XOSE BOUZAS / Hans Lucas via AFP
Jean-Luc Mélenchon, entouré de plusieurs figures de son mouvement (Clémence Guetté, Manuel Bompard, Mathilde Panot).
Les insoumis ne font jamais les choses à moitié. À quatre mois des élections municipales, les troupes de Jean-Luc Mélenchon lancent officiellement leur campagne aux Docks d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) ce dimanche 23 novembre. L’occasion de présenter les nombreux candidats partout en France et de donner à voir ce à quoi ressemblerait une ville dirigée par La France insoumise. Manière de montrer, en grande pompe, qu’il faudra compter sur eux en mars 2026.
Car aux dernières élections municipales, le mouvement mélenchoniste avait fait profil bas, préférant soutenir quelques listes citoyennes mais sans stratégie nationale claire. Cette fois, il affiche de grandes ambitions. Si le coordinateur du mouvement Manuel Bompard refuse de donner d’objectif chiffré, il est clair que les insoumis aimeraient décrocher plusieurs mairies, notamment dans les métropoles. À titre d’exemple, Roubaix, Montpellier, Lille, Toulouse et Marseille sont dans le viseur. Jean-Luc Mélenchon y a réalisé de 30 à 40 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle en 2022.
En s’appuyant sur un concept nouveau, le « communalisme », de grands moyens vont être déployés, et des candidats présentés dans plus de 500 communes. « Nous aurons des listes dans 100 % des villes de plus de 100 000 habitants, dans 75 % de plus de 30 000 habitants », expose le député Paul Vannier, chargé des élections au sein du mouvement, auprès de Libération.
Dans des villes aujourd’hui dirigées par la gauche, l’ardeur avec laquelle La France insoumise commence à faire campagne irrite les sortants socialistes ou communistes, qui ont l’impression qu’on marche sur leurs platebandes. Dans « la banlieue rouge », autour de Paris, les troupes de Jean-Luc Mélenchon ne cachent plus leur volonté de décrocher un certain nombre de trophées. Rima Hassan et Manuel Bompard, deux figures parmi les plus identifiées du grand public, seront le 26 novembre à Montreuil… une ville communiste. « Personne n’est propriétaire d’une commune », répond le coordinateur du mouvement. Le député Éric Coquerel assure quant à lui que LFI se lance car « il n’y a aucun risque de droite ou d’extrême droite ». « Ce sera une sorte de primaire de la gauche », assume-t-il.
Au fond, et derrière les cibles prestigieuses affichées en façade, l’objectif est (surtout) de se faire une place dans les conseils municipaux et de mailler le territoire d’élus locaux. Pas inutile, à un an de l’élection présidentielle, d’avoir de nombreux relais sur le terrain. Et, pourquoi pas, de compter plusieurs édiles à la fin de la compétition. Qui plus est dans un contexte où le maire, loin devant les autres, demeure l’élu préféré des Français. 61 % d’entre eux expliquent faire confiance à leur maire, selon une étude du Cevipof parue en février 2025.
Vers un groupe LFI au Sénat ?
L’autre raison pour laquelle La France insoumise espère engranger de nombreuses victoires aux municipales est plus terre à terre. Des élections sénatoriales sont prévues six mois plus tard, en septembre 2026. Plus les insoumis compteront d’élus locaux, plus ils auront de grands électeurs en mesure de voter aux sénatoriales. Jusqu’à présent, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon n’a jamais réussi à constituer de groupe à la chambre haute, ni même à faire élire le moindre sénateur. Un handicap dans la bataille parlementaire, alors que les textes étudiés à l’Assemblée font la navette avec le Sénat, où aucun insoumis n’est là pour prendre le relais. D’autant qu’à gauche, ce sont les seuls à ne pas y être représentés.
Mais pour cela, les listes de La France insoumise devront dépasser les 10 % et ainsi se maintenir au second tour. À ce moment-là, des discussions pourront (en théorie) s’engager avec les autres forces de gauche pour une fusion ou un retrait. « Si les électeurs décident de mettre les insoumis devant ou une autre liste de gauche, charge à ces différentes listes de se mettre d’accord au second tour », résume Manuel Bompard, qui ne souhaite pas que ses troupes soient condamnées à rester derrière ou à se retirer. C’est tout sauf un détail. À Villeneuve-Saint-Georges, la candidature de Louis Boyard avait justement buté sur sa capacité à fusionner au 2e tour.
Pas de cadeau au PS
À l’inverse, l’objectif du Parti socialiste va être de faire en sorte que les insoumis restent sous le seuil de 10 % au premier tour pour éteindre leur velléité de représentation. Ainsi à Paris, le candidat PS Emmanuel Grégoire a plusieurs fois rappelé qu’il ne comptait faire alliance avec La France insoumise ni au premier ni au second tour. Au risque de faire élire Rachida Dati, donnée gagnante en cas de triangulaire au second tour, impliquant le maintien de Sophia Chikirou. « Il ne faut pas qu’un socialiste soit maire de Paris », a cinglé l’insoumise vendredi. « Plutôt perdre Paris que s’allier avec LFI », résume de son côté le maire de Paris Centre Ariel Weil, candidat à sa réélection. C’est une constante à gauche. Depuis très longtemps, des listes partent séparément au premier tour mais finissent par se retrouver au second.
Mais déjà, Jean-Luc Mélenchon met en garde. Dans une interview à Politis publiée le 18 novembre, l’ex-candidat à la présidentielle prévient que ses troupes ne se laisseront pas manger tout cru. « Les socialistes ont dit qu’ils ne voulaient pas des insoumis ni au premier ni au deuxième tour. Comment comptent-ils gagner sans nous ? Avec la droite ? Ils doivent le comprendre : nous n’accepterons pas d’être convoqués entre le premier et le second tour pour porter leurs valises ». En réalité, tous les scénarios sont possibles, même des accords avec le PS. « Toute liste qui se dit prête à fusionner en prenant en compte certaines de nos propositions, ça nous convient », assure le député Hadrien Clouet, interrogé dans Libé. Reste à voir quelles traces ont laissé les divergences de ces dernières semaines.
« On part de zéro »
Contrairement aux Écologistes, qui pourraient concéder de lourdes pertes (Bordeaux, Lyon, Strasbourg), les insoumis perçoivent les municipales comme l’occasion de se refaire, et de combler un sérieux déficit d’implantation locale. « On part de zéro, donc on ne pourra que progresser », résume souvent Manuel Bompard. La plus grande ville qu’ils dirigent actuellement s’appelle Faches-Thumesnil, en banlieue de Lille, et compte 18 000 habitants.
Même si les cadres LFI ne l’admettent pas publiquement, il y a le risque du zéro pointé. Et si, au soir du second tour, les insoumis ne décrochaient aucune mairie ? Ou du moins, un trophée suffisamment signifiant pour le présenter comme un appui sur lequel bâtir la campagne présidentielle ? Un scénario noir, que LFI repousse en s’accrochant aux scores réalisés par Jean-Luc Mélenchon en 2022 ou Manon Aubry en 2024.
À Paris, sans aller jusqu’à imaginer sérieusement que Sophia Chikirou sera la prochaine maire de Paris (elle est créditée de 13 % dans les sondages), les insoumis espèrent décrocher des mairies d’arrondissement, dont celle du 18e où Danièle Obono est candidate. Ou alors des villes populaires comme Saint-Ouen, Saint-Denis ou La Courneuve. Ce qui implique de déloger des sortants coriaces et leurs relais bien implantés. Plus facile à dire, sur le papier, qu’à faire, sur le terrain.