D’ici 15 à 20 ans, le CO₂ issu de la combustion des déchets ménagers et industriels suisses pourrait être stocké sous terre afin de soutenir les objectifs de neutralité carbone du pays. Un projet pilote près de Zurich devrait permettre de clarifier la stratégie idéale: stocker le carbone en Suisse ou le pomper sous la mer du Nord.

Situé au milieu de collines verdoyantes et de vignobles à 30 minutes au nord de Zurich, Trüllikon est un village paisible et bucolique, qui, à première vue, semble présenter un intérêt industriel limité.

La petite bourgade de Trüllikon, dans le canton de Zurich. [KEYSTONE - STEFFEN SCHMIDT] La petite bourgade de Trüllikon, dans le canton de Zurich. [KEYSTONE – STEFFEN SCHMIDT]

On y trouve un bureau de poste, deux restaurants et un supermarché, mais aussi un forage profond désaffecté d’importance nationale. L’installation offre un aperçu de l’environnement souterrain et de son potentiel en tant qu’espace de stockage géologique.

Etude de l’EPFZ

Depuis l’automne dernier, des scientifiques de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) étudient la faisabilité du stockage du CO₂ dans le sous-sol.

Chercheuses et chercheurs effectuent des mesures sismiques en profondeur. Ces données sont intégrées à une modélisation informatique qui évalue la capacité de stockage et les risques. Si le feu vert est donné, de petites quantités de CO₂ pourraient être injectées sur le site dès la mi-2026.

Coupe transversale de la situation géologique sous Trüllikon, près de Zurich, et du processus d'injection de CO2. [EPFZ] Coupe transversale de la situation géologique sous Trüllikon, près de Zurich, et du processus d’injection de CO₂. [EPFZ]

Mais Trüllikon n’est qu’un test, insiste Michèle Marti, scientifique au Service sismologique suisse de l’EPFZ, qui supervise la communication du projet.

“Il n’est pas prévu de transformer le sous-sol de Trüllikon en site de stockage permanent. Après ce test, nous fermerons le forage et cesserons d’y injecter du CO₂”, explique-t-elle.

Essentiel pour la stratégie nationale de capture de carbone

Malgré son caractère temporaire, le projet de Trüllikon est essentiel pour façonner la stratégie progressive de la Suisse en matière de captage et de stockage du carbone (CSC).

Les scientifiques examineront la viabilité du stockage du CO₂ sur le territoire suisse et recueilleront des données précieuses sur les quantités et les coûts qui guideront les décisions relatives au stockage à long terme du CO₂, tant en Suisse qu’à l’étranger.

Sites potentiels de stockage de CO2 en Europe, selon les données du projet CO2StoP de 2013 financé par l'UE. [Joint Research Center (2024)] Sites potentiels de stockage de CO2 en Europe, selon les données du projet CO2StoP de 2013 financé par l’UE. [Joint Research Center (2024)]

“La question principale à l’heure actuelle est: faut-il stocker le CO₂ en Suisse ou à l’étranger, déclare à SWI swissinfo.ch Cyril Brunner, climatologue senior à l’EPFZ. “C’est pourquoi ce test à Trüllikon est si important. Ce projet pilote permettra de déterminer le coût du stockage en Suisse et les autres compromis possibles.”

Des projets coûteux et risqués, selon les critiques

Bien que les technologies de CSC soient reconnues par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) comme étant cruciales pour les objectifs climatiques, des ONG comme Greenpeace critiquent de tels procédés. Ces projets seraient coûteux et risqués, estime l’organisation, et ils pourraient prolonger l’utilisation des combustibles fossiles.

Le gouvernement suisse considère néanmoins cette technologie comme essentielle pour atteindre son objectif de zéro émission nette d’ici 2050. D’ici là, sept millions de tonnes de CO₂ captées par les usines de traitement des déchets et les cimenteries pourraient être stockées annuellement.

Les émissions de carbone de la Suisse peuvent être compensées grâce au captage et stockage du carbone (CSC) et aux technologies d'émissions négatives (TEN). Le CSC capte et stocke le CO2 fossile et issu de procédés industriels dans des installations telles que les usines de traitement des déchets afin de réduire les émissions, tandis que les TNE visent à éliminer définitivement le CO2 de l'atmosphère. Les émissions de carbone de la Suisse peuvent être en partie compensées grâce au captage et stockage du carbone (CSC) et aux technologies d’émissions négatives (TEN). Le CSC capte et stocke le CO₂ fossile et issu de procédés industriels dans des installations telles que les usines de traitement des déchets afin de réduire les émissions, tandis que les TNE visent à éliminer définitivement le CO₂ de l’atmosphère. Combien de forages nécessaires?

“Ce que nous cherchons à déterminer à Trüllikon, c’est le nombre de forages nécessaires pour stocker une certaine quantité de CO₂ par an”, explique Cyril Brunner. “Nous ne savons pas si la porosité de la roche – donc la quantité de CO₂ qui peut s’y diffuser – est suffisante pour nécessiter un forage pour un million de tonnes de CO₂, par exemple. Faudrait-il un forage par usine d’incinération des déchets, ou un pour dix usines?”

Les premières estimations du gouvernement suggèrent que cinq sites de stockage suisses pourraient être nécessaires.

Des coûts importants et de nombreuses incertitudes

Selon une étude commandée par le gouvernement suisse en 2023, la construction d’un système suisse de captage et de stockage du carbone (CSC) entre 2028 et 2050 coûterait 16,3 milliards de francs suisses, dont 1 à 2 milliards de francs suisses de coûts d’exploitation annuels.

Plus de la moitié de ce coût serait consacrée aux infrastructures de captage du CO₂, tandis que la construction de pipelines en représenterait 30%. Cependant, expertes et experts préviennent que ces chiffres sont très incertains.

Et des questions clés demeurent sans réponse. Quels sont les risques? L’idée pourrait-elle se heurter à des résistances, comme celles rencontrées par les projets géothermiques ou éoliens? Quelle quantité de CO₂ suisse pourrait être exportée vers des pays tiers?

Simon Bradley (SWI swissinfo.ch)

Julien Furrer (RTS)