Le poumon économique de la Turquie, Istanbul, a été proposé par le président russe Vladimir Poutine comme lieu de pourparlers directs avec l’Ukraine. Des pourparlers qui doivent se tenir ce jeudi 15 mai en présence du dirigeant ukrainien Volodymyr Zelensky et d’une délégation russe dont la composition reste inconnue.

« Istanbul apparaît comme la meilleure solution pour tenir des discussions, tous les ingrédients sont réunis », souligne le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense de BFMTV.

La Turquie, membre de l’Otan, a déjà accueilli des pourparlers directs entre les deux parties en mars 2022. S’ils n’ont donné aucun résultat, cela a permis à Ankara de se placer comme un acteur majeur des négociations. En juillet de la même année, Istanbul a été le théâtre de la signature d’un accord, sous la médiation des Nations unies, permettant l’exportation des céréales ukrainiennes via un corridor sécurisé en mer Noire.

La Turquie entretient des « relations fortes » avec Moscou et Kiev

« La Turquie est forcément concernée par le conflit parce qu’elle est pratiquement voisine des deux protagonistes », nous explique le général Jérôme Pellistrandi. La mer Noire est notamment un enjeu primordial pour Ankara qui y contrôle deux détroits essentiels aux flux commerciaux et militaires de la région.

Le président turc Erdogan entretient ainsi des « relations fortes » tant avec Kiev que Moscou. L’une des explications sur la proximité avec l’Ukraine tient à son rattachement au bloc occidental en tant que membre de l’Otan. Ankara livre des armes à l’Ukraine et soutient son souhait d’adhésion à l’alliance transatlantique. Recep Tayyip Erdoğan, qui condamne l’annexion de la Crimée, a également réitéré plusieurs fois son attachement à l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

« Une Ukraine forte sert de contrepoids à l’expansion russe » en mer Noire, analyse de son côté, Zineb Riboua, chercheuse spécialiste du Moyen-Orient à l’Hudson Institute, un think tank conservateur américain. Et pour la Turquie, « empêcher la domination russe en mer Noire demeure une priorité absolue ».

Ankara et Moscou, des partenaires économiques

La Turquie, qui tient ses distances avec le bloc occidental malgré son adhésion à l’Otan en 1952, recherche également de bonnes relations avec Moscou. Les deux pays – dont les relations ont longtemps été conflictuelles et qui sont encore parsemées de soubresauts – sont d’importants partenaires commerciaux. En 1992, ils ont créé l’organisation de Coopération économique de la mer Noire qui s’est traduit par la construction des gazoducs Bluestream, opérationnel depuis 2005, et Turkstream, depuis 2020.

Les relations entre Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdoğan, déçu des Européens qui refusent l’adhésion de son pays à l’UE, se sont d’autant plus réchauffées à partir de 2016.

« Ce sont deux hommes qui répondent au même profil du dirigeant fort », note le général Jérôme Pellistrandi.

« Après la tentative de putsch en Turquie (en 2016, NDLR), le premier à appeler Erdogan pour le féliciter de la répression était Poutine. Lorsqu’il a été réélu, Poutine a choisi la Turquie comme première visite à l’étranger », rappelle dans les colonnes de Ouest-France, Carole André-Dessornes, membre de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO).

Mais, « la Turquie n’est pas dans le camp russe », nuance au quotidien régional, Patrice Moyeuvre, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). « Les bons rapports n’effacent pas le passif et le fait que la Turquie reste un membre de l’Otan « .

Aux yeux de Vladimir Poutine, l’appartenance de la Turquie à l’alliance transatlantique et son soutien à l’Ukraine ne semble toutefois pas être un problème pour accueillir ses pourparlers. Pour lui, « il s’agit de choisir un pays qui n’appartient pas à l’Occident », commente Carole André-Dessornes, également chercheuse associée à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

« Poutine savait qu’Erdogan, qui veut jouer un rôle important dans la région, serait heureux d’accepter », abonde le général Jérôme Pellistrandi. Puis, le maître du Kremlin a proposé de « rouvrir les négociations interrompues en 2022 », relève-t-il, à un moment où l’Ukraine était en mauvaise posture et où la Russie imposait « une capitulation ».

Article original publié sur BFMTV.com