AboPendulaires en Suisse –
Champion des «cantons dortoirs», Fribourg est piégé par sa démographie
La population du canton a augmenté de plus de 42% depuis l’an 2000. Mais une part importante travaille ailleurs.

Fribourg, avec au fond le récent pont de la Poya, qui fait désormais partie de la silhouette de la ville.
GETTY IMAGES/ISTOCKPHOTO
Le bonheur économique fribourgeois s’est-il endormi sur les lauriers de sa belle démographie? C’est la question, alors que la récente statistique des travailleurs pendulaires de Suisse fait de Fribourg le plus important «canton dortoir» du pays (voir la carte ci-dessous).
En clair, chaque matin, 43’000 personnes le quittent pour aller travailler ailleurs, direction Berne ou les bords du Léman. Et pendant ce temps, seuls 16’000 autres font un trajet inverse. Rapporté à l’ensemble des pendulaires (y compris ceux qui se déplacent à l’intérieur du canton), cela donne un ratio de -19,3%. Le pire de Suisse, derrière l’Argovie (-18,6%) ou la Thurgovie (-18,3%). À l’autre bout des statistiques, avec un solde très positif de pendulaires, on trouve Zurich (+11,6%) ou Zoug, qui culmine à +42,8%.
«Ce n’est pas négatif en soi», estime Philippe Gumy, directeur adjoint de la Chambre de commerce et d’industrie du canton de Fribourg (CCIF). Le phénomène est d’ailleurs récurrent depuis des années. Mais les chiffres des pendulaires n’ont pas cessé d’augmenter. «L’attractivité et le boom démographique demeurent forts dans le sud du canton, vers Bulle, la Veveyse ou alors la Broye, poursuit Philippe Gumy. Les loyers et les prix des terrains demeurent pourtant abordables.»
Fribourg bénéficie ainsi, démographiquement, de sa «situation parfaite» entre les places fortes de la région de Berne et de l’arc lémanique. Résultat, entre l’an 2000 et aujourd’hui, la population du canton est passée de 240’000 habitants à plus de 341’000: 42% de plus en un quart de siècle.
Nombreux défis
À la tête du Conseil d’État, le socialiste Jean-François Steiert est également président de la Conférence des directeurs cantonaux des travaux publics, de l’aménagement du territoire et de l’environnement (DTAP). «La situation de ces pendulaires pose différents défis, dit-il. D’abord celui de la mobilité, avec ses conséquences environnementales et climatiques.» Car si, au total, huit personnes sur dix doivent se déplacer pour aller au travail (ce qui correspond à ce qui se passe au niveau suisse), des chiffres publiés l’an dernier sont cruels: 67,2% des pendulaires fribourgeois le font en transport individuel motorisé: voiture, scooter ou moto. C’est, encore une fois, au-dessus de la moyenne helvétique, qui avoisine les 52%.
«Depuis une quarantaine d’années, explique Jean-François Steiert, la démographie et un aménagement du territoire ont aussi provoqué ce qu’on appelle un mitage. Ce qui en résulte, c’est une impossibilité d’avoir des transports publics efficaces partout. Désormais, on tente de mieux piloter cet aménagement, en travaillant aussi avec nos voisins vaudois et bernois. Mais cela prend du temps.»

Jean-Francois Steiert:, président du gouvernement fribourgeois: «De nombreux salariés préfèrent être un peu moins payés en étant à cinq minutes du travail que gagner plus en devant voyager deux heures par jour.»
ÉTAT DE FRIBOURG/PIERRE-YVES MASSOT
Et cela a déjà pris de la place: il devient «difficile et long de trouver les terrains nécessaires pour faire venir des entreprises», soupire Philippe Gumy, rappelant pourtant le succès que représente la venue prochaine de Rolex à côté de Bulle. «Il faudrait, pour qu’il y ait moins de pendulaires, créer plus d’emplois, mais ça ne veut pas dire qu’on n’en crée pas, ajoute-t-il. Il faut qu’on y arrive dans des secteurs à plus forte valeur ajoutée, avec une main-d’œuvre très qualifiée, que nous peinons pour l’instant à recruter.»
Jean-François Steiert pense aussi qu’un meilleur équilibre doit se mettre en place, en rapprochant les habitants de leur lieu de travail: «De nombreux salariés préfèrent être un peu moins payés en étant à cinq minutes du travail que gagner plus en devant voyager deux heures par jour.»
Mais en attendant, les finances du canton sont en déficit. Le produit intérieur brut nominal des Fribourgeois est plus bas que la moyenne suisse et romande. Car si les pendulaires paient bien des impôts à Fribourg, ils créent de la richesse et de la valeur ajoutée ailleurs. Pendant ce temps, le Canton doit payer des infrastructures liées à cet afflux: écoles, routes, hôpitaux, transports.
Attirer les riches
Pour le professeur d’économie Reiner Eichenberger, de l’Université de Fribourg, le canton doit peut-être réfléchir à d’autres stratégies. «Fribourg, grâce à sa situation géographique, aurait tout pour être le Zoug de Suisse romande. Mais on a attiré ici, grâce à des loyers bas et des terrains accessibles, des salariés et des familles à trop faibles revenus. Si votre ménage avec deux enfants gagne 150’000 francs par an, il rapporte à l’État moins que ce que lui coûtent les infrastructures.»
Il faudrait séduire les riches? «Zoug, situé de manière comparable, près de Zurich, a mieux réussi depuis quarante ou cinquante ans, en faisant s’installer des gens avec des revenus plus hauts, grâce à une politique fiscale avantageuse. Avec l’argent que cela rapporte, vous pouvez ensuite baisser aussi les impôts des classes moyennes, proposer des activités culturelles qui intéressent les classes aisées, faire venir des écoles privées pour leurs enfants, etc.»
Car une fois les managers et cadres installés dans le canton de Zoug, il n’y a ensuite pas eu de problème, usant toujours de la fiscalité, pour faire prendre le même chemin aux entreprises à forte valeur ajoutée. «C’est un cliché désuet d’imaginer Zoug avec juste des banques ou des fiduciaires. Technologie, informatique, recherche: beaucoup de sociétés nouvelles et en croissance y travaillent désormais», souligne Reiner Eichenberger.
De telles stratégies fiscales sont cependant parfois difficiles à faire accepter par les citoyens, et leurs éventuels bénéfices se déploient des décennies plus tard. Fribourg, grand canton dortoir romand, devra se réveiller pour sortir du piège.
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