–
«Le parlement a affaibli la protection des consommateurs»
La conseillère nationale Verte et secrétaire générale de la Fédération romande des consommateurs déplore plusieurs décisions récentes prises à Berne. Interview.
La conseillère nationale Sophie Michaud Gigon (Les Verts/VD) dirige la Fédération romande des consommateurs (FRC). Elle regrette notamment l’enterrement du projet visant à introduire les actions collectives en justice.
Yvain Genevay / Tamedia
Une récente statistique d’Eurostat dit que la Suisse est le pays avec le «panier de la ménagère» le plus cher d’Europe.
Ce n’est pas nouveau, mais cela empire. On le constate quand on voit la difficulté qu’ont des familles suisses parfaitement standard à tenir un budget, surtout avec les frais de loyer et de santé, et même ceux de consommation courante. L’îlot de cherté suisse est une réalité! Le fait que les salaires soient globalement plus élevés n’explique pas tout et de loin. Les infrastructures et l’immobilier sont très chers chez nous. Et c’est donc aussi vrai pour les commerces. En plus, le pouvoir d’achat est essoré à l’extrême par des marques et importateurs exclusifs, qui vendent à nos commerces des produits majorés par rapport à nos voisins, une forme de «supplément suisse». À cela s’ajoutent des marges pas toujours correctes. Bref, tout cela se répercute sur les prix pour les consommateurs.
Mais ce que vous dites, c’est que 2025 a vu leur situation nettement se détériorer, notamment du point de vue du cadre législatif?
Oui, je suis à la Fédération romande des consommateurs (FRC) depuis bientôt neuf ans, mais je n’avais jamais vécu une telle année. Prenez la révision de la loi sur les cartels, que le parlement vient d’adopter en décembre. De nouvelles dispositions affaiblissent l’efficacité de la loi et donc la lutte contre l’îlot de cherté et contre les cartels, notamment en rendant licites les accords sur les prix bruts. Alors qu’en 2021 nous avions obtenu dans une large alliance une révision favorable aux plus petits acteurs économiques, en 2025, c’est un retour en arrière. La loi qui vient d’être votée rendra plus ardu le travail de la Commission de la concurrence ( Comco), qui sera freinée dans sa mission de surveillance du marché.
Mais qui en sort gagnant, alors?
Personne ne sort gagnant d’une loi qui perd de son efficacité. Ou alors les avocats d’affaires qui utilisent les brèches et difficultés d’interprétation créées par le législateur, comme ici. Les procédures devant les tribunaux sont déjà trop longues, elles vont durer encore davantage. Au parlement, les représentants proches de faîtières économiques tendent à oublier que les plus petits acteurs économiques n’ont pas les moyens de se défendre comme les grands, qui ont des divisions juridiques. On a «péjoré» la situation des consommateurs, mais aussi des PME, par exemple dans le domaine de la gastronomie et de l’hôtellerie.
Il y a d’autres exemples où les plus petits acteurs économiques ont été floués en 2025?
Oui, à l’évidence, le trop discret enterrement après des années de travail de l ’action collective, qui introduisait la possibilité pour les clients lésés de se rassembler dans une même action judiciaire afin d’avoir plus de poids et de diminuer la charge des procédures et les frais de justice. La Commission des affaires juridiques a fait travailler l’administration en demandant rapport sur rapport, pour ensuite les ignorer totalement et donner un non de principe, sans même parler du projet de loi proposé par le Conseil fédéral.
Sophie Michaud Gigon lors de la session parlementaire de décembre, dans la salle du Conseil national: «Les entreprises qui respectent les clients doivent être favorisées par rapport à celles qui ne le font pas. Pour cela, il faut sanctionner celles qui enfreignent les règles.»
KEYSTONE
Vous êtes inquiète?
Je sonne l’alerte, parce qu’il y a des lacunes dans le droit suisse, comme le fait qu’ on ne régule pas les plateformes de vente en ligne, où les problèmes sont évidents et étayés. Il y a urgence à légiférer, mais là, c’est le gouvernement qui bloque. Je suis aussi inquiète parce que je constate un glissement vers une péjoration comme avec la loi sur les cartels ou quand il s’agit des normes de qualité de ce qu’on consomme. Ce glissement participe à un mouvement plus large de dérégulation et d’attaques contre les institutions, trop souvent mal ciblées.
À quoi attribuez-vous cette succession d’attaques, ce «glissement», comme vous dites?
C’est une tendance générale. Chez nous, la composition du parlement a beaucoup changé avec cette législature, ses priorités aussi. Même si la majorité était déjà de droite auparavant, c’était moins déséquilibré en termes de sièges qu’aujourd’hui. Et une frange d’élus et d’élues de droite était plus encline à défendre la population dans son quotidien sur ces questions et moins liée aux mots d’ordre. L’aboutissement, c’est le constat clair d’un affaiblissement de la protection des consommateurs.
Vous y lisez donc aussi une évolution idéologique de la manière dont le consommateur est considéré?
Sans doute. On est dans un pays qui promeut la responsabilité individuelle. Je comprends ce principe libéral, mais alors, allons jusqu’au bout: les entreprises qui respectent les clients doivent être favorisées sur le marché par rapport à celles qui ne le font pas. Pour cela, il faut sanctionner celles qui enfreignent les règles. Donc, en ce sens et en termes d’idéologie libérale aussi, c’est stupide d’avoir refusé l’action collective. En réalité, on considère que la responsabilité individuelle signifie juste que le consommateur peut décider ou non d’acheter un produit, même sans information fiable. C’est un peu court. D’ailleurs, le parlement ne veut jamais mettre un cadre au marketing, même si nous sommes plus ciblés que jamais via les plateformes de communication et de consommation.
Comment inverser la tendance?
Il faut se réveiller. C’est tout le travail d’une association comme la FRC, qui s’appuie sur une communauté de membres, mais le mouvement doit s’élargir pour gagner du poids. Les tests et enquêtes que nous publions régulièrement nous apportent aussi des arguments pour faire bouger les lignes, petit à petit, dans des alliances de circonstances. Prenez par exemple la création d’un Observatoire des prix et des marges pour les denrées agricoles. Dès le 12 janvier, nous allons traiter ce thème en commission de l’économie. Ça restera compliqué à cause du sacro-saint secret commercial et aussi parce que dans ce dossier, les intérêts sont bien imbriqués entre les agriculteurs, la transformation et la distribution. Mais obtenir l’aval du parlement pour un tel Observatoire a été une victoire en soi pour les paysans et les consommateurs. Mettre en place une meilleure transparence devrait leur profiter. C’est une belle perspective, mais le combat et les forces restent inégaux, il faut en être conscient et réagir.
Pour analyser la situation économique
Newsletter
«Conso»
Comparatifs, nouvelles tendances et conseils pour garder la main sur votre porte-monnaie. Chaque mardi.
Se connecter
Vous avez trouvé une erreur? Merci de nous la signaler.