Traditions culinaires suisses –

La jeune cheffe catalane sort la gastronomie suisse de ses carcans

Alba Farnos Viñals, cheffe catalane, assise à Coffee Page à Lausanne, souriant, entourée de livres et plantes, 7 octobre 2025.

On a rencontré Alba Farnós Viñals au Coffee Page, à Lausanne, pour évoquer son premier livre de cuisine, «Hors du moule», qui sort la gastronomie suisse de ses carcans.

Marie-Lou Dumauthioz

En bref:Alba Farnós Viñals revisite 31 spécialités suisses dans un nouveau livre culinaire innovant.La cheffe catalane transforme les recettes traditionnelles tout en respectant leurs saveurs originelles.L’ouvrage propose quatre thématiques distinctes adaptées à différentes occasions de dégustation.

Papet vaudois, gratin de cardons genevois, émincé de veau à la zurichoise… qui a dit que la gastronomie suisse n’existait pas? Alba Farnós Viñals prétend en tout cas le contraire dans son premier livre, «Hors du moule», sorti ce vendredi aux Éditions Helvetiq, pile entre les deux cérémonies des guides gastronomiques. Dans ce recueil de recettes, la jeune cheffe de l’Auberge de l’Abbaye de Montheron (16 points au Gault&Millau, 1 étoile verte Michelin), sur les hauts de Lausanne, réinvente 31 spécialités suisses issues des quatre coins du pays.

«Le visuel final était une bonne base de travail pour inventer ces nouvelles recettes», explique Alba Farnós Viñals. Les belles photos d’Alexandre Mottier rendent compte de l’importance graphique des plats, en effet. Ici, la soupe au vin de Soleure devient une bouchée de légumes en gelée; là, le risotto tessinois est préparé en rouleaux de printemps. «Je ne sais pas si c’est mal de faire ça, de manière inorthodoxe, interroge la cheffe, membre de l’Alliance Slow Food, qui avoue douter beaucoup. Je ne veux blesser personne, mais je n’ai pas de plaisir à manger quelque chose qui n’est pas beau…»

Assiette avec une sauce crémeuse, une croquette dorée et des lamelles de légumes verts sur une table grise.

Pas besoin de caquelon pour cette… fondue.

Alexandre Mottier/Intuifilm

Réfléchir «Hors du moule»

Pour sélectionner ces 31 recettes, elle s’est basée sur «un vieux livre de cuisine offert par une copine». Elle en a aussi tiré des informations passionnantes sur ces spécialités, qu’elle égrène sous forme d’anecdotes en tête de chaque recette. Au fil des pages de «Hors du moule», on sent le respect de la jeune femme pour les traditions, suisses, mais aussi d’ailleurs. «Je suis une éponge, je me laisse influencer par tellement de choses!» On croise donc les mots dolmas (feuilles de vigne), korokke (beignets japonais) ou malsouka (bouchées en feuilles de brick).

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Malgré ces termes exotiques, Alba Farnós Viñals a conservé le goût et les marqueurs des spécialités réinventées. Et les ingrédients sont tous disponibles ici. «L’idée était vraiment de dire que la cuisine, si on a l’esprit ouvert, ne propose jamais une seule manière de faire. Moi qui viens des sciences dures (ndlr: elle a une formation d’ingénieure en chimie), j’aime que, dans la cuisine, rien ne soit figé. Mais je ne revendique rien, c’est plutôt un hommage à la cuisine suisse et une invitation à réfléchir autrement. C’est un livre tremplin!»

C’est quoi, la gastronomie suisse?

Mais si l’on évoque avec une idée claire les gastronomies française ou japonaise, on a plus de mal à circonscrire la gastronomie suisse. «Je pense que c’est une cuisine très humble, comme chez moi en Catalogne, une cuisine qui part des paysans, réfléchit Alba Farnós Viñals. Si elle est discrète, ce n’est pas parce qu’elle est inélégante, mais surtout parce qu’on peine à la mettre en avant: on manque de storytelling!» Nos voisins sont plus habiles: bien que portée aux nues par la critique, la purée de pommes de terre de Joël Robuchon reste, quoi qu’on en dise, une purée de pommes de terre (avec beaucoup de beurre).

Alba Farnos Viñals, cheffe catalane, à Coffee Page à Lausanne, présente son livre de cuisine revisitant des recettes suisses.

