De plus en plus loin dans l’horreur. Après la mort d’une Américaine enceinte de 28 ans, dans l’Etat de Géorgie, en raison de la bataille politique et légale menée contre le droit à l’avortement, une autre femme, vivant dans le même Etat, est maintenue artificiellement en vie depuis trois mois, enceinte, pour permettre au fœtus de grandir et d’être accouché. Une décision de l’hôpital en vertu de la loi dite des «battements de cœur» de Géorgie, qui interdit l’avortement dès qu’une activité cardiaque est détectée chez le fœtus. Ce vendredi 16 mai, sa famille médiatise l’affaire auprès des médias américains, dénonçant le fait qu’elle n’ait pas eu son mot à dire.
Agée de 30 ans, Adriana Smith était une infirmière, et mère d’un petit garçon de 5 ans lorsqu’en février, elle a été déclarée en état de mort cérébrale. Elle souffrait depuis quelques jours de violents maux de tête lorsqu’elle a été admise à l’hôpital universitaire Emory, à Atlanta, où lui ont été diagnostiqués des caillots sanguins dans le cerveau puis son décès, annoncé. Alors enceinte depuis quelques semaines, les médecins refusent de débrancher les appareils la maintenant en vie, selon la loi de l’Etat interdisant la pratique de l’IVG dès six semaines de grossesse.
Cette loi ultra-restrictive, adoptée en 2019, n’est entrée en vigueur qu’après l’annulation catastrophique de l’arrêt Roe v. Wade, qui garantissait le droit à l’avortement aux Etats-Unis, permettant à chaque Etat de faire comme bon lui semble. Depuis, douze Etats interdisent l’avortement à tous les stades de la grossesse, et trois autres appliquent des conditions similaires à celles de la Géorgie (soit une entrée en vigueur après environ six semaines). Une exception est tout de même prévue dans l’Etat du Sud-Est si l’avortement est nécessaire au maintien de la vie d’une femme.
Aujourd’hui, Adriana Smith est enceinte de 21 semaines, et le retrait de ses tubes respiratoires entraînerait probablement la mort du fœtus. Sa famille, y compris son fils de 5 ans, lui rendent toujours visite à l’hôpital. Sa mère, April Newkirk, a affirmé à une chaîne télévisée d’Atlanta que les médecins étaient inquiets pour la santé de l’enfant à naître, car il avait développé du liquide dans le cerveau. «Il pourrait être aveugle, incapable de marcher, et ne pas survivre à sa naissance», a-t-elle déploré.
L’hôpital, de son côté, s’est contenté de publier un communiqué indiquant que leurs décisions s’appuyaient «sur le consensus des experts cliniques, la littérature médicale et les conseils juridiques, […] conformément aux lois géorgiennes sur l’avortement et à toutes les autres lois applicables». Et d’ajouter, sans gêne : «La sécurité et le bien-être des patients restent notre priorité absolue.» Le sénateur de l’Etat de Géorgie, Ed Setzler, un républicain qui a fortement soutenu la loi des «battements de cœur», est venu à la rescousse de l’établissement hospitalier : «Il est tout à fait approprié que l’hôpital fasse tout ce qu’il peut pour sauver la vie de l’enfant. […] Je trouve cette situation inhabituelle, mais elle souligne la valeur de la vie humaine innocente. Je pense que l’hôpital agit de manière appropriée.»
Outre l’aspect moral et éthique plus que douteux, les experts ne sont pas certains que la loi géorgienne s’applique réellement dans le cas d’Adriana Smith. Interrogé par Associated Press, Thaddeus Pope, bioéthicien et avocat dans le Minnesota, a déclaré que si quelques Etats ont des lois qui interdisent spécifiquement de débrancher une femme enceinte en état de mort cérébrale, la Géorgie n’en fait pas partie. «L’arrêt de la ventilation mécanique ou de tout autre dispositif d’assistance ne constituerait pas un avortement», a-t-il souligné. «La poursuite du traitement n’est pas légalement requise.» Lois Shepherd, bioéthicienne et professeure de droit à l’université de Virginie, ne pense pas non plus que le maintien des fonctions vitales soit légalement requis dans ce cas.
Ce n’est pas la première fois qu’une femme en état de mort cérébrale est maintenue en vie parce qu’enceinte. Au Texas, en 2014, Marlise Munoz avait été maintenue sous assistance respiratoire pendant environ deux mois, contre la volonté de sa famille, avant qu’un juge ne statue finalement que l’hôpital avait mal appliqué la loi de l’Etat. Elle avait été débranchée. Si l’hôpital géorgien persiste, Adriana Smith devrait encore être gardée en vie trois mois supplémentaires avant d’arriver au terme de sa grossesse. Un glissement dangereux vers une société où l’on accorde davantage de droits au fœtus qu’aux femmes – même mortes.