Le 12 juillet 2018, l’ambiance était extrêmement tendue au deuxième et dernier jour du 26e sommet de l’Otan à Bruxelles. Tous les regards étaient tournés vers le président américain Donald Trump, qui ne mâchait pas ses mots, exigeant que les autres membres de l’Alliance atlantique consacrent davantage de moyens et d’argent à leur défense. « De nombreux pays ne paient pas ce qu’ils devraient et, franchement, de nombreux États nous doivent un énorme paquet d’argent depuis des années », martelat-il dès l’ouverture du sommet, dans une atmosphère lourde.

« Il avait menacé de quitter le sommet s’il n’obtenait pas de promesses contraignantes de leur part », raconte Jens Stoltenberg (à la tête de l’Otan de 2014 à 2024) dans På min vakt – å lede Nato i krigstid (« Sous mon commandement – Diriger l’Otan en temps de guerre »). Un livre qui sort ce mercredi 1er octobre, publié par l’éditeur Gyldendal en Norvège et dont les droits ont été vendus à 12 pays, dont la France.

« J’ai regardé autour de moi. Tout le monde était assis, concentré, certains serrant plus fort leurs écouteurs sur leurs oreilles pour mieux entendre. D’autres, assis plus près de Trump, les ont retirés pour écouter directement ce que le président disait. Tout le monde a compris que tout était sur le point de s’effondrer. » De ce fait, « l’Otan était en grand danger » pensait-il, » craignant le pire « car cette réunion pourrait bien être celle où l’Otan périra, me suis-je dit. Cette organisation a fonctionné pendant 70 ans. Mais qu’allait-il se passer après le 12 juillet 2018 ? ».

« Ce fut la réunion la plus marquante de mon mandat à la tête de l’Otan », écrit-il. Trump menaçait de retirer les États-Unis de l’Alliance si les pays européens n’augmentaient pas fortement leurs budgets de défense. « Deux pour cent, c’est peu. Il faut viser quatre pour cent si l’on veut une protection adéquate », disait-il, faisant référence au pourcentage du PIB que devraient consacrer les États membres à leurs dépenses pour la défense.

« Nous avons réussi à arracher finalement un compromis dans lequel les pays européens promettaient d’accroître plus rapidement leurs investissements dans la défense, et cela s’est finalement bien terminé. Mais ce fut un drame, et l’incertitude était grande », a expliqué M. Stoltenberg à la chaîne publique norvégienne NRK.

Point critique

L’Alliance avait atteint un point critique pendant et après le sommet de Bruxelles de 2018. Donald Trump pensait que les autres membres de l’Otan allaient tenir leur promesse de porter les dépenses de défense à 2 % de leur PIB. Mais les progrès vers cet objectif ont stagné en janvier 2019, et « la situation est devenue instable », selon M. Stoltenberg. « Nous avons vu des signes clairs que Trump se préparait à mettre sa menace à exécution », révèle-t-il dans ses mémoires relatant en grande partie ses relations avec Donald Trump.

La Maison-Blanche aurait rédigé deux versions du discours sur l’état de l’Union du président en février 2019. L’une comprenait une déclaration de retrait des États-Unis. L’autre s’engageait à ne défendre que les pays qui atteindraient l’objectif de hausse des dépenses militaires de 2 % du PIB réclamé par les États-Unis.

L’avenir de l’Alliance étant en jeu, M. Stoltenberg s’est rendu à Washington, préférant contacter le président par son canal d’information préféré. « J’ai accepté une interview sur Fox News car je savais que je m’adressais en réalité à un seul téléspectateur », écrit-il. Dans cet entretien, il attribuait à Trump « le mérite d’avoir fait pression sur ses alliés pour qu’ils augmentent leurs dépenses ».

Quelques minutes plus tard, Trump répondait sur X : « Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, vient de déclarer que grâce à moi, l’Otan a collecté beaucoup plus d’argent auprès de ses membres que jamais auparavant. » Il a parlé de « partage du fardeau et d’unité ». « On peut avoir différentes opinions sur Trump, mais il avait raison d’affirmer que le partage du fardeau au sein de l’Otan était injuste », confie M. Stoltenberg à NRK.

Une surprise

L’élection de Donald Trump en novembre 2016 avait surpris Jens Stoltenberg qui s’attendait à voir Hillary Clinton au pouvoir. « J’étais impatient de voir ce qu’il allait se passer, d’autant que j’avais remarqué les critiques de Trump envers l’Otan pendant la campagne électorale », note-t-il, rappelant qu’en mars 2017, il avait déclaré lors d’un entretien télévisé que « l’Otan est obsolète » et que « l’Alliance a joué son rôle ».

Le livre révèle également que l’ancien chef de l’Alliance atlantique avait introduit des règles strictes concernant la façon de se référer à Donald Trump en interne au sein de l’Otan.

« Une autodiscipline interne était nécessaire », affirme-t-il, donnant « des instructions claires : interdiction de montrer des tweets ou des extraits de Trump sur Internet en affichant une attitude déplaisante, interdiction de rires moqueurs dans des vidéos, de plaisanteries sur le golf ou les bonnes manières. Une tolérance zéro pour de tels comportements était absolument de mise », juge-t-il. Celui-ci craignait qu’une attitude frivole envers Trump ne se propage et ne « fuite » jusqu’à l’administration américaine. « Cela aurait été dévastateur, écrit-il, si Washington apprenait qu’ils se moquaient de Trump au siège de l’Otan. »

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Parler personnellement au téléphone avec Trump est une affaire compliquée dans ce qui est décrit comme un climat chaotique au sein de son entourage. Le secrétaire général de l’Otan à l’époque a ainsi appris qu’il « figurait sur une liste de 25 personnes que Trump devait appeler. » Le premier appel a eu lieu « le 18 novembre 2018 pour discuter avec moi des postes clés de son administration et a évoqué, entre autres Jim Mattis ». « J’ai été un peu surpris qu’il me consulte sur une telle nomination […] Il y a eu un silence embarrassant », se remémore-t-il.

« En réalité, le peu de choses que je savais de Jim Mattis provenait de la série Generation Kill, qui traite de la guerre en Irak. […] J’aime beaucoup cette série, mais je me demandais si je pouvais recommander Mattis comme ministre de la Défense d’après une série télévisée », relate M. Stoltenberg, « sauvé » de cette situation par son directeur de cabinet Torgeir Larsen lui murmurant : « Dis que Jim Mattis est formidable. Il connaît l’Otan. » « Je suis sûr que ma recommandation n’a eu aucune importance, dit-il, mais quelques semaines plus tard, Jim Mattis a été nommé ministre de la Défense. »

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