conditions dans lesquelles intervenait la signature du contrat de bail ». Un soulagement. Le soir même, Emmanuel Macron l’appelle : « On est heureux pour toi. » Le téléphone de l’ex-député sonne encore. C’est le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon : « Comment va le citoyen Ferrand ? » Encore une sonnerie : Christophe Castaner le félicite.
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    > L’horizon se dégage, même si le mélange des genres, public-privé, agace. « Le risque, c’est le trafic d’influence. Un délit qui n’est pas toujours bien défini en France », relève Olivier Marleix, chef de file des députés Les Républicains. Qui seront les clients de M. Ferrand ? « Secret professionnel », répond-on chez Messidor. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) n’est pas compétente pour se prononcer sur les reconversions de députés, quand bien même celui-ci aurait présidé l’Assemblée.
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    > L’ancien député du Finistère pourrait toutefois devoir rendre des comptes. « Cela ressemble fortement à du lobbying, ce qui est parfaitement légal à condition de respecter les règles de transparence », analyse Jean-Philippe Derosier, professeur de droit constitutionnel à l’université de Lille, directeur scientifique de La Déontologie politique (LexisNexis, 2020). « L’accès direct au président de la République est particulier, précise-t-il. Si une intervention de Richard Ferrand peut influencer une décision publique, il est supposé se déclarer auprès de la HATVP. » Pour l’heure, le nom de Richard Ferrand ne figure nulle part sur les registres.

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