« En voyant ça, je me suis demandé comment j’allais leur en parler. Plutôt comment j’allais gérer le fait qu’ils m’en parlent, raconte une enseignante en école primaire à Villejean, qui a préféré garder l’anonymat. C’est quand même un thème d’adultes, mais qu’ils vivent au quotidien. » Dans sa classe, le sujet n’est pas venu naturellement. « Dans d’autres classes, mes collègues m’ont dit que les enfants en avaient parlé. »

« Dans l’Éducation nationale, il n’y a quasiment plus de psychologue »

Finalement, dans cette classe, le sujet est venu quelques jours plus tard. « Je leur en ai parlé au détour d’une conversation et là, c’est comme si ça avait ouvert la porte. » « La peur qu’ils ont ressenti lors de la fusillade », « leurs analyses sur le pourquoi des fusillades, causées par les Marseillais selon eux car ils l’ont entendu à la maison »… La parole s’est libérée. Et, selon cette enseignante, rapidement refermée.

Au collège Rosa-Parks, les professeurs aussi, se sont posé des questions. « On a abordé ce sujet pendant le cours, raconte une professeure. Ils me disaient que ça craignait, que c’était flippant. Ça a duré quelques minutes et très vite, ça s’est essoufflé. Je les ai trouvés assez fatalistes, mais au collège, on voit aussi l’effet de groupe. Parler de ses peurs n’est pas naturel ».

Selon une source bien insérée dans le milieu éducatif, « le gros souci au sein de l’Éducation nationale, c’est qu’il n’y a quasiment plus de psychologue. Les enseignants ne sont pas accompagnés sur la manière d’accueillir la parole de l’enfant ». « On peut faire d’énormes bourdes et, du coup, on a tendance à passer sous silence », pointe une prof de Rosa-Parks. « On marche sur des œufs », ajoute un de ses collègues.

« Certains élèves sont perturbés et l’expriment en étant agités »

Pourtant, à écouter ce même professeur, l’impact est réel chez les élèves, notamment les plus fragiles. « L’un de mes élèves est triste de voir les CRS dans les rues et a peur quand ils ne sont pas là. Sa façon de réagir, c’est de faire n’importe quoi. Certains élèves sont perturbés et l’expriment à leur manière en étant agités. » Selon une source proche de ces dossiers, « les enfants l’expriment aussi dans leurs jeux dans la cour. Avant, ils jouaient au gendarme et au voleur, là, ils jouent au « chouf » ».

Outre la gestion de la parole des élèves, c’est la vie scolaire qui est directement impactée par les violences liées au narcotrafic. À Maurepas, théâtre d’une guerre de territoire lors du dernier trimestre 2024, l’école Trégain a été confinée deux fois. La première fin septembre 2024 lorsque, après une fusillade, des trafiquants armés ont été aperçus traversant le passage public qui sépare la maternelle du primaire. Puis une seconde, début octobre, lors d’une rixe au niveau du passage du Chanoine-Baudry, menant à l’établissement.

Depuis la première fusillade, je ne suis pas retournée à la bibliothèque avec mes élèves

À Cleunay, la grille autour de la cour de l’école maternelle et élémentaire Champion-de-Cicé a été recouverte de brise-vue noir en 2021 pour cacher le deal qui s’opérait aux abords de l’école. Une mesure pas forcément bien accueillie par les parents. Dont Angélique, qui déclarait alors : « Cette bâche ne sert à rien à part à cacher les enfants. J’ai presque l’impression qu’ils sont en prison. »

À Villejean, pas de confinement, ni de bâche occultante. Mais la sensation d’insécurité au moment de sortir de l’enceinte de l’établissement est bien là. « Depuis la première fusillade, je ne suis pas retournée à la bibliothèque avec mes élèves, pointe cette enseignante en élémentaire. C’est à la fois très anecdotique et très lourd de sens ».

Les enseignants en attente « de consignes claires de notre hiérarchie »

Un autre regrette l’absence de « consignes claires de notre hiérarchie. C’est difficile pour nous de prendre une décision. Lors d’une sortie, c’est notre responsabilité qui est engagée. Si on sort dans le quartier, mais qu’il y a une fusillade, on fait quoi ? » « On a besoin de savoir qu’on sera aussi protégé au niveau de notre responsabilité si jamais il se passe quelque chose », pointe une professeure de Rosa-Parks qui a arrêté de passer par la dalle lors de ses sorties avec ses élèves.

Problème, selon plusieurs enseignants interrogés : aucune consigne n’a été donnée par leur hiérarchie. Selon nos informations, un représentant du rectorat s’est déplacé dans les écoles de Villejean après les fusillades. Contacté, le rectorat de l’académie de Rennes indique que « les équipes sont accompagnées par la Direction académique. Une réunion d’organisation s’est tenue à la Direction des services départementaux d’Ille-et-Vilaine sur les mesures de sécurisation mises en place par les services de l’État. » Sans préciser quelles mesures ont été prises.

Un contexte lourd qui pèse aussi sur le moral des enseignants. « On sent une différence entre ceux qui arrivent et ceux qui connaissent le quartier, observe un prof. Après la première fusillade, une contractuelle n’a pas voulu renouveler son contrat. On voit bien que la réputation du quartier est de pire en pire. Et par effet domino, c’est notre école qui en subit les conséquences. Pourtant, on l’aime notre collège et on veut y rester. Dans notre quartier aussi. »