Si Maxime Prévot est aujourd’hui cet homme combatif, ancré dans des convictions sociales, humanistes fortes, c’est parce qu’il a surmonté des difficultés que peu de gens connaissent dans son entourage et parmi ses collègues ministres. S’il défend les parents solos, c’est parce qu’il a vu sa mère compter ses sous. S’il défend les handicapés, c’est parce qu’il a vécu une partie de sa vie aux côtés de ses grands-parents maternels qui avaient un fils porteur de handicap. Nous sommes tous et toutes le fruit de nos vies. De nos expériences, joyeuses et douloureuses.

C’est grâce à sa ténacité, grâce au courage de la nuance, qu’il a reconstruit un parti que l’on disait moribond, Les Engagés, successeur du CDH et du PSC.

Voici le parcours d’un homme sensible, généreux, authentique.

Maxime Prévôt, président des Engagés et ministre du gouvernement wallonMaxime Prévôt, président des Engagés et ministre du gouvernement wallon

Maxime Prévot, le 19 juin 2025 à Bruxelles. ©cameriere ennio

Dans quelle famille avez-vous grandi ?

Une famille de la classe moyenne. Mon papa est issu d’une famille plutôt modeste. Dans la maison de mes grands-parents paternels, il n’y avait pas de salle de bains. Ma grand-mère paternelle travaillait dans une épicerie, et mon grand-père paternel était gardien de prison à Jamioulx. Mon père a fait un graduat en informatique à l’Université du Travail de Charleroi. Aussitôt diplômé, il a été engagé par la Commission européenne au Luxembourg. Nous vivions à Cuesmes et je suis né à Mons. Pour suivre le job de mon père, nous sommes allés vivre au Grand-Duché.

Votre mère ?

Elle est originaire de Namur. Son père était directeur aux ACEC, sa mère professeure de mathématiques – un privilège pour une femme, à l’époque, de faire des études supérieures. J’ai un frère, Arnaud, que j’adore, né deux ans et demi plus tard que moi au Grand-Duché de Luxembourg. C’est là que nous avons fait nos maternelles, en luxembourgeois. Puis je suis allé en primaires à Arlon, où mes parents se sont installés.

Vous avez été très marqué par le divorce de vos parents…

J’avais 7 ans, mon frère 5. Mon papa a demandé le divorce. Il a continué à travailler au Luxembourg. Ma mère, effondrée, a voulu se rapprocher de ses parents. Elle est arrivée avec ses bagages et ses deux mioches sous le bras, en région namuroise. Mes grands-parents lui ont trouvé une maison à Dave, village dans lequel je vis toujours, et ont dû se porter garants car, à l’époque, déjà, louer à une maman solo ne rassurait pas les propriétaires. C’est de là que vient ma sensibilité au sort des familles monoparentales. À l’époque, il n’y avait pas de garde alternée ; un week-end sur deux, nous prenions le train pour Luxembourg.

Mais les relations avec votre père se sont dégradées…

Il a très vite rencontré une nouvelle compagne, Suzette, qui avait un enfant en bas âge. Et cette dame a tout fait pour nous éloigner de notre père. Elle avait un tempérament fort. Elle estimait que mon frère et moi avions tous les défauts du monde et que son enfant était parfait. Elle jugeait que nous étions mal élevés. Je me souviens des remarques qu’elle faisait sur la manière dont je tenais ma tartine ! Elle montait notre père contre nous.

Ce souvenir vous émeut encore aujourd’hui…

On est tous le fruit de nos blessures, dans nos qualités comme dans nos douleurs. Très vite, j’ai voulu prendre mon autonomie et j’ai fait mes études secondaires en interne à Saint-Berthuin, à Malonne. Je signerais encore aujourd’hui des deux mains. J’ai adoré. A-do-ré ! C’est là que j’ai d’ailleurs forgé des amitiés très fortes qui durent encore aujourd’hui. C’est là aussi que j’ai rencontré – comme amie d’abord – celle qui est aujourd’hui ma femme.

