« La pivoine, sanguine en son premier mois, pousse d’un tel jet que ses hampes, ses feuilles à peine dépliées traversent, emportent et suspendent dans l’air leur suprême croûte de terre comme un toit crevé. » L’écrivaine Colette parlait ainsi de cette fleur, dans son ouvrage autobiographique, La Maison Claudine, publié en 1922. Soit quatre ans, seulement, avant l’instauration de la fête des Mères, en France, en 1926.

Un peu moins de cent ans plus tard, au Marché d’intérêt national (Min) de Rezé, au sud de Nantes (Loire-Atlantique), David Cabin n’a pas trop la tête à la littérature. Ce grossiste en fleurs est plutôt plongé dans les chiffres. « Pour la fête des Mères, je vais vendre un demi-million de tiges en une semaine, donc, oui, c’est la course ! », rigole-t-il. Dans son vaste espace de vente du marché au gros nantais, où les températures incitent à enfiler une grosse veste, on s’étonne de l’aspect vide des lieux. « On a fait de la place, le gros des livraisons est attendu pour la fin de semaine prochaine. »

Une production française encore insuffisante

Cette année encore, la fleur star des bouquets sera la pivoine chère à Colette. « C’est la fleur de saison par excellence, précise Hélène Poret, gérante de Fleurametz, le grossiste voisin concurrent. La tendance s’est renforcée ces dernières années avec la vedette, la variété Sarah Bernhardt. » Dans sa boutique, 100 % des pivoines vendues aux fleuristes viendront cette année de France, principalement de Sarthe, Vendée et du Var. « Cela représente 40 000 tiges. La demande pour des fleurs de provenance française est croissante. »

photo la grossiste en fleurs coupées hélène poret a acheté 100 de ses pivoines en france pour la fête des mères.  ©  ouest-france

La grossiste en fleurs coupées Hélène Poret a acheté 100 de ses pivoines en France pour la fête des Mères. Ouest-France

Le phénomène n’a pas échappé à David Cabin. Et d’ailleurs, il l’assure : il rêverait d’une provenance 100 % hexagonale. « Mais là, je recherche encore 250 000 pivoines pour la semaine prochaine. Ce n’est pas en Bretagne ou en Limousin que je vais les trouver ! » Il aura donc recours à la plaque tournante mondiale de la fleur : les Pays-Bas. « De manière générale, seulement 2 % des fleurs que nous vendons sont françaises, reconnaît-il. Les autres arrivent d’Équateur, d’Ouganda, de Tanzanie, d’Israël… Tout simplement parce que la production française n’est pas suffisante. Localement, on voit des fermes florales émerger, mais elles font travailler une ou deux personnes, cela ne suffit pas à nourrir les grossistes. »

De plus en plus de fermes florales

Aujourd’hui, 85 % des fleurs vendues arrivent en France de l’étranger, principalement par avion. Mais les choses évoluent. En témoigne, depuis quelques mois, la présence de deux productrices de fleurs locales sur le « carreau » du Min, emplacement réservé aux fournisseurs locaux. Parmi elles, Cécile Bonnot, à la tête d’une ferme florale à Montbert, dans le vignoble nantais. « Cela faisait quinze ans qu’il n’y avait plus de producteurs locaux de fleurs au Min, retrace-t-elle. Je propose de la fleur locale et bio. Cela répond à une demande de toute une partie de la population qui a arrêté d’acheter des fleurs en raison des pesticides et du coût environnemental. Il y a un vrai engouement pour ce secteur, comme en témoignent les nombreuses créations de fermes florales, ces dernières années. »

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Chez Peigné fleurs, en attendant une provenance 100 % française, David Cabin met en avant la sélection des fournisseurs étrangers. « Pour nos fleurs d’importation, nous faisons le choix du commerce équitable “Fair Trade Max Havelaar”. Cela permet de répondre à des exigences économiques, sociales et écologiques. »

Et le coût dans tout ça ? « La tension du marché au moment de la fête des Mères fait que les clients devraient payer la pivoine entre 50 % et 60 % plus cher qu’en temps normal », estime David Cabin. Mais, dit-on, quand on aime, on ne compte pas… Tout comme les grossistes ne compteront pas leurs heures, le week-end prochain. Ils seront sur le pont entre 1 h du matin et 16 h, samedi. Avant de rouvrir à 6 h, dimanche.