Pendant de longues minutes, sur le bord du terrain d’entraînement du Palais 12 à l’European Open, avant l’entrée en lice de David, celui qui a aussi coaché dans le passé Steve Darcis s’est confié. Avec sincérité et bienveillance…
Comment avez-vous vécu cette saison bizarre de David Goffin ?
La blessure au pied est venue à un moment (NdlR : en avril) où il commençait à vraiment jouer de mieux en mieux, notamment sur terre battue. Là, sur les entraînements, je l’avais rarement vu jouer à ce niveau. Malheureusement, la blessure l’a coupé dans son élan. On parle quand même de dix semaines d’arrêt en plein milieu de la saison, en ratant une tournée importante en Europe. Mentalement et physiquement, ce fut difficile de s’en remettre rapidement. Le manque de confiance a fait qu’il a eu du mal à se replonger dedans comme on l’espérait.
Sa motivation pour revenir était digne du grand champion qu’il est.
Cette blessure a-t-elle engendré une grande source d’inquiétude ?
Oui, c’était assez grave. On a eu peur pour l’avenir. Mais sa motivation pour revenir était vraiment digne de lui en fait, digne d’un champion. Il a vraiment cherché à revenir le plus vite possible en faisant tous les efforts qu’il fallait.


Yannis Demeroutis, ici à gauche, est persuadé que David Goffin peut encore briller au plus haut niveau. ©Belgaimage
Cela devait être frustrant de voir tout le travail réalisé tomber à l’eau ?
Tout n’est pas tombé à l’eau, on possédait des repères. Mais oui c’était frustrant d’une certaine manière. Mais on sait que cela fait partie du jeu. On sait qu’à partir du moment où on pousse la machine, il y a toujours des petits risques. Donc oui, c’est dur. Mentalement, ça a été difficile pour tout le monde, je ne vais pas le cacher. Mais la réaction de David a vraiment encouragé toute l’équipe tout de suite.
Mentalement cela a été difficile pour toute l’équipe.
Après, est-ce qu’on a peur de pousser David trop loin lors des entraînements ?
Lui gérait, dans le sens où il y allait vraiment à 100 %. Et moi, j’étais dans mes petits souliers, je faisais très attention parce que je n’étais pas rassuré. Mais à tort, parce que vraiment ça allait. Il y avait des petites douleurs encore de temps en temps parce que ce n’était quand même pas rien ce dont il a souffert. Mais il se donnait les moyens de revenir. Et à Shanghai (NdlR : début octobre), il commençait à performer au plus haut niveau.
Il sort Alexandre Müller puis Ben Shelton avant de se blesser au dos et d’abandonner contre Diallo ?
Lors du match contre Shelton, il y a eu un arrêt pour fermer le toit. Il s’est un peu refroidi à ce moment-là, je pense. Il a su finir le match, mais après c’était compliqué. C’est dommage mais dans ces cas-là, on ne peut pas faire grand-chose à part le soigner le plus rapidement possible. Il y a des moments où on n’a pas tous les éléments en notre possession.
Lors de sa reprise, j’étais dans mes petits souliers.
David a dit qu’il voulait continuer l’année prochaine. Vous êtes complètement en adéquation avec ce choix ?
Oui, franchement, oui. On en a parlé. Avec les blessures, avec la difficulté pour lui de revenir et de recoller au plus haut niveau, c’était compliqué. Donc on a parlé de tout cela ouvertement. Je trouve que quand on parvient à faire en sorte que les planètes s’alignent, il peut battre pratiquement n’importe qui. Il l’a déjà prouvé. Je suis d’accord de continuer avec David. Que ce soit pour 6 mois, 1 an ou 2 ans, il n’y a aucun souci.
Comment s’établit la relation de confiance entre l’entraîneur et le joueur ?
Avec David, on se connaît depuis très longtemps. La première fois que je l’ai vu, il devait avoir 12 ans. Il y a quand même un petit côté où il respecte un peu l’enseignant que je suis. Je pense qu’à ses yeux, j’apporte ce dont il a besoin. Et pour moi, il donne ce dont j’ai besoin. On s’y retrouve. Dans la collaboration, cela se passe très bien. Que cela se passe bien, ce n’est pas le truc le plus important. Ce qu’il faut, c’est performer.


Yannis Demeroutis veille sur son poulain tout en se montrant toujours honnête avec lui.
Vous attendez quoi de David ?
