Poursuivant une programmation audacieuse et originale, l’Opéra national du Rhin ressort des oubliettes l’ultime opus de Franz Lehar dans une nouvelle production de Pierre-André Weitz. L’idée enchante, pas la réalisation.

Giuditta

© Klara Beck

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Roi de l’opérette viennoise depuis le triomphe de sa Veuve joyeuse (1905) au Theater an der Wien, Franz Lehar fit les riches heures de ce genre en vogue dans la capitale autrichienne, avant de bifurquer sur le tard vers une conception plus seria de son art. Approche dont témoigne cette Giuditta créée au Staatsoper en 1934 – puis traduite et revue par André Mauprey en 1935 pour le Théâtre de la Monnaie. Aussi, lui coller des étiquettes (opéra ? opérette ? singspiel ?) est inutile tant elles se confondent dans cette œuvre légère, mais guère comique : un légionnaire nommé Octavio tombe sous le charme de la bohémienne Giuditta (I), qu’il arrache à son fiancé et convainc d’embarquer avec sa garnison vers les rives méridionales de la Méditerranée (II). Là-bas, son sens du devoir lui fait renoncer à Giuditta (III) qui devient alors la nouvelle vedette d’un night-club (IV). De retour en Europe, ils se retrouvent par hasard, mais droit dans ses bottes, Octavio renonce aux avances de Giuditta (V). Cette musikalische Komödie qui emprunte à Carmen ainsi qu’au premier cinéma parlant de Sternberg (L’Ange bleu, Cœurs brûlés) s’achève donc sur un crépuscule : celui des deux rôles principaux, celui du compositeur, celui d’une époque et d’une culture bientôt rattrapées par l’Histoire.

D’oiseau bohème à oiseau de nuit

Un climat de légèreté doit régner, mais pas ce comique potache dans lequel se complaît Pierre-André Weitz, cédant à une direction d’acteur grossière et aux gags de mauvais boulevard. L’idée d’enraciner l’action et ses personnages dans l’univers du cirque – idéal pour déployer visuellement les couleurs contrastées de la partition et rendre saillante sa Sehnsucht caractéristique – avait pourtant de quoi réjouir. Hélas, malgré une scénographie plutôt habile avec ses grands panneaux mobiles et ses jolis décors, ce cirque-là s’avère un guignol sans vis comica faute de timing, de précision et de cohérence. Plus gênant, c’est le traitement superficiel du rôle-titre qui jure. Certes, quittant sa cage (au sens propre ici, pourquoi pas !), Giuditta s’éprend d’une liberté qui se manifeste par le chant, la danse ou les numéros de cabaret, mais à édulcorer sa condition de demi-mondaine et enjoliver la « gaîté frelatée » du night-club, le metteur en scène omet qu’il s’agit en réalité d’une émancipation de pacotille pour cette femme dont l’envol rime avec solitude. D’oiseau bohème à oiseau de nuit, Giuditta n’est certainement pas une Carmen, et réduire sa trajectoire à celle d’un accomplissement artistique lui fait perdre en relief comme en portée dramatique.

Insipidités

La distribution ne plaît pas davantage, notamment parce que Melody Louledjian se confronte à un rôle-titre dont elle ne possède ni l’ambitus ni le caractère : tandis que le timbre manque de séduction – notamment dans le haut de la tessiture – le texte se perd, faute de projection et de maintien entre les registres. Aussi, on cherchera en vain la brûlante sensualité de sa Giuditta, trop embarrassée et compassée pour que charme sa Chanson « Sur mes lèvres se brûle ton cœur ». Thomas Bettinger campe un Octavio court de souffle et à la ligne heurtée, dont le lyrisme bute quelquefois contre un expressionnisme superflu. Passons sur les cabotinages scéniques d’Anita et Séraphin pour apprécier la belle complicité vocale qui unit leurs interprètes Sandrine Buendia et Sahy Ratia dans leur ritournelle « Quand on est deux, tout est bien ». En outre, on retiendra le Cévenol haut en couleur de Jacques Verzier, excellent comédien qui compense en partie l’histrionisme des nombreux rôles parlés.

Face à un Orchestre national de Mulhouse en bonne forme, on attendait mieux de Thomas Rösner, dont la direction au carré mais sans souplesse n’est parvenue à épouser ni la diversité de climats proposés par la partition, ni les exigences d’un plateau vocal qui aurait nécessité d’être mieux écouté et accompagné. 

Giuditta de Lehar. Strasbourg, Opéra national du Rhin, le 11 mai. Représentations jusqu’au 20 mai à Strasbourg, puis les 1er et 3 juin à Mulhouse.