Votre père ne vous a pas ménagés, votre frère et vous…

Il a vécu dix ans avec Suzette. Durant cette période, nos relations furent aigres-douces. Je me souviens encore de la pizzeria où il nous a annoncé son intention de l’épouser. J’ai demandé la date du mariage. Il nous a répondu que ses enfants n’étaient pas conviés ! Il avait honte de nous, c’est ma conviction. Ce n’est pas un sentiment très agréable quand on est adolescent.

Mais, un an après son mariage, il est parti en Espagne…

Oui, aussi surprenant que cela puisse paraître. Là, à Alicante, il a rencontré une autre femme, Amalia, qui nous a accueillis les bras ouverts. Mon père l’avait prévenue : ses enfants n’avaient pas beaucoup d’éducation… Mais Amalia nous a reçus avec chaleur. Elle lui a ouvert les yeux sur le fait qu’il avait fait fausse route avec nous. Elle nous a trouvés gentils, sympas, bien élevés. Le séjour a été merveilleux. Je redécouvrais mon père. Je lui ai écrit une lettre pour le remercier. Il n’y a pas répondu, il m’a juste fait savoir que l’adjectif “frivole”, que j’avais maladroitement utilisé pour qualifier Amalia, était inapproprié. Sans doute voulais-je dire qu’elle était joyeuse, sans maîtriser encore tout le vocabulaire.

À la fin de votre rhéto, en juillet 1996, vous avez passé des vacances en Espagne…

À nouveau, nous avons vécu des moments agréables, en véritable symbiose. Au moment du départ, nous nous sommes dit au revoir dans le hall de l’aéroport d’Alicante. Je ne savais pas que c’était la dernière fois de ma vie que je le voyais.

guillement

Au moment du départ, nous nous sommes dit au revoir dans le hall de l’aéroport d’Alicante. Je ne savais pas que c’était la dernière fois de ma vie que je voyais mon père.

Comment est-il décédé ?

Piloter était sa passion. Il avait même son brevet d’instructeur. Il avait un petit Cessna. Il a emmené Amalia dans un avion qui n’était pas le sien et, sans que nous ne puissions jamais savoir pourquoi, l’avion s’est écrasé contre une montagne près d’Alicante. J’ai été prévenu par ma mère alors que j’étais à un camp scout. J’ai eu l’élégance de prévenir Suzette – ils étaient toujours officiellement mariés. Elle s’est rendue sur place, a organisé les funérailles en catimini sans nous prévenir. Mon frère et moi n’avons pas pu enterrer notre père… Je me suis rendu sur place quelques semaines plus tard. Il n’y avait qu’un numéro, pas de plaque commémorative, pour essayer de trouver la tombe. Des amis de papa se sont cotisés pour lui offrir une sépulture plus digne. J’ai reçu plus tard une caisse expédiée par la police espagnole, contenant ses effets personnels collectés sur le lieu du crash : quelques habits, des lunettes, son agenda. Et dans son agenda… la lettre que je lui avais envoyée. Cela veut dire qu’elle avait signifié quelque chose pour lui. Je l’ai toujours. Mais je n’ai jamais trouvé la force de la relire.

Quelle place votre père a-t-il dans votre mémoire ?

J’y pense régulièrement, évidemment. Je vous l’ai dit : j’ai toujours eu le sentiment qu’il avait longtemps eu honte de nous. Mon frère a probablement développé une relation plus positive avec notre père. Comme aîné, je faisais souvent le paravent. Lors de la victoire électorale du 9 juin 2024, je me suis dit que, cette fois, il avait des raisons d’être fier de moi.

