Au Luxembourg, trouver un logement abordable relève déjà du parcours du combattant. Mais même une fois installés, la vie des locataires est loin d’être simple. À la flambée des loyers s’ajoutent des factures de charges parfois exorbitantes et souvent opaques. Il n’est pas rare de lire sur les réseaux sociaux, notamment sur Reddit, des témoignages de locataires faisant part d’augmentation de charges qu’ils jugent exagérées. Comme ce locataire d’un appartement trois chambres à Lorentzweiler qui voit son loyer de 2.200 euros par mois augmenter, après recalcul par le propriétaire, de 550 euros supplémentaires.

En fin d’année, certains découvrent donc des régularisations salées, sans détails clairs ni justificatifs précis. Désemparés, ils se tournent alors vers la Commission des loyers de leur commune, lorsqu’elle existe, pour tenter d’obtenir des explications. Mais l’instance est loin d’être un tribunal chargé de défendre les droits des locataires, et les désillusions sont fréquentes. «Les locataires pensent parfois que nous sommes un tribunal. Ce n’est pas le cas», insiste Krisztina Szombathy, présidente de la Commission des loyers de Luxembourg-Ville.

Son rôle, rappelle-t-elle, est limité: il s’agit d’évaluer la conformité des loyers au regard de la loi, pas de trancher des conflits complexes entre propriétaires et locataires. Pour les vrais litiges, il faut se tourner vers la justice de paix.

Dans un contexte marqué par la hausse des prix de l’énergie, certaines sommes peuvent sembler élevées. Mais les locataires sont en droit d’exiger des preuves. Sans justificatifs, ces frais ne devraient pas être réclamés

Krisztina Szombathy

Présidente de la Commission des loyers de Luxembourg-Ville

La loi prévoit pourtant que les charges doivent être justifiées. Le bailleur est tenu de présenter toutes les pièces : factures de chauffage, d’eau, d’électricité, frais d’entretien des parties communes. «Dans un contexte marqué par la hausse des prix de l’énergie, certaines sommes peuvent sembler élevées. Mais les locataires sont en droit d’exiger des preuves. Sans justificatifs, ces frais ne devraient pas être réclamés», rappelle Mme Szombathy.

De son côté, l’association Mieterschutz LU constate que les plaintes liées aux charges restent relativement limitées, car elles doivent précisément être justifiées par le propriétaire. «Nous recommandons toujours d’entamer une démarche à l’amiable dans un premier temps, et de ne pas hésiter à recourir à une lettre recommandée pour exiger les justificatifs», explique Sofia Fernandes, secrétaire de l’association. Pour elle, le véritable problème se situe ailleurs: «Les plaintes ont explosé ces dernières années, et cela concerne principalement les loyers.»

Une étude publiée en mai 2025 par l’Université du Luxembourg, intitulée Tenant Experience in the Luxembourg Private Rental Market, confirme ce ressenti. Elle révèle que 70 % des locataires se disent injustement traités et en insécurité, tandis que seuls 22% expriment une satisfaction globale. Plus alarmant encore, près de 40 % des ménages consacrent plus de 40 % de leurs revenus au logement. Ces données mettent en évidence un déséquilibre structurel : le logement n’est plus un poste de dépenses parmi d’autres, mais un facteur de précarité et d’anxiété croissant.

Lire aussi :Marché immobilier: une forte reprise de l’activité et une hausse des prix au 2e trimestre 2025

Un encadrement légal opaque

L’encadrement légal repose sur la fameuse règle des «5 % du capital investi», telle que prévue par la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation. En théorie, un propriétaire ne peut demander, pour un logement non meublé, plus de 5 % par an du capital investi, c’est-à-dire du prix d’acquisition ou de construction, augmenté des frais d’amélioration et réévalué selon des coefficients fixés par l’État.

Le montant obtenu est divisé par 240 pour déterminer le loyer mensuel maximal. La loi impose aussi une décote pour les logements anciens, ainsi qu’un plafonnement des hausses à 10 % lors d’une adaptation. Mais cette mécanique, déjà complexe pour un juriste, reste opaque pour les locataires. Et surtout, ils n’ont aucun accès aux données sur le capital investi par leur propriétaire.

