AboAlimentation et nutrition –
Pourquoi le lapin Nesquik est autorisé en Suisse, mais interdit au Mexique
Nestlé veut que ses produits plaisent à la majorité de consommateurs dans le monde. Mais il doit également s’adapter à des régulations différentes, en raison notamment de l’obésité. Explications.

En Suisse comme en Allemagne, le paquet de flocons Nesquik affiche le lapin avec les vitamines et le blé complet.
IMAGO/Zoonar
Sur l’emballage jaune vif, un lapin aux allures de dessin animé sourit de toutes ses dents. Dans le paquet, les flocons Nesquik ont quasi le même aspect en Suisse qu’en Italie. Par contre, leur teneur en sucre diffère largement: en Suisse, comme en Allemagne et en Autriche, les boules de chocolat de Nestlé présentent 22,1 grammes de sucre pour 100 grammes, contre 25,08 en Italie.
Cette même différence concerne d’autres produits Nestlé, comme le lapin de Pâques After-Eight. Comment l’expliquer?
Au moins 60% des consommateurs doivent préférer le produit Nestlé
En fonction depuis septembre 2024, le directeur général de la multinationale veveysanne, Laurent Freixe, mise sur la règle 60/40 +. En clair: lors d’un test à l’aveugle, au moins 60% des testeurs doivent trouver le produit Nestlé meilleur que celui de la concurrence. Le produit doit également présenter une valeur nutritionnelle globale élevée, notamment grâce à l’ajout d’additifs sains comme les vitamines.
Le sucre joue un rôle important, la plupart des consommateurs préférant les produits sucrés.

Le patron de Nestlé, Laurent Freixe, le 16 avril 2025 à Écublens. Il mise sur la formule 60/40 +: au moins 60% des testeurs doivent préférer le produit Nestlé à la concurrence.
Gabriel Monnet/AFP
Le problème pour la multinationale: au vu de l’augmentation de l’obésité au sein de leur population, plusieurs pays ont limité la teneur en sucre des aliments. Laurent Freixe assure vouloir améliorer le goût de ses produits plus sains, mais cela ne fonctionnera que si la concurrence suit le mouvement.
«Si les objectifs de Nestlé échouent, les consommateurs se tourneront vers des produits au goût sucré habituel», observe Michael Siegrist, de l’École polytechnique de Zurich (EPFZ). Ce professeur spécialisé dans le comportement des consommateurs a auparavant travaillé dans une association de producteurs de denrées alimentaires et connaît donc leurs contraintes de marché. La multinationale, de son côté, ne souhaite pas commenter davantage.
L’inflation pousse Nestlé à revoir ses objectifs à la baisse
L’année dernière, le groupe a dû revoir deux fois ses objectifs de vente à la baisse. Aux États-Unis notamment, l’un de ses marchés les plus importants, les consommateurs se tournent plutôt vers des produits meilleur marché en raison de l’inflation.
Cette année encore, la question des prix est centrale. La menace de la hausse des droits de douane n’impacte pas le groupe, car il produit presque tout lui-même, à l’exception des capsules Nespresso. En revanche, le budget des Américains devrait être encore plus serré qu’en 2024.
Un engagement à réduire le sucre de 15% dans les céréales
L’accent est également mis sur le goût. Présent dans 185 pays, Nestlé ne cible pas seulement les personnes avec un pouvoir d’achat important, mais aussi le marché de masse mondial. En d’autres termes: en plus des végétaliens branchés qui gagnent bien leur vie, le paquebot suisse de l’alimentation s’intéresse aussi aux consommateurs pour lesquels la composition des produits importe peu en comparaison avec le prix et le goût. Les céréales doivent séduire leurs papilles, même avec moins de sucre.
En Suisse, sous la pression du Département fédéral de l’intérieur, les grands fabricants de produits alimentaires se sont engagés, en 2019, à réduire de 15% le sucre dans les céréales du petit-déjeuner d’ici à la fin 2024.
Nestlé met donc moins de sucre dans les flocons Nesquik produits avec son partenaire General Mills. En Italie, où le gouvernement ne fait pas pression pour un accord sectoriel, les céréales de Nestlé – ainsi que celles de la concurrence – restent par conséquent plus sucrées.
Le directeur général Laurent Freixe, qui a rejoint Nestlé il y a près de 40 ans, sait que ses produits ne doivent pas seulement plaire aux Suisses ou aux New-Yorkais soucieux de leur santé, mais aussi aux favelas du Brésil et autres quartiers défavorisés de la planète. «Dans les pays du Sud, les fruits sont plus sucrés, c’est pourquoi la valeur attendue des aliments produits est également différente», note Michael Siegrist de l’EPFZ.
Cela se répercute également sur les aliments destinés aux tout-petits, pour lesquels les normes Nestlé diffèrent selon les pays. La multinationale n’ajoute pas de sucre dans les bouillies de céréales destinées aux bébés de plus de six mois en Suisse, mais le fait dans des pays comme le Sénégal ou l’Afrique du Sud.
Il en va de même pour le lait de suite de la marque Nido, comme l’a analysé l’ONG Public Eye en collaboration avec l’International Baby Food Action Network (réseau international d’action pour l’alimentation infantile). L’année dernière, leur enquête a dénoncé un «double standard en matière de sucre» dans deux des marques d’aliments pour bébés – Cerelac et Nido – dans des pays à plus faibles revenus ainsi qu’une pratique commerciale «contraire à l’éthique et déloyale».
Jusqu’à la fin de l’année dernière, Nestlé a supprimé le sucre de son lait de suite (destiné aux bébés de plus de six mois) dans le monde entier, mais pas le sucre raffiné, le miel ou le fructose. «Pour que les enfants puissent profiter des nutriments contenus dans les produits, il est important que le goût soit accepté par les consommateurs», explique un porte-parole. En résumé, selon la logique du groupe, les vitamines et autres additifs justifient l’ajout de sucre.
Le Mexique a banni le lapin rieur de Nesquik
Au vu du système 60/40 +, il est d’autant plus étonnant que Nesquik au Mexique – l’un des principaux marchés de croissance du groupe en Amérique latine – contienne presque dix grammes de sucre de moins qu’en Suisse, soit 15,14 grammes. La raison: l’obésité est telle dans le pays que le gouvernement a pris des mesures drastiques.
Les produits qui dépassent la valeur cible en sucre ne sont pas autorisés à s’adresser aux enfants par le biais de la publicité. Exit donc le lapin rieur sur l’emballage. Par ailleurs, la teneur en sucre est encore trop élevée; la boîte mexicaine s’orne donc de deux avertissements: «Trop de sucre» et «Trop de calories».

