Et si une maladie pouvait, au-delà de l’épreuve, ouvrir une nouvelle voie ? Claude Ganter raconte comment le cancer l’a menée à s’inventer un autre avenir : mettre son expérience de patiente au service des autres malades et des soignants.

La newsletter santé

Tous les mardis à 9h30

Recevez notre sélection d’articles issue de notre rubrique Santé ainsi que les Palmarès des hôpitaux et cliniques, dossiers spéciaux, conseils et astuces…

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l’adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

En 2007, j’ai 43 ans. Je suis une femme active, passionnée par mon métier de rédactrice en cheffe d’une agence photo. Je n’imagine pas une seconde que la maladie puisse entrer brutalement dans ma vie. Je suis en pleine forme. Un jour, pourtant, je sens quelque chose de dur dans mon sein. Je m’inquiète, mais comme je n’ai pas d’autres signes cliniques, je relativise. Je vais quand même consulter mon médecin traitant qui, après palpation, m’envoie passer des examens. Échographie, biopsie, IRM. Les rendez-vous montent en intensité, j’attends les résultats.

Je traverse le temps de la préannonce. Un moment suspendu, plein d’incertitudes, où pour la première fois quelque chose m’échappe vraiment. Le diagnostic finit par tomber : j’ai bien un cancer du sein. À l’hôpital, je suis convoquée par une équipe de médecins : radiologues, oncologues, chirurgiens. De ce qu’ils me racontent ce jour-là, je ne saisis que quelques mots : chimiothérapie, opération, radiothérapie de consolidation. Le reste, les stades, les protocoles, ça m’échappe totalement.

Une rupture dans le parcours de vie

Mon agenda ne m’appartient plus. L’hôpital m’aspire. C’est une rupture dans ma vie et des questions me hantent : qu’est-ce que j’ai mal fait ? Pourquoi moi ? En sortant de l’annonce, l’un des médecins me rattrape pour me dire que mon pronostic vital n’est pas du tout engagé : « Accrochez-vous à ça ! » Ce que je fais. Dans ma famille, tous ceux qui ont eu un cancer n’ont pas survécu, mais j’essaie de mettre en place un stratagème de mise à distance psychologique avec la maladie pour rester debout. De toute façon, je n’ai pas le choix.

Pour en avoir parlé avec d’autres personnes qui sont passées par là, à l’annonce d’un cancer, même les plus solides s’effondrent. Ce n’est pas la même chose de traverser des épreuves difficiles que de voir sa survie menacée. L’ombre de la mort bouleverse tout, comme si l’esprit s’embrumait. Certains se réfugient dans le déni, incapables d’en parler à leurs proches ou même d’entendre ce qu’on leur dit. Moi, je réagis autrement : je refuse d’endosser la posture du « patient » au quotidien, je déteste les mots « guerre » et « bataille ». Mais j’entre dans les traitements avec cette confiance réelle dans la médecine.

Après un an de traitements, on m’annonce que je suis en rémission. C’est à ce moment-là que le poids de l’épreuve m’apparaît vraiment. Je suis épuisée, mon corps est à plat. Le jour où l’on vous dit que c’est fini, tout le monde croit que tout est derrière vous. Mais vous, vous ne vous en êtes pas remis. Commence alors un autre apprentissage : celui de l’après-maladie.

L’hôpital commence à me solliciter comme une ressource

Deux ans plus tard, quand la première récidive arrive, je suis en terrain connu. C’est comme si j’étais reconvoquée. Cette fois, mon oncologue est obligé de m’écouter, de s’adapter, parce que je parle la même langue que lui et que je comprends mieux ce qui m’attend. Je rectifie ma posture. On m’annonce une chirurgie plus lourde, avec reconstruction. Déjà, je me projette dans l’après-traitement, dans ce nouveau corps qu’il faudra apprivoiser. Mon sac de connaissances continue de se remplir et, à chaque étape, mon désir reste le même : retrouver au plus vite une vie aussi normale que possible.

Mais quatre mois à peine après ma reconstruction, je suis de nouveau stoppée dans mon élan : une nouvelle récidive. Cette fois, les métastases touchent un organe vital. Soit je m’écroule, soit je m’accroche. Pour les équipes, je deviens « la patiente au long cours », celle qui n’a pas de chance, celle qui connaît les prénoms de tout le monde dans le service. Un peu comme si je menais une double existence : ma vie professionnelle et familiale d’un côté, ma vie à l’hôpital de l’autre. Je dois encore travailler ma gestion du stress avant de descendre au bloc – quinze fois au total dans mon parcours. J’anticipe aussi le post-opératoire, les retours à la maison, les traitements, les effets secondaires.

À l’hôpital Henri-Mondor (AP-HP), à Créteil, où je suis suivie en oncologie, on commence à me solliciter comme une ressource. On m’invite à partager mon expérience avec l’équipe de soins de support, ces services qui accompagnent les patients au-delà des traitements, qu’il s’agisse de la gestion douleur, de la fatigue, ou du soutien psychologique. Comme mon métier touche à l’information, on me propose aussi de relire des documents, de réfléchir aux images qui donneront envie aux patients de franchir la porte de cette unité. Je ne suis plus seulement témoin de ce que j’ai vécu, ce rôle où l’on enferme souvent les patients, on me demande de transformer cette expérience en savoir utile pour le collectif.

