Le Monde – Le combat de Clara Achour contre la justice française : « La violence lors des procédures a été pire que celle du viol »
by Alexis100chaises
Le Monde – Le combat de Clara Achour contre la justice française : « La violence lors des procédures a été pire que celle du viol »
by Alexis100chaises
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A la voir commander avec son air juvénile un chocolat chaud dans le bar parisien où on la rencontre, on a du mal à imaginer que Clara Achour mène un combat de titan. Une bataille qui pourrait obliger la France à modifier sa définition du viol et le traitement judiciaire des affaires de violences sexuelles. Cette musicienne, qui a commencé le violoncelle à 7 ans, a porté plainte le 6 août 2022 contre la France auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) après, estime-t-elle, avoir subi des argumentaires culpabilisants, sexistes et la négation de son non-consentement lors d’un procès pour viol.
« Le cirque de la culture du viol… comme le décrit cette Parisienne de 25 ans, membre de l’orchestre Ostinato. Il ne s’agit plus de faire condamner un violeur, mais ce système judiciaire qui maltraite les victimes. Pour que ça cesse. » Sans attendre la décision de la CEDH, qui devrait être prise au premier semestre, deux députées, Véronique Riotton (Ensemble pour la République) et Marie-Charlotte Garin (Les Ecologistes – EE-LV), ont remis un rapport le 21 janvier et déposé une proposition de loi pour ajouter la notion de non-consentement dans la définition pénale du viol.
Sa détermination à mener ce combat, Clara Achour l’a forgée en écoutant d’autres victimes lors de groupes de discussion qu’elle organise après avoir suivi la formation sur les violences sexuelles du collectif #NousToutes. « Je n’ai pas subi plus que d’autres, précise-t-elle, amère. Mais la violence lors des procédures a été pire que celle du viol. Car elle venait d’institutions censées protéger les victimes. »
Elle affirme avoir été droguée et violée lors d’une soirée par un homme qu’elle considérait comme son ami. Elle se résigne à déposer une plainte pour viol sous soumission chimique en juin 2018, sur les conseils de sa mère adoptive, qui l’a élevée seule. Mais elle n’a alors guère d’espoir de la voir aboutir : 94 % d’entre elles sont classées sans suite (selon l’Institut des politiques publiques sur le traitement judiciaire des violences sexuelles et conjugales en France, pour des faits commis entre 2012 et 2021). « J’ai dû me battre pour que l’affaire ne soit pas correctionnalisée et aille aux assises [c’est-à-dire afin que les faits ne soient pas qualifiés de délit mais bien de crimes] », dénonce-t-elle.
Un accusé acquitté
Le procès a lieu en avril 2022 au tribunal de Paris. Elle s’attendait à « faire face à des magistrats froids mais impartiaux ». Elle sort en état de choc de cette audience. « On m’a demandé si je ne l’avais pas cherché du fait de ma tenue, détaille-t-elle. On a questionné le fait que je sois restée dans le lit après le viol, on a estimé qu’il avait mal compris mon non-consentement, alors que je dormais. » L’accusé, qui a finalement reconnu l’avoir pénétrée sans son consentement, mais s’est défendu d’avoir voulu la violer, est acquitté.
Sa vingtaine d’amis présents au procès l’aident cependant à remonter la pente. Puis elle découvre la requête déposée en 2022 auprès de la CEDH par Emily Spanton, afin de faire condamner la justice française pour victimisation secondaire et préjugés sexistes. Cette touriste canadienne avait accusé des policiers de l’avoir violée au 36, quai des Orfèvres en 2014. Ceux-ci avaient été relaxés. « Cette démarche m’a inspirée. Il m’était intolérable que tout s’arrête sans avoir été reconnue comme victime, surtout après la violence de la procédure judiciaire. »
Sans formation juridique, elle décrypte les textes de loi, liste les manquements du procès. Puis rédige seule sa requête, validée en 2023, comme celles de six autres victimes ayant usé séparément du même recours, sans s’être concertées ni se connaître. La CEDH l’a validée, alors que 95 % des demandes sont rejetées. Avec celle d’Emily Spanton, la cour doit donc se pencher sur huit requêtes qui demandent la condamnation de la France dans des affaires de viols.
Chez les magistrats, « le meilleur côtoie le pire »
« Clara a dû soigner ses traumas avant, mais aujourd’hui elle met tant de sourires et d’énergie dans cette lutte… », raconte avec admiration Hélène Martinelli, une des initiatrices de « Notre ohrage », une campagne artistique féministe qui médiatise les recours de ces huit femmes. « Dans l’affaire de Clara, le jury a acquitté le prévenu en se fondant sur le doute que cet homme aurait eu quant à son consentement, explique l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation Patrice Spinosi, qui la représente depuis la validation de sa requête. La CEDH va statuer si ce motif est valable ou non : ce qui questionnera la manière dont la justice définit le viol. »
Avocate en droit des femmes et spécialiste des violences conjugales, Anne Bouillon note une amélioration du traitement judiciaire ces dernières années, tout en nuançant fortement son propos : « Des magistrats se forment, on accueille mieux les femmes… Mais le meilleur côtoie le pire et, pour les victimes, c’est la loterie. Car, à voir certains avocats, on a parfois l’impression qu’il faut malmener la victime pour s’assurer qu’elle dit la vérité. »
Selon Patrice Spinosi, « la Cour jugera ensemble les huit requêtes pour pointer un problème systémique dans le traitement judiciaire, avec un arrêt de principe qui pourrait obliger la France à mener des réformes. » Pour Clara Achour, « ce serait fantastique si la CEDH condamnait la France pour non-respect des droits des victimes. » Combative, jusqu’au bout.
A cette annonce, Clara Achour quitte la salle d’audience, tente de sauter d’un balcon dans l’enceinte du tribunal, mais est retenue par une amie. Elle ne mange ni ne dort durant des jours. Les terreurs nocturnes, les troubles alimentaires, les automutilations ont depuis disparu, mais la colère d’avoir souffert d’un stress post-traumatique réactivé par le procès reste vive. Elle explique qu’elle a dû enchaîner les petits jobs pour payer ses soins psychologiques, au lieu de construire sa vie.
> Il ne s’agit plus de faire condamner un violeur, mais ce système judiciaire qui maltraite les victimes.
Je n’ai pas accès à tout l’article, mais je suppose que la stratégie de la défense lors du procès a été de dire que la fille était consentante. Et que ça s’est fini en non lieu, car la justice ne sait pas traiter un cas de “parole contre parole”.
Et dans ce cas, à moins de remettre en cause la présomption d’innocence ou de mettre en place des procédures rigides pour s’assurer du consentement de quelqu’un (style attestation papier signée par les participants), je ne vois pas beaucoup de solutions…
[EDIT] Après lecture du commentaire d’OP, je vais réviser mon avis initial. La défense a effectivement été plus brutale que je l’avais supposé.
Bon n’empêche que la notion de “consentement”, c’est difficile de l’évaluer à froid, quand il n’y a pas de vidéos, ni de témoins. Il faut que l’accusé soit suffisamment honnête et/ou stupide pour avouer avoir commis un viol.
J’espère que sa requête (et les autres) aboutiront.
L’affaire a depuis été oubliée, mais le cas d’Emily Spanton est un énième exemple frappant de l’impunité de la police.
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