Récemment, ma fille m’a dit : “Mais papa, arrête de me dire tout le temps : je t’aime, je t’aime.” Je lui ai expliqué : “Je ressens le besoin de te le dire souvent parce que moi, je ne l’ai jamais entendu… Cela te saoule probablement, mais ce manque d’amour m’a blessé et je ne veux pas que tu en souffres. Alors c’est vrai, j’en fais sans doute un peu trop…”

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Les querelles familiales avec votre belle-mère ne se sont pas arrêtées avec la mort de votre père…

Il y a eu quatre ans de combat juridique. L’inventaire de ses biens a été complexe. Nous avons découvert que mon père s’était mis en congé de la Commission européenne pour lancer plusieurs business : un en informatique en Allemagne, un deuxième en télécoms en Irlande, un troisième en construction d’avions en Espagne. Quand on était adolescents, on ignorait la palette d’activités de notre père. Suzette réclamait sa part d’héritage. Les parents d’Amalia nous ont traînés au tribunal de Madrid et ont réclamé des dommages et intérêts colossaux pour la mort de leur fille. La société allemande nous a assignés pour non-paiement de salaires et, trois ans après son décès, nous avons reçu une note salée de l’aérodrome pour le parking de sa voiture qu’évidemment, il n’avait pas pu venir rechercher…

Vous aviez 18 ans et votre frère 15…

Oui, ce fut très dur. Car il est mort au moment où, justement, la partition de nos relations commençait enfin à être belle. Puis, je me suis convaincu que cela s’était au moins clôturé par une touche positive dans nos relations. Après quatre ou cinq années, la question de l’héritage n’était toujours pas réglée, j’ai eu envie de croquer à pleines dents un sentiment : la sérénité. C’est de surcroît ma mère qui allongeait l’argent pour les avocats : ils abandonnaient les uns après les autres ne sachant pas quel droit devait s’appliquer : mon père était Belge, domicilié au Luxembourg et était résident et décédé en Espagne…. Nous avons eu heureusement un notaire extraordinaire, Monsieur Balthazar de Jambes. Mon frère et moi avons finalement pris le train pour Luxembourg. Nous avons renoncé à tout héritage. Suzette a hérité de tous les biens immobiliers et autres, j’imagine. Nous avons sûrement perdu de l’argent. Mais la page était tournée avec soulagement pour les deux jeunes que nous étions.

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J’ai heureusement pu faire des études grâce au soutien financier de mes grands-parents maternels et grâce à la pension d’orphelin de l’Europe.

Comment avez-vous repris vos études ?

J’ai heureusement pu faire des études grâce au soutien financier de mes grands-parents maternels et grâce à la pension d’orphelin de l’Europe. J’ai suivi les cours de sciences politiques à Namur, puis à Louvain, et je suis revenu à Namur pour une spécialisation en droit des nouvelles technologies.

C’est donc votre maman et vos grands-parents qui vous ont transmis les valeurs humanistes que vous portez en politique…

J’ai beaucoup de respect et d’amour pour ma mère qui a galéré. Nous n’avons jamais manqué de rien, mais nous n’avons jamais rien eu de trop. Ma mère a toujours veillé à nous entourer de son affection. Elle a fait du mieux qu’elle pouvait. J’ai la chance d’avoir eu des grands-parents maternels qui nous ont beaucoup encouragés dans nos études. Il fallait réussir. Ils nous ont encouragés à apprendre plusieurs langues. Nous devions aussi nous tenir debout dans le salon lorsqu’à la radio ou la télé retentissait la Brabançonne… J’ai une admiration sans borne pour mes grands-parents qui ont été d’un courage extraordinaire.

Etat d'âme avec maxime prevot sur le toit de namurEtat d'âme avec maxime prevot sur le toit de namur

Maxime Prévot, le 22 juillet 2025 à Namur. ©cameriere ennio

Ils avaient un fils handicapé, votre oncle. Est-ce pour cela que vous êtes particulièrement sensible au sort des personnes porteuses de handicap ?

Oui. Il a manqué d’oxygène à la naissance et est resté profondément handicapé. Il a aujourd’hui 63 ans. Il ne sait rien faire seul. Il ne parle pas. Il pouvait passer une journée entière à frapper doucement à la fenêtre avec un petit bonhomme au bout du doigt. Mes grands-parents ont tout fait pour le garder le plus longtemps possible à la maison. Mon grand-père a été l’un des fondateurs d’institutions destinées à la prise en charge des personnes handicapées.

