Mais, «la tendance n’est pas très bonne», met en garde Marc Lhermitte, associé EY. En un an, le nombre de projets portés par les investisseurs étrangers a baissé de 14% en 2024. Et le repli atteint 27% pour les créations d’emplois promises par rapport à 2023 avec 29000 postes concernés, son plus faible niveau depuis 2020, année du Covid. Appuyé sur une autre méthodologie, le bilan annuel de l’agence Business France pointait en mars une tendance similaire.
La fuite des investisseurs américains pénalise l’Europe
Certes, ce repli des investissements étrangers n’est pas propre à la France. Ses deux grands rivaux dans ce domaine – le Royaume-Uni et l’Allemagne – enregistrent la même chute de nouveaux projets, avec une baisse respective de 13% et 17% des projets annoncés en 2024. Au global, le nombre de projets en Europe a reculé de 5% sur les 45 pays européens étudiés par EY.
Avant même la politique commerciale de la nouvelle administration à Washington, la concurrence de l’Inflation reduction act (IRA) a incité les groupes américains à revoir leurs priorités, au profit de leurs activités outre-Atlantique. Même s’ils restent les plus gros investisseurs sur le vieux Continent, ceux-ci ont réduit de 11% leurs projets en Europe l’an dernier, et de 12% en France. Et en trois ans, les nouveaux emplois créés par leurs annonces d’investissement ont dévissé de moitié, passant de près de 110000 en 2021 à 55000 en 2024. Et a priori, il y a peu de chances que cette tendance s’inverse sous Donald Trump. «Cela représente un effet ciseau considérable pour l’Europe», remarque Marc Lhermitte.
À cette concurrence internationale accrue et aux turbulences globales, s’ajoutent aussi les incertitudes politiques. En France, passé le choc de la dissolution à l’été, «les entreprises ont pris acte de la fin de près de dix ans de stabilité des choix de politique économique, plus que d’un véritable ajustement fiscal pour le moment», décrypte Marc Lhermitte. En Allemagne et au Royaume-Uni, le choc politique a été moins vif. Mais les doutes des investisseurs montent aussi sur la capacité de la nouvelle coalition allemande à dynamiser l’activité et d’autres hausses d’impôts ont été engagées par le gouvernement de Keir Starmer de l’autre côté de la Manche, rappelle l’expert. De quoi relativiser les faiblesses françaises.
Un nombre d’emplois industriels plus réduits liés aux investissements étrangers
Il n’empêche que le décompte des projets d’investissement fait apparaître des fragilités inquiétantes de l’attractivité de la France. Le pays est resté, et de loin, le champion pour attirer des usines en Europe, avec 415 projets d’investissement annoncés dans des sites de production. Mais cette dynamique de réindustrialisation s’enraye. En 2024, le nombre de projets industriels a reculé de 22 %, plus fort que dans les principaux autres pays européens. Le nombre d’emplois créés dans les usines a chuté de 40%, pour tomber à 12304 emplois l’an dernier. En moyenne, les projets en France sont devenus plus petits, avec 33 emplois créés en moyenne par projet industriel (et 30 au global), contre 128 en Allemagne et 180 en Espagne et 182 en Italie.
Tous secteurs confondus, seuls 66 projets en France ont dépassé les 100 emplois promis, souligne encore EY. « Les plus gros projets ont le plus souffert. Les entreprises n’abandonnent pas la France, mais elles n’ont plus beaucoup de certitude. Dans ce contexte, elles investissent à petit pas et le coût de la main d’œuvre devient un des critères dominants, avec des marges qui se réduisent », analyse Marc Lhermitte. Et, l’écrasante majorité des projets en France concernent des extensions de sites déjà existants. Les nouveaux projets « greenfield » – mis en avant ces dernières années par l’implantation des gigafactories – ne représentent que 15% des annonces des investisseurs étrangers, contre 28% en Allemagne et près de 57% en Espagne.
L’exception de l’industrie agroalimentaire et l’énergie
Au niveau sectoriel, peu de secteurs surnagent. Dans l’industrie pharmaceutique, le nombre de projets est retombé à son plus bas niveau depuis le covid, passant de 24 à 14 projets entre 2023 et 2024. La baisse est aussi forte dans la chimie, fragilisée par le repli vers les États-Unis des groupes américains, dans les transports – essentiellement l’automobile (- 30% de projets pour des emplois créés en baisse de 57%) – et les équipements industriels (-25% en nombre et – 46% des emplois). Avec le secteur de l’énergie, l’industrie agroalimentaire est le seul secteur à enregistrer une hausse des annonces d’investissements étrangers, avec 11% de projets en plus et 21% de créations d’emplois supplémentaires. Dans l’énergie, ce sont 74 projets qui sont annoncés, des batteries de stockage de l’estonien Skeleton en passant aux projets de SMR ou au projet d’usine photovoltaïque de Das Solar.
Les mêmes faiblesses se retrouvent aussi pour l’innovation. Malgré la quasi-stabilité du crédit d’impôt recherche, les investisseurs étrangers ont réduit la voilure de leurs projets de R&D avec une baisse de 15% du nombre d’annonces, avec 104 projets, son plus bas niveau depuis 2018. Et ceux-ci ont employé près de deux fois moins de scientifiques et d’ingénieurs qu’en Espagne (avec 2798 emplois contre 5784), même si la France reste première pour attirer les centres de recherche sur l’intelligence artificielle et le quantique.
La concurrence accrue de l’Espagne
Avec une compétition accrue, au niveau européen, pour attirer les usines, l’Espagne fait figure de concurrent de plus en plus sérieux. En 2024, le pays qui pointe à la quatrième place européenne a observé une hausse de 17% du nombre de projets industriels annoncés par des investisseurs étrangers, à 91 projets, avec des créations d’emplois promises supérieures à la France. AstraZeneca a annoncé l’extension de son site à Barcelone, avec 1000 emplois supplémentaires à la clef, tandis que BP investit dans un projet de production d’hydrogène vert près de Valence. «Le pays a encore beaucoup de foncier disponible, les délais de raccordement au réseau et les prix énergétiques sont plus compétitifs. La politique migratoire favorise aussi le recrutement de main d’œuvre», détaille Marc Lhermitte, tandis que l’Espagne profite encore des fonds européens pour financer certains projets d’infrastructure.
Autant de facteurs que la France va devoir intégrer si elle veut conserver son avance. La bataille pas perdue. 62% des investisseurs étrangers pensent étendre leurs activités en France dans les prochaines années, selon un sondage mené en parallèle auprès de 200 dirigeants de filiale étrangères. Un chiffre qui reste à un niveau élevé. Alors que la moitié des entreprises anticipait un décrochage de leurs investissements l’an dernier, au moment de la chute du gouvernement Barnier, les entreprises étrangères assurent finalement avoir continué à investir. «Les entreprises étrangères n’ont absolument pas envie d’abandonner la France», souligne Marc Lhermitte.