Il s’agit d’un véritable «retour à la case départ». Max (nom d’emprunt) a débarqué au Luxembourg en août 2022. Six mois après le début de l’invasion russe, il a fui la ville de Poltava, dans le centre de l’Ukraine, accompagné de sa femme. Respectivement âgés de 59 et 67 ans, Max et Anna (nom d’emprunt) ont trouvé refuge au sein de la structure d’hébergement d’urgence (SHUK) au Kirchberg. «Nous étions heureux de trouver un abri», souffle le réfugié.

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À l’instar des nombreux réfugiés ukrainiens accueillis au Grand-Duché en 2022, le couple a obtenu le statut de protection temporaire. Du SHUK, Max et Anna ont été transférés au sein du centre de primo-accueil, créé rue Tony Rollman au Kirchberg afin de répondre à l’afflux important de réfugiés.

Au bout de quelques semaines seulement, le couple a ensuite été relogé dans un hôtel de Dudelange, au même titre qu’une trentaine d’autres réfugiés.

Une situation sans solution

Trois ans et demi plus tard, Max et Anna résident toujours dans cette même commune du sud du Luxembourg. Mais depuis plusieurs semaines, c’est avec une boule au ventre qu’ils rentrent dans la chambre qui leur est gratuitement mise à disposition par la Croix-Rouge luxembourgeoise depuis le mois de décembre 2023. «Notre contrat de mise a disposition du logement a été prolongé à deux reprises, mais il a pris fin en mars 2025. Nous sommes tenus de quitter le logement», explique le réfugié.

Les seuls conseils que l’on a pu me donner oralement, c’est de prendre un travail non qualifié, et de retourner au centre de primo-accueil.

Max

réfugié venu d’Ukraine

Si Max comprend parfaitement être dans l’obligation de quitter les lieux, il déplore qu’aucune solution de repli ne lui soit proposée. Malgré un master en ingénierie, le quinquagénaire peine à trouver un emploi, et se consacre actuellement à son apprentissage du français, ainsi qu’à des cours sur les institutions européennes dispensés à l’Université du Luxembourg. «Les seuls conseils que l’on a pu me donner oralement, c’est de prendre un travail non qualifié, et de retourner au centre de primo-accueil», dénonce le réfugié venu d’Ukraine.

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Pour Max, une telle option n’est pas envisageable. D’un point de vue psychologique, d’une part, le réfugié considérant que «tous [ses] efforts d’intégrations seraient brisés» par ce retour au Kirchberg. Mais également sur le plan médical. «Ma femme souffre de problèmes de santé et ne peut pas retourner dans cette ‘’ville de tentes’’ où l’on est parfois hébergés dans la même pièce avec 12 personnes, dans des conditions terribles», souligne le réfugié, certificat médical à l’appui.

Plusieurs cas répertoriés

Max et Anna sont loin d’être les seuls réfugiés venus d’Ukraine se trouvant dans cette impasse financière. Représentante du Commissaire aux droits de l’homme du Parlement ukrainien au Grand-Duché de Luxembourg depuis octobre 2024, Inna Yaremenko dit être contactée toutes les semaines par des réfugiés en proie à des difficultés de logement.

La plupart des cas concernent des femmes ayant un ou plusieurs enfants à charge. «Elles ne connaissent pas forcément les langues administratives, elles ont du mal à trouver un travail, c’est très difficile pour elles», décrit celle qui est également vice-présidente de LUkraine asbl.

Inna Yaremenko est arrivée au Luxembourg il y a sept ans, bien avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. © PHOTO: Michael Merten

Si dans ces cas, comme dans celui de Max et Anna, la procédure de fin de mise à disposition des logements est conforme, la représentante regrette les conséquences humaines induites par chacune de ces situations. «Au bout du compte, c’est une question d’humanité. Derrière ces histoires se trouvent des humains, des femmes, des enfants. J’ai moi-même une fille de 9 ans, et je ne peux même pas imaginer ce que ce serait de prendre ma fille, un bagage, et de partir dans un autre pays pour commencer une nouvelle vie. J’en ai des cauchemars.»

Ce n’est pas vrai de dire que les réfugiés peuvent facilement trouver un job et un logement, c’est même hypocrite.

Inna Yaremenko

Représentante du Commissaire aux droits de l’homme du Parlement ukrainien au Grand-Duché de Luxembourg

Pour chacune des plaintes qui atterrissent dans sa boîte mail, Inna Yaremenko tente de trouver des solutions. Mais l’Ukrainienne, arrivée au Luxembourg il y a sept ans, se sent parfois bien démunie. «Une femme ukrainienne avec des enfants à charge et le statut de bénéficiaire de protection temporaire ne peut pas trouver un appartement. J’ai déjà aidé une réfugiée dans ce cas de figure, en visitant des appartements avec elle et en tentant de donner des garanties aux propriétaires, mais c’est impossible. Ce n’est pas vrai de dire que les réfugiés peuvent facilement trouver un job et un logement, c’est même hypocrite.»

56 logements mis à disposition par la Croix-Rouge

De son côté, la Croix-Rouge indique que la durée totale de la mise à disposition des logements obtenus à titre gratuit par les BTP est stipulée dans le contrat de mise à disposition dès le départ.

Ces contrats peuvent être renouvelés «dans des cas exceptionnels», comme celui de Max et Anna. «La Croix-Rouge effectue un suivi social des personnes occupant le logement pour les aider notamment à trouver des solutions plus pérennes en devenant autonomes», souligne l’organe caritatif, qui précise qu’en 2024, 21 familles, soit 121 réfugiés, ont pu s’intégrer grâce au travail et à l’obtention d’un logement sur le marché privé.