Alba Farnos Viñals a voulu bousculer les habitudes culinaires suisses «avec douceur», dit-elle.

Marie-Lou Dumauthioz

La native de Barcelone, éduquée aux légumes vapeur et aux poissons à la plancha, a dû s’habituer à la cuisine riche. «Quand j’ai commencé mes études à l’école Ferrandi, à Paris, j’avais horreur de la crème et du beurre, avoue-t-elle. Aujourd’hui, la crème double est un des trucs que je préfère au monde!» Elle énumère aussi la moutarde de Bénichon, la raisinée, le verjus: «J’adore les utiliser dans mes plats à l’Auberge de Montheron.»

Une gelée colorée de légumes avec une garniture de crème et de ciboulette sur une assiette en métal.

La soupe au vin blanc de Soleure devient une bouchée de légumes en gelée.

Alexandre Mottier/Intuifilm

Le livre est organisé en quatre thèmes, comme autant d’occasions: autour d’un verre, dîners fancy (mais pas trop), pique-nique au bord du lac et repas en famille. «Ce chapitrage, c’est tout moi, rit-elle. Je voulais un livre gourmand, parfois drôle, joyeux.» Et surtout accessible à tous.

Après les avoir réinventés, elle aimerait maintenant aller goûter ces plats dans leur région d’origine. «Ils cuisinent les tripes au Tessin, je n’en revenais pas! Ça m’a donné envie d’aller faire un road trip en Suisse!» Une occasion se profile peut-être: l’été prochain, elle épousera Paul Marsden, son binôme à Montheron, «celui qui me tient quand je doute». Et la date est connue: «On a fixé la fête au 1er août, comme des bons Suisses!»

Couverture rose d’un livre intitulé ’Hors du Moule’. Inclut des illustrations culinaires et mentionne ’Alba réinvente les classiques de la cuisine suisse’.

«Hors du moule», Alba Farnós Viñals, Ed. Helvetiq, 152 p., 35 fr.

Miscellanées issues de Hors du moule

Alba Farnós Viñals introduit chaque recette par un petit texte qui raconte son lien au plat. Elle ajoute une anecdote et des précisions sur la tradition en question. Voici quelques exemples.

Le carac, dont l’origine du nom et de la recette reste floue, fera son entrée dans Le Robert en 2026.

À l’origine, au Tessin, le maïs de la polenta était cultivé uniquement pour servir de fourrage au bétail.

La plus ancienne recette de salade de pommes de terre connue daterait de 1597 et aurait figuré dans le livre d’un botaniste anglais.

Le gâteau aux carottes est originaire du canton d’Argovie, appelé familièrement Rübliland («pays des carottes»).

On trouve aussi la busecca, soupe tessinoise aux tripes, en Lombardie. D’ailleurs, on surnomme les Milanais les «busecconi» («mangeurs d’intestins»).

Le bircher muesli a été créé au début du XXe siècle par le médecin suisse Maximilian Bircher-Benner.

Historique, l’émincé à la zurichoise? Il est apparu pour la première fois en 1947 dans le livre de cuisine de Rosa Graf, qui s’est probablement inspirée de plats autrichiens.

La tourte au kirsch a été inventée par un chef pâtissier à Zoug début 1900. En 2020, la confiserie zougoise Speck a élaboré la plus grande tourte au kirsch jamais produite: elle pesait plus de 200 kilos!

Si le saumon à la bâloise est un emblème gastronomique de la ville, c’est parce que jusqu’à la fin des années 1950, le saumon atlantique remontait les eaux du Rhin.

L’os à moelle était souvent associé aux cardons par le passé.

De par ses vertus, la dent-de-lion est utilisée comme plante médicinale depuis le XVe siècle pour soigner les maladies du rein, traiter les troubles de la vésicule biliaire ou pour faire baisser la fièvre.

Quatre recettes par Alba Farnós Viñals

Plat de poireaux avec sauce crémeuse, garnis de noix et brins de cresson, sur une assiette décorée de fleurs.

Cardons, sabayon à l’os à moelle et sauce vierge au sbrinz.

