Instrumentaliser le féminisme

“Ce collectif qui se dit féministe est avant tout un collectif d’extrême droite de la mouvance identitaire ; cela se voit très clairement quand on s’intéresse à la socialisation politique de ses membres”, explique Charlène Calderaro, sociologue à l’Université de Lausanne (Suisse), qui a soutenu en 2024 sa thèse sur l’appropriation du féminisme par l’extrême droite et interrogé des militantes de Némésis. “Ce sont surtout des jeunes femmes dans la vingtaine, qui sont passées par des groupes d’extrême droite qui ne sont pas du tout féministes, comme le syndicat étudiant La Cocarde, mais aussi l’UNI, de droite dure, ou des collectifs royalistes, comme l’Action française. Pour les féministes héritières des luttes des années 1970, Némésis instrumentalise le féminisme, en le détournant à des fins racistes.”

“Nous devons et pouvons agir maintenant. Ne laissons pas aux populistes et à l’extrême droite le monopole du récit d’avenir”Chroniqueuse chez Hanouna

Le collectif ne compte que quelques centaines de militantes, mais il bénéficie d’un important écho. Sa présidente, Alice Cordier (Kerviel de son vrai nom), 28 ans, apparait fréquemment dans les médias de la galaxie Bolloré, dont CNews.

Elle a aussi été chroniqueuse chez Cyril Hanouna sur C8. Le collectif peut aussi faire passer ses messages dans des médias étiquetés à l’extrême droite, comme Frontières (ex-Livre noir) et Valeurs actuelles.

“Némésis n’est en effet pas un mouvement de masse, mais il s’inscrit dans ce courant identitaire qui entend agir sur le terrain des idées, en s’engageant dans le combat culturel, c’est-à-dire non seulement par la lutte politique et électorale, mais aussi à travers la diffusion de leurs idées via les maisons d’édition, les instituts, les médias et les réseaux sociaux”, souligne Charlène Calderaro. “Némésis fait donc circuler ses idées à travers un certain nombre de ressources et cela porte visiblement ses fruits. Ce n’est pas un grand collectif, mais il parvient à faire parler de lui et à trouver un grand écho.”

Le RN garde ses distances

Sa ligne rejoint celle des partis politiques d’extrême droite. Si l’eurodéputée Reconquête Sarah Knafo était dans le cortège de Némésis le 8 mars à Paris, le RN garde plutôt ses distances, en raison de sa stratégie de dédiabolisation. “La proximité idéologique est claire, assure la sociologue. Certaines militantes de Némésis sont membres du RN ou de Reconquête. Certaines ont aussi pu appeler à voter Marine Le Pen à l’approche de scrutins. Ils gravitent dans les mêmes cercles. Et puis, il y a une convergence d’intérêts entre Némésis et le RN. Némésis veut véhiculer ses idées identitaires, faire émerger un féminisme dit d’extrême droite, et pousser un peu plus de femmes encore à voter extrême droite. Le fossé de genre dans le vote pour l’extrême droite s’est d’ailleurs déjà bien réduit sous l’impulsion de Marine Le Pen. Les femmes votent aujourd’hui autant que les hommes pour le RN.”

“Emmanuel Macron profite aussi de deux éléments de contexte”: le président français, fer de lance du sursaut européenS’étendre en Europe

Le collectif veut aussi s’étendre en Europe, à commencer par la Belgique, comme l’explique Alice Cordier dans un récent article du Journal du dimanche, quotidien du groupe Bolloré. Des actions seraient déjà prévues en avril.

“Némésis s’est déjà installé en Suisse de manière durable ; il perturbe par exemple les manifestations féministes ou colle des stickers, glisse Charlène Calderaro. On pourrait s’attendre à la même chose en Belgique. Le collectif pourrait marquer son territoire dans l’espace public, avec des affiches et des autocollants. Il pourrait déployer des banderoles lors d’événements ou dans un lieu symbolique, avant de publier des photos sur les réseaux sociaux pour annoncer sa présence et lancer une campagne de recrutement, à l’image de ce qui s’est passé en Suisse. Némésis avait d’ailleurs déjà essayé de s’implanter il y a quelques années en Belgique, sans succès. Mais encore une fois, les militantes n’ont pas besoin d’être très nombreuses pour véhiculer leurs idées.”