Suite aux élections fédérales allemandes du 23 février 2025 qui ont certes assuré la victoire des conservateurs de la CDU/CSU, mais surtout la percée historique sans précédent depuis 1945 du parti d’extrême droite, l’Alternative für Deutschland (AfD) qui a obtenu 20,8 % des suffrages, et suite à l’installation du nouveau Bundestag le 25 mars dernier où l’AfD occupe 158 sièges, ce parti devient ainsi la principale force d’opposition allemande. Il semble donc urgent de se demander si ce vote s’avère conjoncturel, s’apparentant à une réaction contre la politique du gouvernement d’Angela Merkel (2005-2021) et d’Olaf Scholz (2021-2025), reflétant surtout des préoccupations économiques et sociales, ou si ce vote se révèle davantage structurel, culturel ou identitaire, puisant sa source dans le passé national-socialiste qui demeure un fantôme encore présent dans l’Allemagne contemporaine. Ceci malgré la dénazification opérée tant en RFA qu’en RDA.

En Allemagne de l’Ouest, malgré la politique de dénazification initiée par le chancelier Adenauer dès 1949, qui fut essentiellement juridique, les Allemands de l’Ouest étaient loin de condamner unanimement le nazisme, comme l’expose le musée de l’Histoire de l’Allemagne de l’Ouest après Hitler (Haus der Geschichte der BRD) à Bonn. Plusieurs chiffres éclairants, et même effarants, accréditent la thèse selon laquelle le nazisme n’a pas été un accident de l’histoire allemande, mais un substrat qui s’inscrit dans l’histoire du nationalisme allemand apparu au XIXème siècle avec Bismarck. En effet, au début des années 1950, 40 % des Allemands de l’Ouest pensaient qu’Hitler avait accompli de bonnes choses ; 28 % seulement estimaient qu’il était un politicien sans scrupule et responsable de nombreuses horreurs ; 22 % considéraient qu’il était un grand chef d’État et que sa véritable gloire sera reconnue de manière posthume ; 70 % estimaient seulement que les dignitaires nazis condamnés au Procès de Nürenberg étaient tous coupables. Tandis que 25 % déclaraient qu’ils feraient tout pour empêcher un parti tel le NSDAP d’arriver au pouvoir, 29 % en revanche affirmaient qu’ils ne feraient rien pour empêcher un tel parti d’accéder au pouvoir ; en 1956, seuls 18 % s’avouaient favorables à honorer la Résistance allemande antinazie à l’occasion de l’attentat contre Hitler du 20 juillet 1944 ; en 1958, 54 % étaient opposés à la construction d’un Mémorial de l’Holocauste en Allemagne ; en 1960, 30 % estimaient que les tags antisémites d’après guerre étaient le fait d’adolescents fauteurs de troubles et 40 % qu’ils étaient le fait de communistes de l’Allemagne de l’Est ; en 1979, 48 % des 16-30 ans et 31 % des plus de 60 ans affichaient leur hostilité à poursuivre les criminels nazis ou les condamner à l’issue de procès ; en 1975, 35 % pensaient que le Troisième Reich, hormis la persécution des Juifs et la seconde guerre mondiale, n’était pas si mauvais ; enfin en 2001, 37 % des 16-30 ans et 68 % des plus de 60 ans considéraient que les soldats allemands de la Wehrmacht n’étaient pas tous des criminels.

De même, malgré la dénazification opérée en RDA dès le début des années 1950 jusqu’en 1989, et qui fut surtout politique (célébration des victimes du nazisme, héroïsation de la résistance communiste et antifasciste, culte des martyrs antifascistes, politique mémorielle commémorative), les Allemands de l’Est, dans leur immense majorité, n’ont pas fait d’examen approfondi des idées et comportements rendus possibles par le nazisme et ont été moins confrontés qu’en RFA à la question de la responsabilité individuelle à l’égard du nazisme. En outre, il s’est imposé en RDA, d’après l’historien est-allemand Olfa Groehler, l’idée selon laquelle, « les Allemands nés entre l’Elbe et l’Oder étaient indemnes du fardeau de la guerre et du nazisme et appartenaient exclusivement à la catégorie des victimes, des opposants et des vainqueurs de l’histoire ». Cette dénazification, juridique et politique, que je qualifierai de « formelle », tant à l’Ouest qu’à l’Est, n’a pas été une dénazification « réelle » des Allemands et explique en partie pourquoi les nouvelles générations allemandes, qui vivent dans l’Allemagne réunifiée, aient accordé de façon significative leurs suffrages à l’extrême droite actuelle, qui n’hésite pas à se réclamer du nazisme, ou au contraire à s’en démarquer, en faisant croire à cette supercherie que les nazis, et Hitler en tête, étaient communistes.

Ainsi, les médias français dominants, qui ont minimisé le « péril brun », en privilégiant la victoire politique du nouveau chancelier Friedrich Merz (CDU) et la formation d’un gouvernement de coalition CDU-SPD, devraient être attentifs à la montée de l’AFD, qui a doublé son score par rapport aux élections de 2021 (10,4 %) pouvant obtenir un score encore plus élevé aux prochaines élections de 2029. Enfin, la gauche française, trop rivée sur ses problèmes internes, devrait davantage observer ce qui se passe Outre Rhin et s’interroger sur la manière efficace de lutter contre l’extrême droite, afin de réduire sa dynamique qui parait inexorable. Ce n’est pas seulement la stratégie politique, même si elle est nécessaire, ce n’est pas seulement l’union de la Gauche, même si elle est indispensable, qui vaincra l’extrême droite, c’est remettre à l’honneur les classes populaires, qu’on appelait jadis les classes laborieuses, être attentif aux déshérités, aux invisibles, aux sans voix et aux sans droits, et défendre leurs intérêts matériels et symboliques. La lutte contre « le fascisme culturel » doit être à nouveau à l’ordre du jour car le nationalisme reste un danger. Contrairement au patriotisme, ce dernier n’est pas l’amour du sol natal, mais recèle davantage de la haine de l’autre et de son voisin.

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