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Début 2025, la Croix-Rouge décomptait 56 logements mis à disposition de 91 familles, soit 241 personnes. Parmi ces familles, 30 ont trouvé une solution pérenne en trouvant un hébergement sur le marché privé, ou en signant un contrat privé pour le logement précédemment mis à disposition gratuitement. L’organisation caritative indique s’efforcer de trouver une solution au cas par cas pour chaque bénéficiaire de protection temporaire.

Il est clair et connu que la crise du logement au Luxembourg ne facilite pas les possibilités de trouver un logement accueillant pour les personnes réfugiées.

Croix-Rouge luxembourgeoise

Ainsi, en 2024, 15 familles ont trouvé un hébergement dans une famille d’accueil suite à la fin de la mise à disposition de leur logement. 15 autres familles ont trouvé un logement sur le marché privé, et 6 familles ont signé un contrat privé pour le logement précédemment mis à disposition gratuitement.

Cinq autres familles sont pour leur part retournées en Ukraine. «Parfois les réfugiés nous informent qu’ils vont vivre chez leur petit ami, famille ou proches, voire même à l’étranger, mais nous ne disposons pas toujours des informations que les bénéficiaires ne nous communiquent pas systématiquement.»

Le réseau est saturé

Pour celles et ceux qui ne sont pas en moyen de s’insérer sur le marché privé, la Croix-Rouge rappelle que «les bénéficiaires peuvent aussi retourner au foyer de l’Office national de l’accueil (ONA). Dans ce cas, les BPT seront effectivement dans un premier temps hébergés dans le centre de primo-accueil au Kirchberg avant d’être relogés dans une autre structure ONA par la suite».

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«Il est clair et connu que la crise du logement au Luxembourg ne facilite pas les possibilités de trouver un logement accueillant pour les personnes réfugiées. Cette crise du logement a également un impact sur l’accueil des demandeurs de Protection Internationale qui devraient sortir des structures et y restent, faute de logements abordables», convient la Croix-Rouge.

Je ne pensais pas que de telles choses pouvaient arriver au Luxembourg.

Inna Yaremenko

Représentante du Commissaire aux droits de l’homme du Parlement ukrainien au Grand-Duché de Luxembourg

Une situation dont est bien au fait le ministère de la Famille, des Solidarités, du Vivre ensemble et de l’Accueil. «Le réseau d’accueil est complètement saturé. L’ONA est proactivement à la recherche de terrains ou immeubles pour créer des structures d’hébergement», fait savoir le ministère. L’ONA cible notamment ses efforts dans les communes qui ne disposent pas encore de structure d’hébergement pour les demandeurs de protection internationale sur leur territoire.

Des «souvenirs épouvantables» du centre de primo-accueil

Bien conscient qu’il ne pourra pas accéder au marché privé du logement sans revenu stable, Max a sollicité la Croix-Rouge pour une aide financière. Celle-ci ne lui a pas été octroyée.

Désormais titulaire d’un titre de séjour, le réfugié a introduit une demande de logement social auprès de la commune de Differdange, et a été inscrit à la liste d’attente. Parallèlement, le réfugié a introduit une requête en instauration de mesures de sauvegardes auprès du tribunal administratif, requête rejetée par l’instance le 28 mars dernier.

Aujourd’hui, Max et Anna se retrouvent donc sans autre solution que celle d’un retour à la case départ, au centre de primo-accueil de la rue Tony Rollman. Un endroit dont les époux indiquent avoir garder «des souvenirs épouvantables».

Le mode d’hébergement collectif, le manque de chauffage ou encore le mauvais état des sanitaires sont notamment pointés du doigt par le réfugié. De son côté, le ministère de l’Accueil précise que «les installations sanitaires sont régulièrement nettoyées», et que «les BPT sont encouragés à participer au nettoyage des espaces communs».

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Inna Yaremenko, elle, ne mâche pas ses mots. «Le centre Tony Rollman est un véritable ghetto. Toute la communauté ukrainienne est au courant. C’est un endroit horrible, en particulier pour les personnes qui ont des enfants. Cet endroit a été conçu pour que les réfugiés n’y restent que quelques semaines, mais j’ai reçu des plaintes de réfugiés qui y vivent depuis plusieurs mois.» La représentante du Commissaire aux droits de l’homme du Parlement ukrainien est au fait des problèmes de propreté récurrents au sein du bâtiment.

L’espoir d’une rencontre

«Je ne pensais pas que de telles choses pouvaient arriver au Luxembourg. Une réfugiée m’a confié, il y a quelques mois, avoir choisi le Grand-Duché, car elle pensait qu’il s’agissait de l’un des meilleurs pays européens, notamment en termes d’éducation pour ses enfants. Quand elle s’est réveillée au Centre de primo-accueil, elle a été choquée de ce qu’elle a vu, et elle m’a indiqué ne pas comprendre qu’une si belle ville pouvait cacher un endroit aussi horrible», affirme la vice-présidente de LUkraine.

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Face à l’afflux de nouvelles plaintes émanant de la communauté ukrainienne, Inna Yaremenko a un plan en tête: elle espère rencontrer prochainement Claudine Konsbruck, le nouvel ombudsman du Luxembourg, pour porter à sa connaissance ces multiples situations. «Le problème est que les réfugiés ne connaissent pas leurs droits et ont peur de parler, au risque de perdre leur protection temporaire», déplore la représentante. En attendant de pouvoir faire bouger les lignes à l’échelle du pays, Inna Yaremenko continue à s’investir au cas par cas auprès de ses compatriotes.