En clair, il leur est impossible de savoir si le loyer qui leur est demandé respecte ou non la loi. «Un point central», insiste Sofia Fernandes. «Les locataires n’ont aucun moyen de contrôle. Le seul recours est de faire appel à la Commission des loyers, mais ces instances ne sont pas toujours neutres. Nous réclamons des commissions composées de professionnels, et non pas de politiques. Pour le moment, c’est un peu flou.»

Lire aussi :Comment la population du Luxembourg évalue-t-elle la politique du logement?

Les locataires n’ont aucun moyen de contrôle. Le seul recours est de faire appel à la Commission des loyers, mais ces instances ne sont pas toujours neutres. Nous réclamons des commissions composées de professionnels, et non pas de politiques. Pour le moment, c’est un peu flou.

Sofia Fernandes

Secrétaire de l’association

Pour l’association, la transparence doit passer par une réforme claire: inscrire le montant du capital investi directement dans le bail. «Cela permettrait au locataire de savoir sur quelle base son loyer est calculé et d’éviter les abus», défend Sofia Fernandes.

En pratique, cette absence de transparence alimente la frustration et le sentiment d’impuissance des ménages. Certains se lancent dans de longues démarches compliquées devant la Commission des loyers. Mais là encore, le champ d’action reste limité.

La Commission peut, par exemple, proposer de réduire la durée de préavis inscrite dans un bail, mais seulement si les deux parties donnent leur accord. Elle ne peut pas imposer une baisse de loyer ni sanctionner un propriétaire récalcitrant.

Lire aussi :Loyer élevé, escroquerie et discrimination: quand des locataires préfèrent quitter le Luxembourg

Le seul recours véritable reste donc la justice de paix. Mais aller en justice représente un pas difficile pour beaucoup de locataires: frais d’avocat potentiels, incertitude de l’issue, peur des représailles. Dans un marché où la demande est beaucoup plus forte que l’offre, les locataires savent qu’ils risquent surtout de perdre leur logement et de ne pas en retrouver un à prix abordable.

Le coût des loyers progresse très vite

Derrière ces mécanismes juridiques, c’est toute une crise du logement qui transparaît. Dans un pays où les salaires moyens sont élevés, le coût des loyers progresse encore plus vite, creusant un fossé social entre ceux qui peuvent accéder à la propriété et ceux qui restent coincés dans un marché locatif sous pression. Les plaintes liées aux charges ne sont qu’un symptôme d’un malaise plus large : celui d’une population qui a de plus en plus de mal à se loger dignement, même en travaillant à plein temps.

Les pouvoirs publics ont bien tenté d’encadrer la situation. La loi de 2006 sur le bail d’habitation fixe des règles précises, mais elles sont jugées inadaptées à la réalité actuelle. Les associations de défense des locataires pointent des failles qui permettent aux propriétaires de rester «dans les clous » tout en imposant des loyers qui étranglent les ménages.

Et tant que les locataires n’ont pas accès aux informations de base pour contrôler la légalité de leur loyer, le rapport de force reste déséquilibré. Au quotidien, cette crise se traduit par des renoncements:

Quitter la capitale pour s’installer loin de son lieu de travail;

Augmenter son temps de trajet;

Accepter de vivre à plusieurs dans des appartements trop petits;

Consacrer une part disproportionnée de ses revenus au logement au détriment de la santé, de l’alimentation ou de l’éducation des enfants.

Lire aussi :Tromperies, moisissures, litiges sur la caution: les problèmes des locataires au Luxembourg

La Commission des loyers, malgré sa bonne volonté, ne peut pas inverser cette tendance. Elle rappelle les droits des locataires, encourage la transparence, mais reste une instance consultative et non contraignante. Les juges de paix, eux, arbitrent au cas par cas, mais leurs décisions ne suffisent pas à corriger un déséquilibre structurel.

À l’heure où le Luxembourg s’interroge sur son modèle de croissance et sur sa cohésion sociale, la question du logement reste au centre des préoccupations. Les plaintes des locataires sur les charges et les loyers révèlent une inquiétude profonde : celle d’une population qui craint de ne plus pouvoir habiter le pays où elle vit et travaille.

Newsletter: Le Récap’

Recevez chaque jour en fin de journée, le récap de l’actualité du jour

Sie können sich jederzeit wieder abmelden, wenn Sie das möchten. Weitere Informationen finden Sie in unserer Datenschutzrichtlinie.