Au Mexique, l’emballage des flocons Nesquik n’arbore pas de lapin, mais deux étiquettes d’avertissement noires.
Walmart Mexico/DR
En 40 ans, 41% de sucre en moins chez Nesquik
La question du sucre reste d’actualité. La Confédération veut contrôler la réduction de sucre chez Nestlé comme chez d’autres fabricants et fixer de nouveaux objectifs. Avec ses 22 grammes actuels, Nesquik se situe encore largement au-dessus de l’objectif final de 12,8 grammes.
Le sevrage est un processus lent. «Il faut déjouer le goût des consommateurs en éliminant le sucre petit à petit», note le professeur Michael Siegrist. Il aura fallu près de 20 ans à Nestlé pour réduire de 41% la teneur en sucre des petits déjeuners Nesquik.
D’autres solutions existent. Ainsi, la petite source minérale suisse Eptinger a osé diminuer d’un coup, de 40%, la proportion de sucre dans sa limonade Pepita au pamplemousse. «Tant qu’à faire, autant le faire», indique le directeur, Damaris Buchenhorner.
Le changement fait suite à la décision de la Confédération, en concertation avec les fabricants, de limiter le sucre des boissons rafraîchissantes en 2023. Le gouvernement n’en demandait pas tant: il ne visait que 10% de moins.
Près de deux ans plus tard, le groupe Eptinger reçoit encore des lettres de réclamation de clients qui se plaignent de la baisse de proportion de sucre. Le chiffre d’affaires a baissé, mais moins que prévu, se félicite le directeur: «Ce changement nous a permis de cibler un groupe plus jeune.»
Traduit de l’allemand par Simone Honegger
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