Le monde du handicap, vous le connaissez bien…

C’est la raison pour laquelle, lorsque j’ai été en charge de la matière au gouvernement wallon, j’ai voulu aider le secteur en lui accordant des budgets complémentaires. J’avais été choqué de voir que la Wallonie consacrait moins d’un million d’euros par an pour des rénovations dans les institutions de personnes handicapées. C’était pelliculaire. Nous avons défini un plan d’aide de plus de 60 millions, avec un focus pour aider les personnes souffrant d’autisme. Ce plan s’appelle “Ensemble, Réinvestissons dans les Institutions pour les Citoyens handicapés”, l’acronyme d’ERIC, le prénom de mon oncle. Lors de la négociation de l’actuel accord de gouvernement, j’ai veillé à ce que 100 millions additionnels soient prévus pour un second plan ERIC durant cette législature.

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Quel métier souhaitiez-vous exercer quand vous étiez jeune ?

Depuis l’âge de 12 ans, je rêvais d’être officier de gendarmerie. J’étais passionné par les gyrophares ! Mais, alors que la gendarmerie dépendait encore de l’armée à l’époque, il est apparu que je ne respectais pas les critères d’acuité visuelle. Il fallait donc que je trouve un autre engagement.

Comment le virus politique s’est-il instillé en vous ?

À 18 ans, je vivais alors à Éghezée. Ma mère s’était remariée avec un homme extraordinaire, avec qui elle vit toujours, un beau-père très attentionné. Je me suis engagé en politique au côté du député Pierre Beaufays. Mais, en réalité, c’est à Namur que se trouvait mon ancrage : c’est là que vivaient tous mes amis, là que je me suis investi dans le scoutisme, là que j’ai été arbitre de football et… que j’ai été danseur folklorique. En 2000, je me suis donc redomicilié à Namur. J’ai fait du militantisme au niveau local au côté de Jacques Etienne, à qui je dois beaucoup, et suis devenu président des jeunes sociaux-chrétiens du campus que j’ai rebaptisés “Orange dynamique”. Par ailleurs, jeune diplômé, j’ai travaillé chez PricewaterhouseCoopers, société d’audit et de conseils. Mon patron direct, Serge Loumaye, était un grand ami de Joëlle Milquet. Nous nous sommes rencontrés, avons beaucoup discuté et elle a eu l’audace – je dis bien l’audace – de me nommer secrétaire politique du parti. Je n’avais que 26 ans. C’était une belle marque de confiance.

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Pourquoi avoir choisi de militer au centre ?

J’aime le centrisme. J’y crois. Le fait d’arrêter de penser qu’un camp a raison contre l’autre. Le fait de s’honorer à reconnaître que d’autres que soi peuvent avoir de bonnes idées. J’aime cette idée qu’il est possible de faire progresser tout le monde et pas seulement les intérêts de quelques-uns. Suis-je de gauche ou de droite ? Là n’est pas la question. À l’époque, Joëlle avait transformé le parti en CDH, réaffirmant notre centrisme et consacrant notre humanisme. Et c’est là qu’en travaillant trois ans à ses côtés, j’ai gagné dix ans de maturité politique.

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En travaillant trois ans au côté de Joëlle Milquet, j’ai gagné dix ans de maturité politique.

Cela a porté ses fruits : en 2006, vous vous présentez aux élections communales et le PS est envoyé dans l’opposition…

Vu mon résultat, Jacques Étienne, futur bourgmestre, m’a proposé de devenir échevin et m’a ensuite laissé sa place en fin de législature communale, avant l’élection de 2012, où j’ai été très bien élu. C’était un pari, une passation de témoin avec classe, et cela a fonctionné. Aux élections législatives de 2007, le parti cherchait une nouvelle tête de liste, après le départ de Richard Fournaux au MR. Face aux poids lourds des autres partis, j’ai rempli le contrat et nous avons conservé notre siège.

