Alors que la Russie intensifie ses frappes en Ukraine et multiplie les menaces nucléaires contre l’Occident, l’idée d’une «bombe euro» refait surface dans les cercles stratégiques européens. La crainte d’un désengagement américain, alimentée par les signaux contradictoires envoyés par la Maison-Blanche sur la garantie de défense de l’OTAN, pousse certains responsables à envisager une dissuasion nucléaire autonome pour le Vieux Continent, explique un article du site Forbes.

Depuis la Guerre froide, la sécurité nucléaire de l’Europe repose sur l’arsenal américain et la doctrine de défense collective de l’OTAN. Mais face à la montée des incertitudes sur la fiabilité de Washington, plusieurs voix s’élèvent pour réclamer une alternative européenne. Le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, a récemment exhorté les alliés à augmenter leurs budgets de défense, estimant que la Russie pourrait être en capacité d’attaquer un pays de l’Alliance d’ici cinq à sept ans si rien ne change.

Sur le plan technique, l’Europe dispose déjà de nombreux atouts: accès à l’uranium, savoir-faire en matière de missiles et d’aéronefs militaires, centres de recherche de pointe. Selon Alexander Bollfrass, expert mondialement reconnu en armement nucléaire auprès de l’International Institute for Strategic Studies, basé à Londres, une coalition européenne allant de la Scandinavie à la Méditerranée pourrait, en théorie, constituer un stock nucléaire en trois ans, atteignant jusqu’à un dixième de l’arsenal américain.

L’Allemagne et les Pays-Bas maîtrisent l’enrichissement de l’uranium; la Suède pourrait relancer son programme de plutonium; l’Italie et l’Allemagne collaborent déjà sur des plateformes de missiles et d’avions de combat.

Une dissuasion franco-britannique élargie?

Évidemment, comme souvent au sein de l’Union européenne, l’obstacle principal est avant tout politique et juridique. La France et le Royaume-Uni, seuls États européens dotés de l’arme nucléaire, sont liés par le Traité de non-prolifération (TNP), qui leur interdit de transférer des armes ou des technologies nucléaires à d’autres pays européens. Toute initiative de «bombe européenne» impliquerait donc de sortir du TNP, ce qui bouleverserait l’équilibre mondial et transformerait l’Europe, aujourd’hui championne du désarmement, en nouvelle puissance nucléaire –au risque de déclencher une course aux armements.

Face à ces contraintes, certains experts plaident pour un renforcement de la coopération nucléaire entre Paris et Londres, et une extension explicite de leur «parapluie» aux autres pays européens. La France et le Royaume-Uni disposent d’environ 500 têtes nucléaires, capables d’infliger des dégâts considérables à la Russie. Mais ni l’un ni l’autre n’a, à ce jour, accepté d’intégrer formellement l’Allemagne ou la Pologne sous leur protection nucléaire.

La constitution d’un arsenal nucléaire européen indépendant reste donc hautement improbable à court terme. Elle supposerait non seulement un consensus politique inédit, mais aussi la rupture avec le TNP et la gestion de risques d’escalade majeurs: une Europe dotée de la bombe pourrait devenir la cible d’attaques préventives russes et chaque étape du processus serait vulnérable au sabotage ou à la pression extérieure.

Pour l’heure, la solution la plus réaliste reste un renforcement de la dissuasion conventionnelle et une clarification du rôle des forces nucléaires françaises et britanniques, tout en évitant la prolifération incontrôlée sur le continent. Suffisant face aux velléités belliqueuses de Vladimir Poutine?