Comment la McLaren parvient-elle à
préserver ses pneus arrière ? La réponse se cache peut-être dans un
détail qu’on ne voit presque jamais : ses écopes de frein.

Le décompte est sans appel. McLaren a remporté cinq des six
Grands Prix disputés. Comme on l’a déjà relevé,
la McLaren tire sa vitesse essentiellement du fait qu’elle exploite
parfaitement ses pneumatiques
.

Ce qui est frappant, c’est que la MCL39 parvient à mettre
rapidement ses gommes en température en qualification, tout en les
épargnant en course. En général, les voitures qui économisent leur
gommes en course ont du mal à les “allumer” pour un tour chrono, et
inversement.

La grande question à laquelle les rivaux de McLaren en Formule 1
tentent aujourd’hui de répondre est la suivante : comment la MCL39
parvient-elle à gérer aussi efficacement la température des pneus
arrière ? Pour tenter de comprendre,
Red Bull a transmis à la FIA des images prises par une caméra
thermique, sous-entendant une possible infraction
, ce qu’a
démenti une inspection minutieuse des écopes de frein de la MCL39
menée par la Fédération après le Grand Prix de Miami.

Il ne s’agit évidemment pas d’un “dispositif miracle”, mais bien
d’une combinaison de facteurs : plate-forme aérodynamique,
cinématique de suspension, stratégie de récupération d’énergie… et
gestion thermique dans les roues avant comme arrière.

<p>McLaren, pneu, F1<br data-mce-bogus=

‘ width= »710″ height= »473″> © Nicolas Carpentiers
Le rôle crucial des écopes de frein

Cette gestion est opérée par les
écopes de frein avant
et
arrière
. Leur conception interne prend en compte les besoins de
refroidissement, les effets aérodynamiques recherchés, mais aussi
les contraintes thermiques liées à l’usage des pneumatiques.

Les conduits n’apportent pas seulement de l’air frais aux
disques en carbone : ils doivent aussi permettre l’évacuation d’une
partie de l’air chaud généré par le freinage.

“Nous faisons un peu de tout dans ce très petit espace,
explique David Sanchez,
directeur technique exécutif d’Alpine et éphémère collaborateur de
McLaren
, à propos de cette partie de la voiture. D’un côté,
il faut vraiment refroidir les freins.”

“Mais si l’on considère que les freins atteignent une
température de 600 à 800 °C, on essaie vraiment d’éviter que
cette chaleur ne se propage à la jante et aux pneus, ou bien on
essaie de contrôler ce flux de chaleur. C’est donc tout l’enjeu de
l’ingénierie que de contrôler ce flux de chaleur.”

<p>McLaren, Stella<br data-mce-bogus=

 » width= »710″ height= »473″> © XPB Images / Laurent
Charniaux
Une priorité dès la conception de la McLaren
MCL39

Dès les premières étapes du développement de la MCL39, les
ingénieurs de Woking ont accordé une attention particulière à la
gestion des pneumatiques, comme l’explique Andrea Stella, le team
principal :

“Au moment de concevoir la MCL39, nous nous étions bien sûr
fixé des objectifs en termes d’efficacité aérodynamique, mais nous
souhaitions aussi progresser sur le plan mécanique et en termes
d’interaction avec les pneus.”

“Il y a une très bonne ingénierie derrière tout cela. Nous
avons examiné de manière globale toutes les caractéristiques d’une
voiture qui influencent le comportement des pneus.”

© Nicolas
Carpentiers

Un système fermé…

L’un des axes de ce qu’il décrit comme un “travail
d’ingénierie très ciblé” a porté sur la modification du
concept des freins arrière. Si l’on ignore ce que cela recouvre
exactement, on peut constater que les écopes et les tambours de la
MCL39 figurent parmi les plus complexes de la grille.

Alors que la majorité des équipes cherchent à refroidir les
disques ou les étriers en les laissant partiellement exposés,
McLaren semble avoir adopté une approche inverse, en les enfermant
de manière assez radicale – vraisemblablement grâce à de la fibre
de carbone recouverte de céramique, voire d’un
matériau à changement de phase
(aussi appelé à mémoire de
forme).

À partir de là, elle a mis en place un réseau complexe de
canalisations internes, dérivées des conduits de frein, qui
contribuent à produire l’effet de refroidissement recherché.

