Jamais par le passé, des chefs d’État allemand et israélien n’avaient enchaîné de visites dans leur pays respectif. C’est ce que réalisent depuis lundi Frank-Walter Steinmeier et son homologue Isaak Herzog. Reçu en grande pompe lundi 12 mai à Berlin, le président israélien accueille son collègue allemand, dans la foulée ce mardi, et pour deux jours, en Israël cette fois. Trois jours ensemble pour célébrer les soixante ans des relations diplomatiques entre leurs deux pays marqués par la tragédie de la Shoah et ses six millions de victimes juives. « Pour nous, Allemands, c’était un cadeau auquel nous ne pouvions pas nous attendre après les ravages de la Seconde Guerre mondiale et la rupture civilisationnelle de la Shoah » a rappelé lundi le chef d’État allemand. Depuis 2008, l’Allemagne a même fait de la sécurité d’Israël « une raison d’État ».

Au-delà de ces propos officiels, difficile de ne pas ressentir un malaise de fond. Solidaire du gouvernement israélien dans sa lutte contre le terrorisme du Hamas depuis les attaques terroristes du 7 octobre, l’Allemagne « ne peut rester indifférente face aux souffrances croissantes des civils » à Gaza, a rappelé Frank-Walter Steinmeier, en appelant Israël à « laisser entrer l’aide humanitaire », « pas n’importe quand, maintenant ».

Berlin « dépassé par la situation »

Depuis le 7-Octobre, l’Allemagne tente un jeu d’équilibrisme compliqué, entre un soutien actif à Israël – notamment militaire – et un appel à la retenue envers le gouvernement de Benyamin Netanyahou. « Plus qu’un dilemme, l’Allemagne est dépassée par la situation, commente Peter Linld, de la Fondation SWP de Berlin. Elle a tiré deux leçons de la Shoah : une leçon universelle sur la protection des droits de l’homme et des minorités, et une leçon particulière, vis-à-vis d’Israël et de la population juive. Or, depuis le 7-Octobre, elle ne peut plus se positionner pour l’un sans endommager l’autre de ces principes. Il y a dissonance entre les deux piliers de sa politique. »

C’est dans ce contexte très compliqué que Friedrich Merz a pris les rênes de l’Allemagne la semaine dernière. En février dernier, en pleine campagne électorale et pas encore chancelier, le chef des chrétiens-démocrates, aux positions très pro-israélienne, avait suscité la polémique en voulant « trouver un moyen » de recevoir Benyamin Netanyahou, en Allemagne, malgré le mandat d’arrêt international lancé contre lui par la Cour internationale de Justice, pour crimes de guerre. « L’Allemagne a signé le traité de Rome, fondateur de la CPI. Si elle refusait de faire arrêter Netanyahou sur son sol, elle entrerait dans le groupe de pays qui ne respecte plus le droit international, et agirait comme les régimes autoritaires » commente la politologue Julia Reuschenbach.

Des déclarations changeantes

Conscient de son faux pas, le nouveau chancelier n’a pas réitéré ce souhait depuis, et une telle invitation paraît très improbable. Friedrich Merz se montre au contraire plus critique que par le passé, et se dit « préoccupé au plus haut point » par la situation en Israël et à Gaza. Une opinion relayée du bout des lèvres par son ministre des affaires étrangères, Johann Wadephul, le week-end dernier à Tel-Aviv. « Je ne suis pas sûr que l’action militaire, qui s’est intensifiée depuis mars, serve à long terme la sécurité d’Israël » a-t-il osé, sans convaincre le politologue Peter Lintl. « L’Allemagne a perdu sa crédibilité avec ces déclarations changeantes, estime ce dernier. Elle n’a aucune influence sur Israël. »