Après des décennies de neutralité, d’abord contrainte puis fièrement affichée, la Finlande s’est résolue à rejoindre l’Otan il y a deux ans et demi. Elle est désormais le sixième pays de l’Otan – après la Norvège, la Pologne et les trois États baltes – à disposer d’une frontière avec la Russie, mais celle-ci est de loin la plus longue des six. Le scénario d’une attaque venant de Moscou – qui ne cesse de répéter qu’elle considère l’Otan comme son ennemi existentiel – est considéré comme crédible à Helsinki, qui développe son industrie de défense et cherche à s’assurer d’un soutien total de ses alliés européens, étant donné que celui de Washington semble faillible au vu de certaines des déclarations de Donald Trump et de ses ministres.
Tandis que la guerre en Ukraine s’enlise et que les atermoiements de l’administration Trump n’ont de cesse d’amplifier un climat d’incertitude en Europe, le ministre finlandais de la défense, Antti Häkkänen, a annoncé le 1er septembre dernier le lancement des activités du Commandement de la composante terrestre Nord de l’Otan (Multi Corps Land Component Command Concept, MCLCC) au sein de la ville de Mikkeli, siège du commandement de l’armée finlandaise, située à environ 100 km de la frontière russe à vol d’oiseau.
Le MCLCC supervisera la planification, la préparation, le commandement et le contrôle des exercices conjoints des armées otaniennes en Europe du Nord. La valeur tactique de l’Europe du Nord, bien comprise aussi bien par l’Occident que par la Russie, fait de Mikkeli une zone soumise à une exposition stratégique.
L’installation du MCLCC intervient deux ans et demi après l’entrée de la Finlande dans l’Otan, le 23 avril 2023, actant la fin d’un non-alignement qui avait pris naissance dans le Traité d’Amitié, d’Assistance et de Coopération mutuelle signé en 1948 avec l’URSS.
Une tradition de neutralité (forcée) remontant à la guerre froide
Du fait de son alliance avec l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale pour combattre les Soviétiques afin de récupérer les territoires perdus lors de la guerre d’hiver (1939-1940), la Finlande a dû, après la fin du conflit, conclure avec l’URSS ce traité qui engendra la neutralité forcée d’Helsinki, connue sous le nom de « finlandisation ».
La finlandisation prend mécaniquement fin avec la chute du bloc soviétique en 1991. Dès 1995, quand elle adhère à l’Union européenne, la Finlande cesse de se définir comme neutre, adoptant en lieu et place la terminologie de non-alignement vis-à-vis de toute alliance militaire.
Cette posture ne résistera pas à l’intensification de la menace russe, particulièrement sensible à partir de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine.
La guerre en Ukraine ou l’onde de choc qui a mis fin au non-alignement
L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 propage en Finlande une onde de choc qui ébranle les fondements du non-alignement, ravivant les traumas mémoriels liés à l’impérialisme de l’URSS.
Dans ce contexte, l’opinion publique finlandaise, qui s’était jusqu’alors montrée rétive à l’idée d’une entrée dans l’Otan, se met à soutenir massivement l’adhésion à l’Alliance. Dès le début de l’invasion russe, une enquête d’opinion indique que 53 % de la population souhaite une intégration dans l’Otan, contre 30 % un mois plus tôt et 26 % à l’automne 2021.
Au printemps 2022, une nouvelle enquête montre que 60 % des Finlandais souhaitent cette intégration.
Le 18 mai 2022, la Finlande dépose avec la Suède, sa candidature à l’Alliance. Leur adhésion devient effective, respectivement le 4 avril 2023 pour la Finlande et le 7 mars 2024 pour la Suède, après avoir été confrontées aux vetos turc et hongrois. La Turquie accusait en effet les « pays scandinaves » d’être des « refuges pour les organisations terroristes ». La Hongrie, quant à elle, s’y opposait notamment en raison des critiques de Stockholm et d’Helsinki à son égard s’agissant du respect de l’État de droit.
Une opinion publique toujours favorable à l’Otan
Depuis l’adhésion, la population finlandaise n’a pas changé d’avis sur le caractère indispensable de cette décision historique. Les sondages d’opinion effectués au cours de ces deux dernières années traduisent la persistance d’un fort soutien à l’appartenance à l’Otan. Une étude conduite en décembre 2023 par cinq institutions académiques souligne que 82 % des Finlandais auraient voté en faveur d’une adhésion à l’Otan en cas de référendum, le taux de soutien étant plus élevé chez les électeurs conservateurs et sociaux-démocrates (le pays est gouverné depuis juin 2023 par une coalition entre conservateurs et droite radicale, qui a pris la suite d’un gouvernement social-démocrate), et plus faible chez ceux de la gauche radicale – dont le principal parti, l’Alliance de gauche, qui a obtenu 7 % des suffrages aux dernières législatives, tenues en avril 2023, appuie également l’appartenance du pays à l’Otan après des années marquées par une opposition traditionnelle, le parti ayant été le plus hostile à l’adhésion à l’Otan sur le spectre politique national.
L’aspect nucléaire de l’Alliance constitue néanmoins un sujet de discorde dans un pays traditionnellement favorable au désarmement nucléaire. L’étude des cinq institutions souligne en effet qu’un cinquième de la population seulement soutient un déploiement des armes nucléaires sur le territoire finlandais. Une autre étude du think tank EVA, effectuée en avril 2025, met en évidence une baisse du soutien à l’adhésion à l’Otan par rapport à l’automne 2022 (de 78 % à 66 %) ; en outre, 53 % des sondés estiment que l’appartenance à l’Otan est loin d’être une garantie d’assistance de la part des autres pays de l’Alliance en cas de crise.