Alexandre Mottier/Intuifilm

Gratin de cardons épineux

Pour la sauce vierge:

100 g de sbrinz

100 g de noisettes torréfiées

1 échalote ciselée

Quelques brins d’estragon

60 ml d’huile de noix

1 cs de vinaigre de pomme

Pour le sabayon:

Retirer les feuilles extérieures des cardons, ôter les fibres des côtes à l’aide d’un petit couteau, couper les cardons en morceaux de 5 cm de long et les faire tremper dans de l’eau citronnée. Porter une grande casserole d’eau salée à ébullition, ajouter les cardons et les cuire environ 20-25 minutes jusqu’à ce qu’ils soient tendres. Égoutter et laisser tiédir.

Pour la sauce vierge, couper le sbrinz en cubes de 5 mm et mélanger avec le reste des ingrédients.

Mettre les os à moelle dans une casserole, couvrir avec de l’eau froide et amener à ébullition. Laisser frémir 2 minutes, puis égoutter. Enlever la moelle des os à l’aide d’une cuillère à café et la rassembler dans une casserole plus petite. Réserver les os pour décorer. Faire fondre la moelle à feu très doux tout en remuant avec une spatule. Quand elle est complètement liquide, la filtrer avec une petite passoire et la réserver à feu minimum (seulement pour qu’elle reste tiède).

Pour le sabayon, réunir les jaunes d’œufs, l’œuf entier et l’eau dans un bol métallique. Bien mélanger avec un fouet et verser dans une casserole. À feu doux, faire monter le sabayon en fouettant régulièrement. Il va épaissir petit à petit jusqu’à ce que vous puissiez voir le fond de la casserole. Retirer du feu et ajouter la graisse fondue de la moelle petit à petit. Finir avec le jus de citron et assaisonner de noix de muscade.

Servir les cardons sur une assiette, accompagnés du sabayon et de l’os à moelle farci avec la sauce vierge au sbrinz. Déguster aussitôt!

Plat de poireaux avec une sauce verte et des graines de moutarde sur une assiette blanche.

Voile de poireaux, farce de pommes de terre et saucisse aux choux, velouté de poireaux et graines de moutarde.

Alexandre Mottier/Intuifilm

Papet aux poireaux

Pour les graines de moutarde:

Pour la farce:

1 saucisse aux choux

4 pommes de terre à chair farineuse

2 gousses d’ail écrasées

50 g de beurre

½ botte de persil haché

Le zeste d’un citron jaune

Sel et poivre

Pour l’huile verte:

Pour le velouté et le voile de poireaux:

La veille, faire tremper les graines de moutarde 2 heures dans l’eau froide. Égoutter et cuire à feu doux avec l’eau, le vinaigre, le sucre et le sel pendant 15 minutes. Réserver au frais dans le liquide de cuisson.

Le lendemain, piquer la saucisse avec des cure-dents, la recouvrir d’eau et cuire à feu doux pendant 30 minutes.

Cuire les pommes de terre dans l’eau de cuisson de la saucisse jusqu’à ce qu’elles soient tendres. Éplucher, écraser au presse-purée. Récupérer la chair de la saucisse et mélanger aux pommes de terre. Ajouter le reste des ingrédients de la farce et réserver à température ambiante.

Couper la partie verte des poireaux et mixer avec l’huile pendant 5 minutes. Filtrer le mélange avec la passoire fine et récupérer l’huile verte. Réserver au frais.

Couper les blancs de poireau en deux. Cuire dans l’eau salée jusqu’à tendreté, égoutter et refroidir dans un bol d’eau glacée. Pour les voiles végétaux, récupérer les premières couches de chaque tronçon en les incisant légèrement dans le sens de la longueur.

Préparer la sauce avec le reste des poireaux et les oignons. Faire revenir dans une casserole avec une noix de beurre. Déglacer avec le vin blanc, évaporer puis ajouter la crème et un peu d’eau de cuisson de la saucisse. Cuire à feu doux pendant 10 minutes, mixer au blender et rectifier l’assaisonnement.

Dans une assiette creuse, disposer une grosse cuillerée de farce réchauffée, la recouvrir avec un voile de poireau assaisonné. Verser un peu de velouté autour de la raviole, parsemer de quelques graines de moutarde égouttées et de gouttes d’huile verte.

Tartare de viande sur brioche avec boule de glace sur assiette en céramique beige, sur table en pierre grise.

Tartare de veau aux chanterelles, crème double au chasselas et millefeuille de pommes de terre.