<p>McLaren, pneu, F1</p> © Nicolas Carpentiers

… et très bien isolé

Pour supporter de telles températures, les écopes doivent être
isolées, en recourant à différentes techniques :

“Les tambours de frein sont isolés thermiquement,
explique Steve Foster, ingénieur composite chez McLaren. Si on
laissait la chaleur du disque irradier vers la jante sans
isolation, cette dernière fondrait littéralement et risquerait de
casser.”

“De la même façon, certaines conduites à l’intérieur de
l’écope présentent une construction en sandwich, consistant en une
couche de feuille d’or, une couche d’aérogel de silice* et une
couche de fibre de carbone.”

Certains ont même évoqué l’existence d’un régulateur de flux
permettant de moduler la température de l’air circulant entre les
freins et le tambour, selon les besoins thermiques des pneus. En
phase de mise en température (en qualification), l’air chaud généré
par les freins serait dirigé vers l’extérieur, de la coque
enfermant le disque afin de réchauffer la jante. À l’inverse,
lorsque le refroidissement devient prioritaire (en course, ou en
fin de tour de qualification), le flux serait inversé pour évacuer
plus efficacement la chaleur.

Une telle solution serait ingénieuse pour résoudre un problème
d’équilibre thermique particulièrement complexe. Hélas, elle
entrerait en contradiction flagrante avec l’article 15.1.3 du
règlement technique, qui définit les matériaux à mémoire de forme –
et, plus loin, en interdit formellement l’usage à l’article
15.4.1.

<p>F1, 2022, MCL36<br data-mce-bogus=

 » width= »710″ height= »473″> © Nicolas Carpentiers

Le dessin de cet enchevêtrement de canalisations s’appuie sur
les résultats de la CFD (la
mécanique des fluides numérique
) et sur des tests au banc
d’essai reproduisant les conditions d’un Grand Prix. Le
refroidissement ne consiste pas seulement à maximiser l’entrée
d’air dans un système : il faut aussi générer une zone de basse
pression en sortie, pour forcer l’écoulement rapide de l’air à
travers l’ensemble.

On note d’ailleurs la présence d’un capteur de pression à
l’intérieur du tambour,
dont Red Bull avait déjà mis en cause la légalité l’an passé alors
que le dispositif est conforme
.

Ce capteur de pression ou de débit pourrait mesurer le flux
d’air frais qui agirait comme une sorte d’isolant pour s’assurer
que les températures restent sous contrôle. Un domaine que l’écurie
britannique connaît bien : elle avait été confrontée à
phénomène de surpression à l’intérieur
des écopes de frein en début de saison 2022
(voir l’image
ci-dessus).

<p>McLaren, pneu, F1</p> © Nicolas Carpentiers

McLaren innove à l’avant aussi

Naturellement, cette capacité à préserver les pneus arrière ne
dépend pas d’un seul paramètre : une Formule 1 fonctionne comme un
système intégré. Les écopes de frein avant sont, elles aussi,
particulièrement travaillées, avec une architecture à double
entrée.

Pourquoi ce choix peut-il favoriser une bonne gestion thermique
des pneus arrière ? Parce que ces derniers montent en température
plus rapidement que les gommes avant.

Dès lors, une montée en température plus rapide à l’avant réduit
la nécessité de solliciter les pneus arrière pour compenser un
train avant trop froid. Le pilote peut ainsi générer la température
requise sans provoquer une surchauffe à l’arrière.

© Nicolas
Carpentiers

On le voit : McLaren dispose là d’un atout majeur – au point que
Red Bull envisage désormais de s’inspirer du dessin des écopes de
frein arrière des monoplaces orange dans le cadre de son plan de
redressement.

Il n’existe toutefois pas de solution miracle en Formule 1, et
la MCL39 bénéficie d’un autre avantage, lui aussi lié à la gestion
thermique, que nous vous dévoilerons bientôt.

(*) Un aérogel est un matériau nanostructuré qui ressemble à un
gel mais où le composant liquide est remplacé par du gaz. De quoi
faire de l’aérogel un solide à la densité particulièrement faible.
Avec une conductivité thermique très faible, l’aérogel de silice
est un isolant thermique très efficace.