Ensuite, ce sont les fonctions ministérielles…

Benoît Lutgen a proposé que je devienne ministre dans le gouvernement wallon. J’étais très présent à Namur, où j’avais mon cabinet ministériel, mon bureau de bourgmestre empêché et mon domicile. Après quelques années, j’ai décidé de mettre fin à ce cumul de plus en plus critiqué, j’ai démissionné comme ministre et j’ai choisi de garder le mayorat de Namur. Entre-temps, le président du CDH, Benoît Lutgen, avait décidé de changer de majorité et de remplacer les socialistes par les libéraux. Mais, peu avant le scrutin de 2019, de manière lucide et courageuse, il m’a confié : “Je sens que je risque d’être un handicap pour le parti pour de futures majorités éventuelles, parce que le changement de partenaire à la Région wallonne a été un succès partiel et a aussi laissé des traces. Cela a fonctionné en Wallonie, mais pas à la Fédération ni à Bruxelles.” Je ne crois pas que tous les présidents de parti auraient eu cette hauteur de vue. Toujours est-il que j’ai pris le relais.

Mais en 2019, en effet, le CDH s’est écrasé et vous avez hérité d’un parti en lambeaux…

Il était en effet trop tard pour infléchir la tendance. Nous avons décidé de nous régénérer dans l’opposition, à la fois par respect pour les électeurs et parce que le moment était venu. Croire qu’on a un mauvais résultat parce que les citoyens n’ont pas compris notre programme génial, c’est le meilleur moyen de s’enfermer dans ses certitudes et de se retrouver à terme dans une cabine téléphonique. Si les gens ne nous ont pas soutenus, c’est parce que notre message n’était plus suffisamment en phase avec leurs attentes du moment et leurs espoirs futurs.

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Dans ce monde fracturé qui recherche le trash et le clash, le vrai courage, c’est précisément celui de la nuance. C’est d’assumer d’être centriste par conviction, pas par dépit ou par défaut.

Vous avez choisi de maintenir la ligne au centre droit…

Ce qui a tué le centre, c’est probablement une posture que nous avons trop régulièrement adoptée : celle de nous en excuser. Comme si nous étions la prostituée de la politique, celle qui choisit un coup à gauche, puis un coup à droite. Le centre mou. Combien de fois n’ai-je pas entendu ces caricatures ! De surcroît, cela est arrivé à un moment où les réseaux sociaux ont commencé à exacerber les positions les plus binaires, extrêmes et populistes, avec des algorithmes qui vous enferment dans vos convictions. Or moi, je pense que, dans ce monde fracturé qui recherche le trash et le clash, le vrai courage, c’est précisément celui de la nuance. C’est d’assumer d’être centriste par conviction, pas par dépit ou par défaut. Et ça, c’est ce qui a forgé le processus de renouvellement, appelé au départ “Il fera beau demain”, et qui a fait émerger au final Les Engagés.

Pourquoi avoir choisi ce nom ?

Je me remémorais le titre du magnifique livre du résistant Stéphane Hessel : Indignez-vous. Mais beaucoup ont oublié le tome deux, qui s’intitulait : Engagez-vous. Si on s’arrête à l’indignation, alors, on est le PTB. Si on transforme cette indignation en quelque chose de positif, pour faire bouger les lignes, si l’on s’engage, alors on aura donné du sens à ce que nous faisons. S’indigner, c’est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant. On a trop souvent cherché à plaire à tout le monde ; finalement, on ne plaisait plus à personne. Mais il y a une frange de l’électorat qui est en attente d’une offre politique qui diffère du combat de coqs, de la caricature, des simplismes. Une offre qui a envie de réconcilier les gens et leurs aspirations par une approche bienveillante de la politique, c’est ce que nous cherchons à incarner. Être sincèrement attentif aux plus fragiles sans verser dans l’assistanat d’une certaine gauche. Être volontariste sur les questions environnementales sans verser dans le dogmatisme culpabilisateur des écolos. Être déterminé à soutenir ceux qui innovent et entreprennent sans écraser les autres ni les mépriser comme peut parfois le faire la droite.

Aux dernières élections législatives du 9 juin 2024, votre parti a frôlé les 21 %. Qui, dans votre parti, pouvait rêver d’une telle victoire ?