Ce relatif déclin de la confiance dans l’Otan s’inscrit dans un contexte marqué par les gestes de conciliation envoyés par l’administration Trump à Vladimir Poutine, qui inquiètent la Finlande à un tel point qu’elle songerait à se tourner vers ses alliés scandinaves, britanniques et français en cas d’échec de recours à l’Article 5 de l’Otan.
Il n’en demeure pas moins que l’adhésion à l’Alliance aura constitué un processus historique qui a conduit à une reformulation de l’identité politique finlandaise, tout en maintenant une certaine continuité.
La continuité de la tradition de médiation internationale
Durant la guerre froide et dans les décennies suivantes, l’image de neutralité, puis de non-alignement, attachée à Helsinki a offert un terreau fertile au développement d’une tradition de médiation et de maintien de la paix, incarnée par des figures majeures telles que le président Martti Ahtisaari (1994-2000), récipiendaire du prix Nobel de la paix en 2008 pour sa contribution à la résolution de plusieurs conflits (Kosovo, Aceh, Namibie).
Tout au long de la guerre froide, la Finlande s’est ainsi imposée comme un « pont » entre l’Est et l’Ouest, comme en atteste l’organisation de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe entre les deux blocs à Helsinki en 1973.
Malgré le virage atlantiste que constituent l’adhésion à l’Otan, mais aussi la signature en 2023 d’un accord de coopération de défense (DCA) qui garantit aux États-Unis l’accès à quinze zones et infrastructures militaires sur son territoire, la Finlande continue de s’affirmer comme un médiateur clé sur l’échiquier géopolitique. La présence du président finlandais, Alexander Stubb au sein de la délégation européenne à la Maison Blanche dont le dessein consistait à obtenir des garanties sécuritaires pour l’Ukraine en date du 18 août dernier l’atteste particulièrement.

Alexander Stubb, troisième en partant de la gauche, en compagnie d’Ursula von der Leyen, Keir Starmer, Volodymyr Zelensky, Donald Trump, Emmanuel Macron, Giorgia Meloni, Friedrich Merz et Mark Rutte (secrétaire général de l’Otan), à la Maison Blanche, le 18 août 2025.
Riikka Hietajärvi/Embassy of Finland in Washington
L’émergence d’un « réalisme fondé sur des valeurs »
Au vu des eaux troubles où navigue la Finlande, le gouvernement a défini dans son rapport de politique étrangère et de sécurité paru en 2024 un nouveau principe de politique étrangère, à savoir le « value-based realism ».
Ce « réalisme » implique des compromis avec des États dont le système de valeurs diffère de celui de la Finlande, comme mis en exergue par Alexander Stubb dans un discours prononcé devant le Parlement le 5 février 2025 :
« À long terme, il est dans l’intérêt de la Finlande que le système multilatéral reste aussi solide que possible. Mais nous ne pouvons pas nous exclure des prises de décision qui se déroulent en partie en dehors de ce système. Nous ne pouvons pas non plus nous isoler des pays qui ne soutiennent pas pleinement le multilatéralisme. Nous défendrons nos intérêts dans toutes les situations, en nous appuyant sur nos propres valeurs. »
Un tel « réalisme » peut faire écho aux tractations menées avec la Hongrie et la Turquie pour mettre fin au véto que celles-ci opposaient à l’entrée de la Finlande dans l’Alliance. Il en est de même pour le retrait du traité d’Ottawa (1997) sur l’interdiction des mines antipersonnel, voté par le Parlement le 19 juin 2025, afin d’assurer la défense de la Finlande face au géant russe.
Un rôle crucial au sein de l’appareil otanien, dans l’ombre de la Russie
La position stratégique de la Finlande en fait un avant-poste pour l’Otan, comme en atteste la mise en place du MLCCC. Le pays, peuplé de quelque 5,6 millions de personnes, partage une frontière de 1340 km avec la Russie et dispose d’effectifs qui, la conscription masculine étant obligatoire, peuvent s’élever en temps de guerre à 280 000 soldats et environ 900 000 personnes disposant d’une expérience militaire (l’un des plus élevés de l’Otan).
Ses atouts de défense technologiques, tels que le navire Turva, paré contre toute menace hybride en mer Baltique, notamment en provenance de la « flotte fantôme » de la Russie, accusée d’être à l’origine de sabotages de câbles sous-marins, font de la Finlande une pièce maîtresse.
Dans un contexte d’escalade de la guerre hybride orchestrée par la Russie, la Finlande constitue une cible de choix pour Moscou. Helsinki accuse notamment la Russie d’acheminer des migrants près de sa frontière.
Le texte publié le 8 septembre dernier par l’ancien président (2008-2012) Dmitri Medvedev, aujourd’hui numéro deux du Conseil de Sécurité de la Russie, accusant la Finlande d’ourdir une attaque contre la Russie, pourrait être le signe avant-coureur d’une opération russe de grande ampleur, qui irait bien au-delà de la récente incursion de drones dans les espaces aériens polonais et roumain respectivement dans la nuit du 9 au 10 septembre et le 13 septembre et de trois avions militaires russes dans l’espace aérien estonien le 19 septembre. Le soupçon plane là également sur la Russie quant aux survols de drones au-dessus des aéroports de Copenhague et d’Oslo dans la nuit du 22 septembre.
Au lendemain de l’intrusion des drones en Pologne et du discours d’Ursula von der Leyen sur l’état de l’Union où elle prône la construction d’un « mur de drones », le premier ministre finlandais Petteri Orpo a défendu un investissement européen dans la défense aérienne de la Finlande – mais aussi dans celle des États baltes et de la Pologne. Seuls des investissements massifs dans la défense européenne (notamment aérienne) pourront augmenter le seuil de dissuasion face à une menace russe dont le spectre devient de plus en plus manifeste, en Finlande et ailleurs sur le continent.