Sur le programme du Vincennes images festival (Vif), le nom de Romain Rossard côtoie ceux de la photojournaliste Véronique de Viguerie, Nikos Aliagas ou encore Sebastião Salgado, selon lui « l’un des plus grands photographes du monde ». Et pour mieux nous rallier à sa cause, le Poitevin pose sur sa table basse Genesis, principal portfolio du photographe brésilien. Il feuillette un instant les paysages en noir et blanc, puis formule à voix basse, comme un vœu pieux : « J’espère qu’il verra mes photos. »

« Pour certains, nous sommes leur seul lien avec l’extérieur »

Avec La Voix des oublié.e.s, Romain Rossard signe à 39 ans sa première série photo documentaire. Après un an et demi à arpenter le quartier prioritaire de Beaulieu, à Poitiers, l’infirmier à domicile a eu « envie de photographier certains patients », pour raconter leurs histoires. Un « petit projet d’expo », qui s’est d’abord mué en podcast grâce au concours de la journaliste Agathe Gallo, et compte désormais parmi la trentaine de sélectionnés au Vincennes images festival, qui du 16 mai au 16 juin 2025, met la focale sur de nouveaux talents de la photographie amateur.

Parmi les patients photographiés par Romain Rossard, Christophe, 57 ans. Dans le premier épisode de « La Voix des oublié.e.s », cet habitant du quartier de Beaulieu raconte son enfance et sa lutte contre l’alcoolisme.

Parmi les patients photographiés par Romain Rossard, Christophe, 57 ans. Dans le premier épisode de « La Voix des oublié.e.s », cet habitant du quartier de Beaulieu raconte son enfance et sa lutte contre l’alcoolisme.
© (Photo Romain Rossard)

Une reconnaissance que l’infirmier dédie volontiers à la dizaine de patients qui ont accepté de passer devant son objectif, sans pose ni artifice : « Je les ai photographiés tels que je les connais, à l’endroit où j’avais l’habitude de leur faire leurs soins. » Ses clichés immortalisent ainsi Sophie, 54 ans, perchée à son balcon donnant sur la place des Templiers, cigarette à la main. Ou encore François, retraité, dans le désordre d’un salon où s’observent une bibliothèque débordante de livres d’histoire et un portrait de Marie-Antoinette.

Faire un pilulier, ça prend dix minutes et ça n’est pas rémunéré, mais ça laisse le temps de parler de la pluie et du beau temps, et parfois de sujets plus intimes.

Romain Rossard, infirmier libéral et photographe amateur Poitiers

Ce qui frappe, c’est la précarité sociale et l’isolement communs à ces modèles, photographiés dans la singularité de leur quotidien. Le podcast pose des voix sur ces parcours de vie ponctués de déracinements, d’addictions, de violences ou d’abandons. « Il y a un sentiment de déréliction très fort. Pour certains, nous sommes leur seul lien avec l’extérieur », témoigne l’infirmier. Loin de toute forme de misérabilisme, ses photographies donnent à voir les mécanismes de « résilience » de ceux qu’il a appris à connaître, au gré de ses tournées quotidiennes.

Portraits de résilients

« En libéral, tu fais une trentaine de passages par jour, plus ou moins longs. Faire un pilulier, ça prend dix minutes et ça n’est pas rémunéré, mais ça laisse le temps de parler de la pluie et du beau temps, et parfois de sujets plus intimes. » C’est en gagnant sa confiance que Romain Rossard a pu photographier Capucine, la peluche à laquelle parle François pour se sentir moins seul, ou les collages que réalise Jean-Jacques, pour apaiser sa bipolarité et son éco-anxiété.

« Ils m’apportent beaucoup, confie le Poitevin, qui regrette que le soin relationnel soit absent de la nomenclature des infirmiers libéraux. Quand je suis fatigué ou de mauvaise humeur, échanger avec un couple comme Dominique et Jean-Jacques me redonne le sourire. Mais quand tu es infirmier, tu ne peux pas le dire. » Au travers de son appareil photo, il semble que le message soit passé.