Qu’il se donne à 100 %. Qu’on essaye de mettre en place sur les matchs les choses qu’on travaille. C’est ce qui me tient à cœur. J’ai besoin de ça et lui a besoin de quelqu’un qui le comprenne et qui lui apporte les éléments aussi bien tactiques que techniques quant à la réussite sur le terrain.
Qu’avez-vous cherché à changer ou à développer dans son jeu ?
On a cherché à le faire jouer un peu plus vers l’avant. Je ne peux pas l’amener à servir à 250 km/h et réaliser des services-volées à tout va. Son jeu restera toujours son identité. Son jeu, c’est le sien, mais on essaie d’apporter certaines touches qui vont lui permettre aussi d’être plus performant, de s’économiser aussi peut-être à certains moments en abrégeant l’échange. J’essaie surtout de m’adapter au joueur et de lui apporter ce qu’il est possible de lui apporter et pas de partir dans des délires.
S’épanouir sur les courts, voilà ce que recherche David.
L’objectif de fin de saison est d’avoir un classement (top 100) pour entrer dans le tableau principal de l’Australian Open en janvier ?
Chez David, ce qui compte surtout, c’est qu’il se sente bien sur le terrain. C’est comme cela qu’il est le plus performant. Mais bien évidemment que la qualification pour l’Australie est notre objectif. Mais vous savez, pour lui, je suis sûr que ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est qu’il parvienne à s’épanouir, à prendre du plaisir. Et à partir de là, les signaux sont au vert et tout peut arriver.
Ses attentes sur sa carrière ont-elles changé en devenant papa ?
C’est une question de maturité tout simplement. Dans mon esprit, les enfants font de nous des hommes, des adultes. Cela doit être le cas pour lui aussi. Il trouve d’autres plaisirs, aussi, quand il sort du terrain. Une vie de famille qui s’installe, c’est une expérience. Ceux qui ont la chance de l’avoir vécue peuvent en témoigner. Cela amène un certain recul par rapport aux événements. Certaines choses sont moins graves qu’elles ne l’étaient avant.
David Goffin déçu après son élimination à Bruxelles…
Est-ce que pour un peu préserver David qui va sur ses 35 ans, en décembre, vous avez opté pour une programmation plus light ?
À certains moments, on se disait, on ne va pas courir avec tout le monde, tout le temps sur les tournois. Après les deux mois et demi d’arrêt, c’était compliqué de prendre son temps et de s’octroyer des périodes plus calmes. Mais à la base, cela devait être le cas. Mais à partir du moment où on loupe dix semaines sur des tournois hyperimportants sur terre battue puis sur gazon, c’est compliqué, après, de rester dans du light. À un moment donné, il faut quand même un minimum de tournois pour essayer de se donner des opportunités de performer. Donc, c’était censé être un peu plus light, cela l’a été au final, mais pas pour les bonnes raisons.
S’il joue en rythme et avec fluidité, son âge n’est pas un problème.
David qui est capable de rester performant à 35 ans, est-ce que cela s’explique en partie par son style de jeu où la coordination et la fluidité des mouvements prennent largement le dessus sur la simple force physique ?
Oui, tout à fait, ça c’est sûr. Pour moi, plus il joue vite, plus il est dans le rythme et plus il peut jouer des heures. Donc, dans ce cas-là, son âge n’est pas du tout un problème. Par contre, quand il rentre dans de la force, c’est plus un souci, parce qu’il tombe sur des jeunes qui tiennent la route un peu plus longtemps que lui.
Dans les paramètres physiques actuels de David, voyez-vous des indices qui montreraient une diminution de ses capacités ?
Non, pas du tout.
Il y a deux ans, vous avez hésité à quitter votre quotidien, dans votre club notamment, pour vous engager dans un projet à l’international avec David. Comment vivez-vous ce changement avec de nombreuses semaines à l’étranger loin de la famille et le fait de revivre avec ce stress des résultats, des blessures de votre joueur et des critiques des médias et du public ?
Vous savez, je n’ai absolument pas de regrets. J’essaie de profiter de cette expérience. Je sais que ce n’est pas quelque chose que je compte faire encore pendant 20 ans, ça c’est sûr. J’essaie de retirer des choses positives de ce parcours. Mon épouse essaie de nous accompagner parce que c’est vrai qu’il y a beaucoup de voyages à l’étranger. C’est chouette aussi, c’est nouveau pour nous. J’essaie vraiment d’en profiter un maximum.
Avec l’objectif de permettre à celui qui a porté seul le tennis belge sur ses épaules pendant de longues années de s’offrir le chemin le plus agréable possible et le plus performant avant de ranger définitivement ses raquettes.