Même pas moi ! Oui, j’avais espéré qu’on passe de 11 % à 14 % en Wallonie. Mais caresser les 21 %… Même pas en rêve. Et là, je voudrais rendre hommage à celui qui m’a dit un jour : “Je serai ton supporter jusqu’au bout et, avec toi, on doit atteindre les 20 %.” C’était probablement le seul à y croire. Il s’agit du député Josy Arens, décédé en décembre 2024. Heureusement, il était toujours vivant au moment de cette belle victoire qu’il a pu partager et à laquelle il a contribué.

Comment expliquer cette victoire ?

Notre manifeste était clair : la limitation du chômage à deux ans, le fait de se libérer des questions éthiques pour coller au parcours de vie de chacun, remettre le curseur sur les enjeux d’éducation, de santé, de culture… Notre révolution était, est toujours, triple. Nous avons montré – contrairement à tous les avis nécrologiques que certains m’avaient envoyés de manière outrancièrement anticipée – qu’il y a une aspiration pour la nuance, et donc une place pour le centrisme. Ensuite, c’est aussi la preuve que la Wallonie n’est pas condamnée à devoir danser comme le Parti socialiste siffle. Enfin, c’est la preuve aussi qu’il est possible de réaliser des coalitions de réformes importantes, nécessaires, même si elles sont parfois impopulaires. À nous de veiller par contre à ce qu’elles soient justes.

Il était difficile de gagner en 2024. Il sera encore plus périlleux de vous maintenir en 2029…

Bien sûr. Mais je vais être très franc avec vous. On pourra toujours dire que, statistiquement, la probabilité de faire le même résultat – voire mieux – est assez faible, surtout en sortant de charges gouvernementales. Mais j’accepte l’augure que l’on puisse faire un moins bon résultat, pour autant qu’on le fasse après avoir été conformes à l’ambition de réforme et au courage de changer que nous avons promis. Le courage de changer n’a pas été qu’un slogan. C’est un leitmotiv.

Tous les politiciens disent cela…

Je fais de la politique depuis 25 ans. Je crois que la vie est faite de cycles. Alors que je n’ai que 47 ans, mon propos va peut-être surprendre, mais je pense que mon cycle politique est plus sur sa fin que sur son début. Je quitterai ce milieu à un moment donné – peut-être plus rapidement qu’on ne le croit – parce que je n’ai pas envie de résumer ma vie à la politique. Il y a tellement d’autres choses à faire, à découvrir et à pouvoir partager. Actuellement, j’adore ce que je fais. J’avais envie de le faire. Je veux rester un moteur pour Les Engagés au côté de notre président Yvan Verougstraete. Après avoir obtenu une quasi-majorité absolue aux élections communales de Namur, j’aspirais intellectuellement à des enjeux plus macros. Et dans la période tourmentée que l’on connaît sur le plan international, j’ai vraiment beaucoup de plaisir intellectuel et politique. Ma devise en politique a toujours été : “Parler vrai, agir juste, penser loin…”.

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Pourquoi avoir choisi les Affaires étrangères alors qu’on vous voyait plutôt au ministère de l’Intérieur ?

J’ai toujours beaucoup aimé les relations internationales. Comme bourgmestre, je les ai d’ailleurs beaucoup développées.

Cela signifie aussi être à l’étranger un jour sur trois, au service d’un pays dont la voix est ténue sur le plan international…

Je m’inscris totalement en faux ! Plus que jamais, les enjeux internationaux impactent les questions nationales. Ce qui se vit là-bas a des impacts ici. Les tensions que nous connaissons en matière de sécurité dans certains quartiers à Bruxelles trouvent aussi leur origine dans le conflit israélo-palestinien. La question internationale des tarifs douaniers impacte de manière directe nos entreprises et leur compétitivité. La guerre en Ukraine nous pousse à faire des choix budgétaires inédits. La voix de la Belgique, contrairement à ce que l’on peut penser, n’est pas marginale. Au risque de vous surprendre, je vais même dire que nous boxons au-dessus de notre catégorie si l’on se fie juste à la taille. Bruxelles est la capitale de l’Europe et le siège de l’Otan, cela compte. Notre diplomatie est reconnue. Les États-Unis, par exemple, nous consultent sur les dossiers africains au vu de notre expertise dans la région des Grands Lacs.

