Publié le
18 mai 2025 à 6h16
Mars 2021, Twitter. Sous le pseudonyme « Paname Propre », un internaute crée un hashtag qui va durablement marquer le second mandat (2020 – 2025) de la maire de Paris (PS), Anne Hidalgo : #Saccage Paris. Un mot-dièse censé incarner le garde-fou contre le manque d’entretien et les décisions politiques « néfastes à l’embellissement ou à la préservation du patrimoine » de la capitale.
À peine un mois plus tard, en avril, celui-ci s’étonne dans un post « liké » plus de 3000 fois de l’ampleur prise par ce « mouvement citoyen numérique », désormais brandi par une avalanche de tweets. Il assure alors que ce dernier ne fédère que des « habitants ordinaires ». La réalité est moins limpide. Éléments d’explication avec les acteurs en première ligne du phénomène.
Une force de frappe nouvelle pour les administrés…
Identifiable en quelques clics, la personne derrière le compte @JCQDSE sur X (17 500 abonnés) fait partie des fondateurs du site officiel du mouvement. Sa légende ? « Piéton à Paris ». Autrefois « très impliqué » dans la vie de son quartier du nord de la capitale via des canaux classiques – à savoir les réunions publiques ou l’envoi de mails aux élus –, il bénéficiera à partir de la naissance du hashtag d’une force de frappe nouvelle.
« Il y a un effet de loupe médiatique. Une poubelle signalée est remplacée dans le quart d’heure, quand une relation suivie avec des élus pouvait s’éterniser et n’aboutir à rien de concret. On se sent tout-puissant », s’enorgueillira-t-il auprès d’actu Paris lors d’un entretien téléphonique.
Autre compte très suivi, encore actif régulièrement et dirigé par une personne se présentant sous le pseudonyme de « Quentin Divernois » sur les réseaux sociaux, @QsB75 sur X (17 000 abonnés) abonde : « C’est grâce à l’horizontalité offerte par les réseaux, ce qui tranche avec le monde politique d’avant. » Et d’ajouter : « La genèse du mouvement, ce sont des gens qui se rendent compte qu’ils ne sont pas seuls face à des thématiques du quotidien. »
Donnant naissance à des « lanceurs d’alerte »
Des « individus lambdas », de « 30 à 70 ans », vivant aux quatre coins de la capitale, issus de divers bords politiques et uniquement animés par l’envie de « réparer des choses » ou de « préserver le patrimoine » : voilà pour la face louable du mouvement. « C’est sain d’avoir cette énergie et cette expertise de citoyens. Il m’est arrivé de m’en inspirer pour porter des projets au Conseil de Paris », nous confiera le député et candidat à la Mairie de Paris, Pierre-Yves Bournazel (Horizons).
Certains, à l’image de Baptiste Gianeselli – qui a rendu publique son identité -, sont même considérés comme des lanceurs d’alerte, parce qu’ils sont à l’origine de bon nombre d’articles de presse ou de propositions d’élus en Conseil de Paris.
À force de suivre l’actualité locale, une poignée d’entre eux auraient autant « de connaissances qu’un adjoint d’arrondissement », du point de vue de @JCQDSE.
Celui-ci ajoute qu’au départ de Saccage Paris, quelques-uns obtenaient des « informations grâce à des fonctionnaires de la Ville ». Des fuites qui auraient cependant rapidement cessé : « Il y a dû avoir un serrage de vis en interne », présume @JCQDSE.
Certains assurent avoir été intimidés par des représentants de la Ville
Ce dernier, mais aussi @QsB75 et le twittos derrière le pseudonyme « Enzo Morel » sur X (24 300 abonnés) vont plus loin, en évoquant une forme d’intimidation de la part de membres de la majorité.
« On nous a fait comprendre qu’on savait qui on était et où on travaillait », assurent les trois comptes influents. L’un d’eux imagine qu’une « enquête interne aurait été menée à cet effet ».
Des accusations que l’ancien premier adjoint d’Anne Hidalgo (2018 – 2024), aujourd’hui député et également candidat à la Mairie de Paris, Emmanuel Grégoire (PS), nie en bloc auprès d’actu Paris : « Jamais il n’y a eu de recherches ou d’instruction pour les identifier. »
Contactée par différents biais, la Ville, elle, préfère ne pas faire de communication officielle sur le sujet.
Un mouvement, « différentes zones d’influences »
Probablement parce que derrière le « cri de ralliement » Saccage Paris se cache une pluralité de profils d’individus, plus ou moins bien intentionnés et plus ou moins transparents.
Ce qu’explique Emmanuel Grégoire, particulièrement exposé lors qu’il était en fonction à la Ville de Paris.
C’est un mouvement avec différentes zones d’influences. Il y a effectivement un noyau dur, que j’ai fini par rencontrer dans la sphère des associations locales. Il y a une veille sur ça, parce que ce sont des informations d’administrés qui sont utiles. Mais il y a aussi une sphère politisée, avec des trolls [des comptes qui cherchent uniquement la polémique] et des méthodes ultraharcelantes.
Emmanuel Grégoire
Premier adjoint à la maire de Paris entre 2018 et 2024
En filigrane se dessinent les failles désormais bien connues d’un réseau comme X. « C’était beaucoup de temps perdu à debunker des erreurs ou des mensonges montés en épingle., se remémore Emmanuel Grégoire. Il y a aussi une manière parfois insultante d’être interpellé… J’ai dû bloquer de nombreux comptes. »
« D’autre part, cela manque peut-être un peu d’indulgence vis-à-vis du travail de la Ville (…) On s’est également rendu compte, lors de rassemblement en physique, que cela concernait en réalité très peu de monde », ajoute Emmanuel Grégoire.
Instrumentalisés par les uns, enfermés dans une case par d’autres
Par ailleurs, les tweets de Saccage Paris ont aussi souvent été instrumentalisés par l’opposition. @JCQDSE s’agace : « Il arrive que le groupe Changer Paris pompe mes tweets… Alors qu’on ne vise personne et tout le monde à la fois. Même si c’est forcément plus virulent à l’endroit de ceux qui sont au pouvoir. »
De quoi apporter de l’eau moulin de ceux qui, comme la Ville, évoquaient une « campagne de dénigrement » au lancement du mouvement et l’ont enfermé dans une case politique, en taxant ses membres, notamment, « d’obsédés de la fachosphère ».
La sémantique a, selon Emmanuel Grégoire, également joué un rôle. « Saccager Paris », dit-il à voix haute. Avant de commenter : « C’est fort. »
@JCQDSE préfère, lui, garder les bonnes choses amenées par le mouvement qui, s’il reste suivi, a largement perdu en intensité : « C’est quand même incroyable d’arriver à faire réagir un millier de gens sur ce qui est, parfois, juste une histoire de poubelle de rue. »
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