L’exploitant d’une station d’épuration métropolitaine à Saint-Laurent-du-Var a accusé la collectivité d’avoir fermé les yeux sur des installations obsolètes, ce qu’elle conteste fermement. Une enquête a été ouverte.
Une station d’épuration à Saint-Laurent-du-Var, ville voisine de Nice (Alpes-Maritimes), est dans le viseur de la justice. Une enquête a été ouverte concernant des rejets d’eaux usées qui seraient à l’origine d’une pollution de la mer Méditerranée depuis plusieurs années, a appris Le Figaro auprès du parquet de Grasse. Quatre plages sont temporairement interdites à la baignade et à la navigation en raison de mauvais indicateurs bactériologiques (Escherichia coli et entérocoques intestinaux). Les premières brasses attendront…
Cette station d’épuration est métropolitaine puisqu’elle appartient à la régie «Eau d’Azur», mais son exploitation est confiée depuis quinze ans à une société locale, la Serex. La première alerte et le début du quiproquo remontent à la fin de l’été dernier : la métropole de Nice-Côte d’Azur – dont le maire laurentin, Joseph Ségura, est vice-président – s’étonne des analyses conformes transmises par l’exploitant de la station alors que la qualité des eaux de baignade à proximité est trop souvent dégradée d’après plusieurs relevés de l’Agence régionale de santé.
D’autres contrôles sont alors diligentés au sein des infrastructures. Ils révèlent bien «des dysfonctionnements» ainsi que «des manquements graves», dixit la métropole dans un communiqué en date de fin janvier et qui vise clairement la Serex. Mise en demeure de la société, audit et actions correctives sont encore annoncés, en plus d’un signalement à la justice sous la forme d’un article 40 d’abord tenu secret et aujourd’hui à l’origine de l’ouverture de l’enquête judiciaire. Celle-ci est toujours en cours et le parquet grassois ne souhaite pas en dire davantage à ce stade.
«Bouc émissaire»
Mais les propos tenus par le président de la Serex la semaine dernière dans le quotidien régional Nice-Matin pourraient donner une tout autre ampleur à cette affaire… et un peu plus de travail aux enquêteurs pour démêler le vrai du faux. Le dirigeant se dédouane et accuse les services de la métropole de ne pas avoir écouté ses alertes sur l’état des installations. En cause précisément, des membranes filtrantes obsolètes qui n’auraient pas été changées pour des raisons budgétaires et qui pourraient donc être à l’origine de la pollution.
Pierre Cancian, le président de la Serex, a expliqué l’avoir signalé «depuis longtemps». «Ils peuvent toujours dire qu’on les a mal entretenues mais je les avais prévenus», a-t-il martelé dans la presse locale, assurant que c’était à la régie de les changer et qu’un devis avait été demandé «il y a quatre ans», sans suite. Pour lui, la collectivité cherche ainsi un «bouc émissaire». «S’il faut être le fusible, je le ferai, mais je n’y suis pour rien», a-t-il encore assuré, provoquant ainsi une onde de choc. Sollicité par Le Figaro, il a fait savoir qu’il n’avait rien de plus à déclarer.
À la suite de son explication, la métropole a dégainé un long communiqué de presse pour se défendre point par point dans ce dossier qui pourrait devenir très embarrassant, surtout à trois mois d’accueillir le monde entier à Nice pour le troisième sommet onusien de l’océan (9 au 13 juin). Chaque mot aurait été pesé.
Circuit d’évitement
«Les faits mettant en cause l’entreprise Serex sont graves», a entamé la collectivité. Puis de sous entendre que les résultats d’analyses ont été volontairement tronqués par la société, chose qui serait prouvée par un nouveau contrôle en décembre dernier. «Les investigations menées par la régie métropolitaine remettent en cause les justifications fournies par la Serex», résume la métropole, par ailleurs présidée par le maire de Nice Christian Estrosi.
La collectivité accuse «un positionnement non conforme du point de contrôle des rejets en sortie de station» et va même jusqu’à évoquer un circuit d’évitement qu’elle ignorait. C’est en se rendant compte de ce procédé frauduleux, et en le stoppant, qu’elle se serait «subitement» aperçue du problème des membranes. Cela a «mis en évidence», dixit la métropole, «l’incapacité des membranes à traiter l’intégralité des eaux usées», poursuit-elle.
Entre les lignes de ce long communiqué, on comprend que la métropole niçoise, qui compte 51 communes, se dit dupée par la société exploitante. La prise de parole de son président «ne vise qu’à détourner l’attention», attaque-t-elle encore. Pour autant, dans le cadre d’un contrat d’exploitation, la régie et donc la métropole seraient directement responsables en cas de problème.
Fin du contrat
Cette discrète station d’épuration est nichée à l’embouchure du fleuve Var, entre le centre commercial Cap 3000 et le bout de la piste de l’aéroport international. Une zone malgré tout réputée pour sa biodiversité et en théorie préservée. Cette station gère les effluents des communes de la rive droite, du Broc à Saint-Laurent-du-Var, en passant par Carros ou encore Gattières. Mais, à terme, la structure va disparaître en lien avec la livraison du mastodonte «Haliotis 2», nom du méga chantier à plus de 700 millions d’euros pour une nouvelle station d’épuration polyvalente réalisé avec Suez du côté de Nice. 26 communes métropolitaines y seront reliées. Une grande partie du projet est d’ailleurs financée par la régie Eau d’Azur.
Face à la polémique, des travaux ont été engagés pour remplacer les membranes défectueuses. La fin de ce chantier rectificatif d’urgence est prévue pour fin avril avec l’espoir d’améliorer la qualité de baignade à l’approche de la saison estivale. Des professionnels du tourisme en souffriraient encore un peu plus.
Entre-temps, le 15 avril, la Serex aura perdu son contrat, celui-ci revenant à Suez dans le cadre de la mutation vers la nouvelle station Haliotis. Mais l’histoire entre la métropole et son ancien exploitant ne sera pour autant pas tout à fait terminée. Ils pourraient prochainement se retrouver pour un sérieux contentieux devant le tribunal.