Le Canada joue encore aujourd’hui un rôle clé dans l’armement d’Israël, non pas simplement par voie directe, mais via une faille qui permet d’envoyer aisément des composants militaires aux États-Unis avant qu’ils ne repartent vers Israël. En plus des composants fabriqués chez nous, d’autres arrivent d’Europe et transitent par le Canada et les États-Unis avant d’aller alimenter les violences israéliennes.
C’est ce que révèle un rapport publié mardi par une coalition de groupes canadiens de soutien à la Palestine, dont le Mouvement de la jeunesse palestinienne, Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient et World Beyond War.
Le rapport recense 977 expéditions de marchandises militaires parties du Canada vers Israël, en passant par les États-Unis, depuis le début de l’offensive israélienne il y a deux ans.
On y retrouve des pièces d’avions de chasse F-35 fabriquées au Canada, des explosifs provenant d’usines québécoises, et même du TNT européen transitant par le port de Saguenay. Tous ces composants finissent dans les avions, les bombes ou les obus utilisés par Israël pour commettre le génocide en cours à Gaza.
« On détaille dans ce rapport-là [des centaines] d’expéditions d’explosifs et de pièces d’avions », dit Boutaina Chafi, membre du Mouvement de la jeunesse palestinienne. « Ce sont des éléments cruciaux, des composants essentiels des avions de chasse F-35 qui sont utilisés par l’armée israélienne pour larguer des bombes sur Gaza, mais aussi des composants et des explosifs qui se retrouvent à même les bombes que les F-35 larguent sur Gaza. »
Le rapport dénombre par exemple, entre septembre 2023 et août dernier, 360 expéditions de pièces d’avions de fabricants canadiens vers une usine de Lockheed Martin au Texas, pour l’assemblage d’avions F-35. Cela ne représenterait qu’une fraction des millions de dollars de composants canadiens qu’on retrouve dans les F-35 utilisés par Israël.
De plus, 150 expéditions d’explosifs et de matières inflammables auraient été faites depuis les usines de General Dynamics à Valleyfield et Repentigny, vers des usines américaines qui produisent des bombes et des obus envoyés sur Gaza.
Le rapport liste aussi, depuis octobre 2023, 433 expéditions de TNT depuis le port de Saguenay vers les États-Unis. Cet explosif utilisé pour la fabrication de bombes est fabriqué en Pologne puis transite par le port québécois pour ensuite prendre les routes canadiennes jusqu’aux États-Unis, avec pour destination finale Israël.
« Ce sont des composants essentiels des avions de chasse F-35 qui sont utilisés par l’armée israélienne, mais aussi des composants et des explosifs qui se retrouvent à même les bombes que ces F-35 larguent sur Gaza. »
Boutaina Chafi, Mouvement de la jeunesse palestinienne
En réaction au manque de transparence du gouvernement sur le sujet, la coalition a passé des heures à analyser des données publiques afin d’alerter la population.
« Il y a des données commerciales d’exportation qui sont des données publiques », précise Boutaina Chafi. « Ce sont des heures, des centaines ou des milliers d’heures qui sont passées à analyser ces données-là, qui sont ensuite complémentées avec des contrats qui sont aussi publics. »
« Tout ça est sous les yeux de tout le monde, en fait, il faut juste en faire la recherche. »
En septembre 2024, l’ancienne ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, avait déclaré : « Nous ne laisserons aucune forme d’armes ou de pièces d’armes être envoyée à Gaza, un point c’est tout. »
Elle avait aussi affirmé avoir suspendu une trentaine de permis d’exportation de matériel militaire vers Israël et avoir cessé l’approbation de nouveaux permis depuis le 8 janvier 2024.
Toutefois, cet été encore, de nombreux permis antérieurs restaient actifs.
Ainsi, un autre rapport publié en juillet dernier par la même coalition, de même que les données du ministère des Affaires mondiales montraient que des expéditions de matériel militaire en provenance directe du Canada arrivaient toujours en Israël, et ce, même après qu’Ottawa ait prétendu avoir mis fin à ces exportations.
Mais surtout, une importante faille demeure, puisque le blocage de nouveaux permis d’exportations militaires à destination d’Israël ne s’applique pas aux marchandises acheminées via les États-Unis.
« Cette chaîne d’approvisionnement tire avantage d’une faille qui existe dans la législation canadienne, qui permet l’exportation de biens militaires vers les États-Unis, la majorité du temps sans permis », explique Boutaina Chafi.
En effet, il n’est généralement pas nécessaire d’avoir une autorisation pour envoyer du matériel militaire chez nos voisins du Sud, sauf s’il s’agit de « systèmes complets d’armes classiques ». Ces exportations ne sont donc pas recensées par Affaires mondiales Canada.
« Il y a un accord qui existe entre le Canada et les États-Unis qui les exempte : les compagnies canadiennes n’ont pas à appliquer pour des permis, alors que pour d’autres pays, il faudrait appliquer à un permis pour chacune de ces pièces-là », détaille Mme Chafi.
« Cette chaîne d’approvisionnement tire avantage d’une faille qui existe dans la législation canadienne. »
Boutaina Chafi
« Donc quand on entend nos gouvernements parler de pause sur les permis, c’est assez ironique, parce que les exportations qui sont détaillées dans notre rapport ne requièrent pas de permis. […] C’est ce qu’on appelle la faille américaine. »
« Ce que ça fait […], c’est qu’il n’y a pas de moyen de retracer ce qui est exporté. Donc ça enlève une énorme responsabilité du gouvernement. »
Rappelons que le Canada est signataire du Traité sur le commerce des armes : il est donc obligé de bloquer toute exportation d’armes s’il existe un risque substantiel qu’elles soient utilisées pour commettre de graves violations des droits de la personne ou des infractions au droit international.
Boutaina Chafi explique aussi qu’en vertu de ce même traité, le Canada ne devrait pas pouvoir exporter du matériel militaire sans exiger de permis. « Ce traité-là, en fait, empêche cette exemption-là que le Canada offre aux États-Unis. Donc, il n’aurait pas le droit de donner des exemptions de permis[…]. Il ne devrait jamais y en avoir. »
Les organismes derrière le rapport réclament des mesures immédiates : bloquer l’exportation de matériel militaire sans permis vers les États-Unis, assurer une transparence totale sur tous les contrats d’exportations militaires et décréter un embargo total et bilatéral sur les armes envoyées et achetées à Israël.
Un projet de loi pour remédier à la « faille américaine » a été déposé en septembre par la députée néo-démocrate Jenny Kwan et a été débattu mercredi à la Chambre des communes.
Le Parti libéral et le Parti conservateur ont exprimé leur désaccord envers le projet de loi C-233, argumentant qu’il nuirait à l’industrie canadienne, aux relations commerciales avec les États-Unis et à la collaboration en matière de défense entre les deux pays et avec l’OTAN.