Alexandre Mottier/Intuifilm

Émincé de veau à la zurichoise

Pour le millefeuille:

Pour la crème au chasselas:

Pour le tartare:

250 g (pour une entrée) ou 500 g (pour un plat) de noix de veau

100 g de chanterelles

2 gousses d’ail

2 cs d’huile végétale

½ botte de ciboulette

100 ml d’huile d’olive

50 ml de sauce soja salée

20 ml de vinaigre de pomme

2 gouttes de tabasco

Fleur de sel

Poivre du moulin

Millefeuille: préchauffer le four à 180 ºC et faire fondre le beurre avec le thym. Laver les pommes de terre et les couper en lamelles de 3 millimètres à la mandoline. Chemiser le moule à cake et disposer une couche de lamelles de pommes de terre. Badigeonner de beurre avec un pinceau, saler et répéter plusieurs fois. Couvrir d’un papier sulfurisé et presser légèrement avec les mains. Enfourner pendant 1 heure. À la sortie du four, presser avec un autre moule de la même taille rempli d’eau. Laisser refroidir avec le poids dessus.

Crème au chasselas: amener à ébullition le vin blanc avec le demi-oignon taillé en brunoise et les bolets hachés; réduire le liquide de moitié. Laisser infuser 1 heure. Incorporer à la crème double et assaisonner avec les zestes et une pointe de sel. Réserver au frais. 

Sécher la viande avec du papier absorbant, la tailler en dés de 1 centimètre et réserver dans un bol au frais. Nettoyer les chanterelles en les rinçant abondamment à l’eau froide, bien les égoutter et les couper en deux. Faire revenir les chanterelles à feu vif dans l’huile végétale avec les gousses d’ail. Débarrasser et laisser tiédir. 

Hacher la ciboulette et mélanger dans un bol avec le reste des condiments. Incorporer cette sauce au tartare et aux chanterelles. Réserver au frais.

Entre-temps, chauffer une poêle avec le reste de beurre fondu. Découper le millefeuille de pommes de terre en 4 tranches de 2 cm d’épaisseur et les faire colorer dans le beurre mousseux.

Dresser une tranche de millefeuille croustillant, couvrir avec une bonne cuillère de tartare et la surmonter d’une quenelle de crème au chasselas.

Dessert chocolaté surmonté de crème verte et décoré de feuilles, présenté sur une base en verre texturé.

Crémeux à la spiruline, ganache chocolat noir à la fée Verte et biscuit cacao.

Alexandre Mottier/Intuifilm

Carac

Pour la ganache:

Pour le biscuit cacao:

90 g de sucre

20 g de cacao en poudre non sucré

135 g de farine

1 pincée de fleur de sel

115 g de beurre

115 g de copeaux de chocolat + une poignée pour décorer

Pour le crémeux:

200 g de crème double

20 g de sucre glace

1 cc de spiruline

Ganache: porter la crème et le miel à ébullition et verser le mélange dans un bol, sur le chocolat noir. Émulsionner très doucement au bras mixeur en veillant à ne pas ajouter d’air. Incorporer le beurre en petits carrés et ajouter l’absinthe. Couvrir la surface de la ganache avec un film alimentaire, réserver au frais. Remplir une poche à douille avec la ganache dès qu’elle prend la consistance d’une pâte à tartiner.

Biscuit: préchauffer le four à 170 °C. Placer tous les ingrédients, à l’exception des copeaux de chocolat, dans la cuve du robot ménager. Mélanger jusqu’à obtenir une masse homogène, puis incorporer délicatement les copeaux de chocolat. Étaler la masse entre deux feuilles de papier sulfurisé à l’aide d’un rouleau à pâtisserie afin d’obtenir une épaisseur de 5 millimètres. Retirer la feuille supérieure et placer le biscuit à plat sur une plaque. Cuire au four pendant 8 minutes. Découper au moins 16 ronds à l’aide de l’emporte-pièce. Remettre au four et poursuivre la cuisson pendant 6 minutes. Laisser refroidir et retirer le surplus de biscuit autour des ronds.

Crémeux: verser la crème double dans le bol du robot ménager. Battre doucement et incorporer le mélange sucre glace et spiruline. Continuer jusqu’à obtenir une consistance de crème fouettée onctueuse. Remplir une poche à douille avec la crème et conserver au frais.

Montage: pocher la ganache en spirale sur une moitié des ronds de biscuit, recouvrir avec l’autre moitié. Recouvrir les côtés de copeaux de chocolat. Pocher un joli chapeau de crémeux à la spiruline sur chaque sandwich.

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