L’Université des patients, une formation pionnière

J’aime ce nouveau rôle auprès des professionnels de santé, mais je n’imagine pas encore que ça puisse être une nouvelle voie pour moi. En 2019 pourtant, j’ai un déclic. Mon corps est épuisé, je redoute une nouvelle récidive, mais les contrôles sont bons. Après plus de dix ans de traitements, je me dis qu’il est peut-être temps d’ouvrir ce « sac à dos de connaissances sur la maladie » accumulées au fil des années, de le transformer en boussole pour d’autres.

Je m’inscris à l’Université des patients, dont j’ai entendu parler dans un article. Créée en 2009 par la professeure Catherine Tourette-Turgis, pionnière de l’accompagnement des malades dans le champ du VIH/sida, c’est la première formation diplômante au monde qui accueille des personnes vivant avec une ou plusieurs maladies chroniques et les forme à l’éducation thérapeutique du patient. Pour moi, ce lieu devient un espace d’apprentissage et de transformation. J’y découvre ce que signifie être « patient expert », qu’on appelle aussi « patient partenaire » : une personne qui vit avec la maladie et qui transforme ces savoirs expérientiels en compétences utiles pour les autres.

Si aujourd’hui il paraît évident d’inclure les patients dans les réflexions aux côtés des soignants, il ne faut pas oublier que la médecine s’est longtemps construite sur un modèle très vertical, voire paternaliste. Avec, d’un côté, des soignants détenteurs du savoir et de l’expertise, et de l’autre, des patients passifs, presque réduits à des objets de soin. Ce n’est qu’à partir des années 1970 que les lignes commencent à bouger, avec un nouvel intérêt porté à la dimension psychologique. La véritable rupture, elle, survient avec l’arrivée du sida. Face à l’urgence, les patients s’organisent, s’entraident, cartographient leurs symptômes, partagent leurs observations et participent activement à la recherche d’un traitement. Cette approche franchit ensuite les frontières et arrive en France. Elle apporte une idée neuve : pour les maladies chroniques, il ne s’agit plus seulement de soigner un corps, mais de prendre en compte l’histoire et l’environnement des personnes qui suivent des traitements.

Pendant cette formation, j’apprends à prendre du recul sur mon parcours. On m’enseigne aussi à trouver ma juste place, entre soignants et soignés. Ce qui m’intéresse surtout, c’est d’interroger la posture médicale, le choix des mots, la manière de communiquer avec les patients, pour rendre l’échange plus humain. On me sollicite pour réfléchir aux annonces difficiles : quels sont les mots justes dans ce genre de situation ? Qu’est-ce qu’un patient est réellement en capacité d’entendre, de comprendre ? On m’invite aussi à siéger dans les jurys d’oraux de première année de médecine, aux côtés des médecins, afin d’apporter mon point de vue.

Patient expert, un statut en construction

Le patient expert n’a pas encore de statut officiel et c’est une activité encore largement bénévole, même s’il figure désormais dans le Code de la santé publique. Les institutions commencent à le reconnaître, mais la dénomination, les pratiques et les attentes varient encore selon les territoires, les structures et les projets. Pour ma part, je diversifie mon activité : on me donne l’occasion de m’impliquer dans ces projets de recherche. Dans ce cadre, je suis repérée par @ Hôtel-Dieu, un tiers-lieu de l’AP-HP qui réunit des porteurs de projets innovants en santé numérique, des professionnels de santé et des patients. Jusqu’à intégrer l’équipe, où je contribue à des projets, à des comités scientifiques autour de la medtech et de l’innovation en santé numérique. Je participe même à la création d’une master class consacrée à l’innovation et à la santé numérique à l’Université des patients, Paris Sorbonne et @Hôtel-Dieu. La boucle est bouclée !

À Découvrir

Le Kangourou du jour

Répondre

Six ans après mes débuts, je résumerais ainsi mon rôle : créer du lien pour faire vivre la démocratie en santé. J’ouvre des espaces de dialogue entre l’hôpital, la recherche, l’industrie et les citoyens, là où les voix ne se croisent pas toujours : entre le vécu et la décision, entre le savoir et l’usage. Avec une conviction : remettre de l’humain face à la technique.

Je suis fière que mon parcours de patiente m’ait menée jusque-là. J’ai quitté un territoire professionnel pour en construire un autre : diplômes en poche, formée, reconnue, j’ai trouvé une seconde chance de me réaliser. Cette épreuve, aussi rude soit-elle, m’a ouvert un horizon inattendu : un lieu où je trouve de la reconnaissance, de la passion, et une énergie qui me porte chaque jour.

Futurapolis Santé revient les 10 et 11 octobre à l’Opéra Comédie de Montpellier. Organisé par Le Point, en partenariat avec la Ville et la Métropole de Montpellier, la Région Occitanie et Medvallée, l’événement propose deux journées de débats et de rencontres autour des thèmes : génétique, cancer, IA, nutrition… les dernières connaissances scientifiques seront au cœur des échanges.
Dans ce cadre, Delphine Le Turioner, accompagnatrice en santé et patiente partenaire à l’Institut du Cancer de Montpellier, interviendra le samedi 11 octobre (11h50-12h30) lors de la table ronde « Cancer : des soins ciblés ET un environnement adapté », aux côtés du Pr Pascal Pujol, chef du service d’oncogénétique du CHU de Montpellier et président de la Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP).
Programme complet et inscriptions disponibles sur ce lien

Toute l’actualité à 1€ le premier mois

S’abonner

ou