« On était dehors avec trois enfants, devant notre immeuble, et on a entendu les rafales. J’ai vu le voisin, complètement paniqué, essayer de récupérer ses enfants et on est rentré en courant dans notre immeuble. » La scène, racontée par une habitante de Villejean, à Rennes, se passe le 3 mai. À une centaine de mètres de là, rue du Nivernais, trois individus tirent à l’arme automatique et blessent trois hommes.

Le dernier épisode en date de la guerre à laquelle se livrent des bandes de narcotrafiquants dans ce quartier sensible du nord-ouest de la capitale bretonne. Comme lors de la précédente fusillade du Subway, où se trouvait une petite fille de six ans, c’est en plein jour que les assaillants ont décidé d’opérer. Au milieu, des familles, spectatrices hébétées de cette guerre de territoire. Les violences sur fond de trafic de drogue, les habitants de Villejean, mais aussi de Maurepas, théâtre d’une autre guerre de clans fin 2024, ou encore du Blosne, sont contraints de vivre avec. Pour d’autres, ces violences ont un impact beaucoup plus lourd, comme cet enfant, fils de dealer à Maurepas, blessé d’une balle dans la tête entre Vezin-le-Coquet et Pacé après une course-poursuite en décembre 2024.

À Villejean, l’évènement du 3 mai était le 7e épisode de tirs depuis fin 2024. « Plus tôt dans la semaine qui a précédé ces tirs, mes enfants et leur papa, en allant au parc, sont tombés nez à nez avec un gars armé qui en menaçait un autre, raconte, encore abasourdie, une autre habitante de Villejean. Ils sont rentrés à la maison effrayés en me disant : « Maman, on a vu un homme qui voulait tuer quelqu’un » ».

« Je n’ai pas les mots pour leur parler de ce sujet-là »

Cette même famille était également présente non loin de la dalle, le 3 mai. « On a vu la police et les pompiers arriver, des gens courir et ils ont entendu qu’il y avait une fusillade. Ma fille m’a alors dit : « Je ne me sens pas en sécurité, on rentre ». Au début, ils ne parlaient que de ça, même dans leurs dessins. Mon fils de 5 ans dessinait des camions de pompiers tout le temps, alors qu’il n’en faisait jamais avant. »

« Mes filles aussi ont peur », ajoute Lady, résidente à Villejean. Pour elle, cette fusillade a été celle de trop. Son seul but aujourd’hui : quitter Rennes. « Je n’ai pas les mots pour leur parler de ce sujet-là, on n’a pas forcément les outils en tant que parent. » Laura, elle, a choisi de ne rien dire à son fils de 5 ans : « Il n’est pas au courant, on évite de parler de ça à la maison. » Pourtant, lui aussi est impacté. Car depuis ces fusillades, il a interdiction de retourner sur la dalle. » Avant, il m’accompagnait quand j’avais des courses à faire au Carrefour de la dalle Kennedy, mais c’est terminé. Il ne comprenait pas, je lui ai dit : « Tu restes avec papa, parce que là-bas, il y a des méchants. » »

Je dis à mon fils de ne plus s’habiller tout en noir pour ne pas être confondu avec un dealer

Pour les plus grands, dont le quotidien est d’aller étudier au collège Rosa-Parks, les parents se montrent aussi plus attentifs… aux tenues vestimentaires de leurs enfants. « Moi, je dis à mon fils de ne plus s’habiller tout en noir pour ne pas être confondu avec un dealer », affirme cette maman. Qui lui déconseille aussi « de ne pas cacher son visage sous une capuche, surtout sur la dalle. C’est surtout par rapport aux policiers, j’ai peur qu’il se fasse contrôler. C’est parfois traumatisant pour eux aussi quand on fouille leur sac, la palpation et la façon dont ils s’adressent à nos enfants ».

« On sent que c’est devenu banal »

Reste une peur. En plus de celle des balles et des violences. Celle de la banalisation. « Mon fils de 24 ans m’a dit qu’on était dans GTA (un jeu vidéo). Il en a rigolé un petit peu. Mon autre fils de 15 ans, il a des copains qui dealent à Cleunay. Il n’est pas surpris de ce qui arrive, pointe Michelle. Pour lui, à partir du moment où il y a du deal, il y a des fusillades ». Cette autre habitante constate, elle, que ses enfants « n’en parlent même plus, on sent que c’est devenu banal. Ils ont déjà été confrontés à ça à plusieurs reprises. À 5 ans, ils sont conscients que c’est un évènement possible et ils vivent avec. À un moment, on en viendra à dire : « Oh bah ça a encore tiré. C’est comme ça ». C’est ça qui m’inquiète. »