Vice-prime minister and Minister of Foreign Affairs Maxime Prevot (2L) and North Kivu military governor general major Evariste Somo Kakule pictured during a meeting with North Kivu province's governor, in Beni, DRC Congo, Tuesday 29 April 2025. Belgian minister Prevot is on a diplomatic mission to East and Central Africa from 25 to 29 April to contribute to a lasting solution to the conflict in the East of the Democratic Republic of Congo. He will visit Uganda, Burundi and the Democratic Republic of Congo. BELGA PHOTO NICOLAS MAETERLINCKVice-prime minister and Minister of Foreign Affairs Maxime Prevot (2L) and North Kivu military governor general major Evariste Somo Kakule pictured during a meeting with North Kivu province's governor, in Beni, DRC Congo, Tuesday 29 April 2025. Belgian minister Prevot is on a diplomatic mission to East and Central Africa from 25 to 29 April to contribute to a lasting solution to the conflict in the East of the Democratic Republic of Congo. He will visit Uganda, Burundi and the Democratic Republic of Congo. BELGA PHOTO NICOLAS MAETERLINCK

Maxime Prévot et le major Evariste Somo Kakule, à Beni, en République démocratique du Congo, le 29 avril 2025.

En matière diplomatique, small serait donc beautiful ?

Comme nous sommes un petit pays, nous ne générons pas la crainte de la plupart des grands acteurs géopolitiques. Il arrive que l’on nous confie des rôles de médiation vu notre sens légendaire du compromis. Cela peut paraître bateau chez nous, mais ce n’est pas nécessairement une culture politique innée dans tous les pays du monde. Un exemple récent de projet qui nous a été confié : il y a actuellement de grands débats sur la question du Deep Sea Mining, l’exploitation des minerais dans les eaux profondes des océans. Il y a globalement deux camps : ceux qui, pour des raisons économiques, ont envie d’y aller et ceux qui souhaitent un moratoire pour protéger la biodiversité. C’est à la Belgique qu’il a été demandé, au niveau international, de faire le travail de médiation pour accoucher d’un code minier international.

Vous avez utilisé “à titre personnel” le mot “génocide” pour qualifier la guerre que mène Israël dans la bande de Gaza. Un ministre des Affaires étrangères peut-il vraiment parler à titre personnel ? N’êtes-vous pas ministre 24 heures/24 ?

Cette question me surprend. Un ministre devrait-il renoncer à ses convictions ou, pire, à sa conscience ? Moi, je lis des interviews de ministres de l’Économie, des Pensions, de la Santé, etc. qui parfois disent : “S’il n’avait tenu qu’à moi, j’aurais proposé telle mesure, mais ça n’a pas pu faire consensus.” Mais qu’un ministre des Affaires étrangères fasse le même type de déclaration ébranle visiblement le Landerneau politique. Il y a un enjeu légal, mais aussi un devoir moral. C’est pour cela qu’à un moment donné, j’ai estimé que toutes les conditions étaient réunies pour pouvoir employer le mot “génocide”, bien qu’il revienne à la justice de se prononcer sur cette question. Bart De Wever n’a-t-il pas dit que son regret personnel était que la Flandre et les Pays-Bas ne soient plus unis ? Cela reste une opinion personnelle qui n’engage pas le gouvernement. Comme mon propos.

N’auriez-vous pas souhaité que tous les présidents de parti fassent partie du gouvernement ?

Dans l’absolu, cela aurait été probablement plus confortable.

Depuis la formation du gouvernement, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?

La manière dont la gouvernance s’effectue. Le kern, qui réunit le Premier et les vice-Premiers ministres, est devenu, depuis la Vivaldi, l’alpha et l’oméga de la prise de décision. Et donc je mesure que cela doit être contrariant pour certains de mes collègues de parfois participer à certaines décisions collectives par délégation. Heureusement, ils ont toute latitude d’action dans leurs compétences respectives et il ne manque pas de boulot !

