Biographie de Martin Jeanneret –
L’homme qui fut pasteur, juge de paix et… patron de bordel
Le Veytausien a connu souffrance et jugement au cours d’un parcours de vie des plus singuliers. Un parcours raconté dans un livre par Grégoire Montangero. Rencontre.

Martin Jeanneret: «J’ai été davantage pasteur dans mon bordel que dans un temple à raconter des histoires que les gens connaissaient déjà.»
Marie-Lou Dumauthioz/Tamedia
Certains lui prêtent une gueule à la Mick Jagger, même s’il était plutôt doué pour le violon et le piano au conservatoire. Mais il est vrai que l’on comprend l’allusion au chanteur des Rolling Stones lorsque Martin Jeanneret ouvre la porte de son appartement de Veytaux.
Une fois assis à table avec vue à 180 degrés sur le lac, la voix prolonge le rapprochement: chaleureuse, intense, caverneuse. Une voix de fumeur invétéré. Mais, plus encore, c’est son parcours de vie qui lui confère, à 73 ans, une dimension définitivement rock’n’roll.
Car sa vie est un roman. C’est d’ailleurs ce que l’auteur et journaliste indépendant Grégoire Montangero en a fait avec «Entre chaire et chair», une biographie romancée. Davantage biographie que roman. Et avec un parti pris pour l’actuel habitant de Villeneuve: celui de réhabiliter un homme de foi et de loi aux valeurs et convictions fortes, dont certains choix lui ont valu jugement et discrédit.
Montebar, un bordel pas comme les autres
Celui qui est né à Lille, en France, et qui se destinait à la médecine, a fini ses études avec des licences en théologie et en psychologie. Il avait 14 ans quand Dieu s’est révélé à lui. Les morceaux choisis d’une carrière en plus de dix étapes laissent songeur: pasteur, musicien, directeur de clinique psychiatrique à Vaumarcus (où il succéda à son père), juge de paix à Yverdon et… patron de bordel. En l’occurrence, le Montebar, dans la zone industrielle d’Aigle, ex-Cheyenne, de 2010 à 2021.
«J’y travaillais selon mes règles, que j’ai essayé d’expliquer, pour offrir des conditions dignes à ces femmes», justifie Martin, dont Maribel, sa troisième épouse, qui gérait l’établissement avec lui, était une ancienne prostituée dominicaine. «J’ai été davantage pasteur dans mon bordel que dans un temple à raconter des histoires que les gens connaissaient déjà.»
Martin Jeanneret n’eut pas le temps de régler la transition qu’il fut écarté de la justice de paix pour ses activités chablaisiennes, jugées peu compatibles avec sa fonction de juge. Certains articles de presse le brûlent encore. Les quolibets tels que «gardien de putes» et autres ragots aussi. «Une vaste hypocrisie tout ça, lâche-t-il dans un sourire terne. Surtout en repensant à certains clients de prestige. Je n’ai jamais été un proxénète, je n’ai jamais eu pour but d’avoir des gens autour de moi dont j’aurais pu profiter. Dans mon bureau, le seul lien que j’avais avec les 800 filles qui sont passées en 10 ans par le Montebar, c’étaient les loyers des chambres.»
Un livre pour ses enfants
L’exploitation du lupanar avec son épouse n’a toutefois jamais été une sinécure, dans un milieu complexe, parfois dangereux. Elle se termina de manière tragique, avec le suicide de Maribel. «La plus grosse épreuve de ma vie, souffle Martin Jeanneret, ému. Avec toute la culpabilité qui va avec. Heureusement, mes enfants m’ont soutenu.»
C’est d’ailleurs pour eux sept (il en a perdu un huitième en bas âge) qu’il s’est imposé l’épreuve de ce livre. «Cela a été dur pour moi de faire tout ça, mais mes gosses me l’ont demandé, avaient besoin de retrouver un père avec un fil conducteur.»
À Veytaux, où il est établi depuis 2014, Martin Jeanneret reste par ailleurs un homme engagé dans les causes qu’il affectionne. La première est l’association Mas que ayer, menos que manana (Plus qu’hier, moins que demain), lancée avec Maribel et alimentée par le passé grâce aux revenus du Montebar, dans le but de venir en aide aux enfants de République dominicaine. «Nous avons soutenu jusqu’à 80 gamins, aujourd’hui encore quelques-uns. Je reste lucide sur les résultats, je savoure les «petites» victoires.»
Sensible à la cause climatique, antinucléaire convaincu («depuis les années 1970, quand on est partis dans des directions sans aucun sens»), Martin cultive son présent et attend d’être une troisième fois grand-père en octobre.
Malgré le parcours cabossé, il ne regrette rien, assume ses contradictions. «Dieu nous a créés individus, non divisibles. La souffrance de ces femmes qui travaillaient chez moi, c’est qu’elles sont divisées, corps et esprit. Ces filles tombent dans le piège d’être pour avoir. Or, c’est l’être qui compte, pas l’avoir. Même si je roule en Bentley!»
«Entre chaire et chair», Grégoire Montangero, Éditions Slatkine, 2025, 29 fr.
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