Parfois, j’ai envie de dire à ceux qui nous vomissent sur les réseaux sociaux : “Allez vous faire foutre, faites de la politique et vous verrez…”

Dans tous les classements des professions, les enseignants, le personnel soignant, les pompiers sont en tête, les hommes politiques et les journalistes ferment la marche. Êtes-vous de ceux qui disent, citant Jacques Séguéla : “Ne dites pas à ma mère que je fais de la politique, elle me croit pianiste dans un bordel” ?

Non, parce que je suis fier de faire de la politique. Je pense que le vrai drame, c’est le bashing politique général. Les citoyens ont parfois le sentiment qu’ils doivent faire une catharsis en vomissant leurs élus, en oubliant qu’il y a des limites à l’indignité des propos tenus. Certains se plaignent aussi parce qu’on voit toujours les mêmes, tout en dégoûtant les nouveaux qui arrivent, pleins de convictions, mais qui ne s’attendent pas à un tel raz-de-marée de propos merdiques sur les réseaux sociaux.

Les regardez-vous toujours, ces réseaux sociaux ?

En diagonale. Il m’est déjà arrivé, pour être très franc, de me dire : “J’arrête, je ne veux plus les lire…” Moi, je n’ai pas décidé de faire de la politique pour me faire insulter, pour qu’on menace mes enfants, qu’on s’en prenne à ma femme. Et parfois, j’ai envie de dire aux gens : “Allez vous faire foutre, faites de la politique, et vous verrez.” Il y a une différence entre ce que vous croyez être la vie d’un homme politique et ce qu’elle est réellement – pas uniquement au niveau des horaires, mais au niveau de la charge mentale, des décisions à prendre, de l’impact qu’elles ont sur énormément de gens. On aimerait toujours faire plus, mais les moyens ne le permettent pas. On doit faire des arbitrages douloureux. C’est une charge psychosociale très forte. Je l’assume. On ne m’a pas mis un pistolet sur la tempe. D’autres métiers sont aussi confrontés à ces pressions. J’ai voulu un vélo, alors je pédale. Mais parfois, on aurait peut-être besoin d’une assistance électrique…

Qui vous connaît le mieux : votre chauffeur, votre femme ou votre porte-parole ?

Les trois me connaissent très bien, sous des angles différents, mais celle qui incontestablement me connaît le mieux, depuis le plus longtemps, c’est mon épouse. Nous formons une belle famille recomposée, dont je suis fier.

Comment vous ressourcez-vous ?

Habituellement en allant courir, ce que je n’ai plus guère eu le temps de faire depuis que je suis ministre. J’ai trop peu de temps pour des loisirs, et pourtant je sais que c’est indispensable pour un bon équilibre. De temps à autre, une petite échappée en Vespa.

En qui ou en quoi croyez-vous ?

Je crois qu’il y a une force qui nous transcende. Ce qui fait que, dans mon parcours philosophique assez hybride – j’ai fait ma petite communion mais aussi ma fête laïque –, je suis atypique sur ces questions. Mais lorsqu’il m’arrive d’aller communier, c’est toujours pour moi un moment de sincérité et de grande sérénité.

Pensez-vous à la mort parfois ?

Le plus souvent, c’est quand je dis que je n’ai pas le temps de me reposer, et que ce n’est pas grave : je n’aurai que cela à faire quand je serai mort.

Qu’y a-t-il après la mort ?

Bonne question à laquelle je n’ai pas encore de réponse définitive, mais je fonde l’espoir que ce soit beau.

Êtes-vous un homme heureux ?

Je le crois et, en tout cas, j’essaie de l’être. Ce n’est pas simple tous les jours mais n’est-ce pas cela justement qui est beau ?

Maxime Prevot president du parti Les EngagesMaxime Prevot president du parti Les Engages

Maxime Prévot, le 14 juin 2024.
©Bernard Demoulin