Par

Emilie Salabelle

Publié le

18 mai 2025 à 6h44

Au milieu des bateaux-mouches, une curieuse embarcation a jeté l’ancre aux pieds de la tour Eiffel. Tout droit venue de Saint-Malo, La Korrigane fait scintiller sa coque d’aluminium non loin de l’acier bruni de la dame de fer. À son aspect de vieux rafiot cabossé, on le croirait rompu aux vents et au sel marin depuis des années. Il n’en est rien. Ce petit vaisseau du Muséum d’Histoire naturelle est sorti il y a peu de son chantier naval et a été inauguré le 8 novembre 2024. Son aspect brut fait partie de sa conception bas-carbone. Il concentre dans ses 15 m de long une bardée d’innovations dédiées à la recherche océanographique. Laboratoire intégré, outils de prélèvements, sonars dernière génération… Conçu pour faire de la science à bord, il réussit l’exploit d’embarquer 2 tonnes de batteries pour naviguer en partie à l’électrique. En cette année de la mer, et à quelques jours de la conférence des Nations unies sur l’Océan prévue à Nice, il a quitté les eaux côtières bretonnes, son terrain de jeu habituel, pour remonter la Seine, le temps d’un passage éclair sous les ponts de Paris. L’occasion fugace mais idéale de monter à bord.

De Saint-Malo à Paris, un périple houleux

Sous ses lunettes de soleil et les frisottis généreux de sa barbe, Sébastien Aubin, second de La Korrigane et chargé d’étude de la station marine du Muséum à Dinard, affiche un large sourire malgré les 6 jours de navigation chaotique à peine encaissés entre Saint-Malo et Paris. « Il fallait qu’on arrive à l’heure dite sur le quai, et la météo n’était pas toujours de notre côté. Avec les gros vents de nord/est dans la baie de Seine, on a eu une nuit compliquée », raconte-t-il.

Mais le bateau a su jouer de ses atouts. « Il glisse très bien sur l’eau, il a une bonne résilience. C’était son premier test en conditions compliquées », expose le marin chercheur. L’arrivée à Paris, elle, a été « royale », s’extasie le capitaine, Loïc Le Goff. « Il y a une super ambiance avec les bateliers. Ce sont deux métiers qui se croisent : eau douce, eau de mer. Ils manœuvrent super bien. En fait, on est tout marin, salue le breton. Et puis regardez-moi ce cadre ! », s’émerveille-t-il du haut de la timonerie, dont les baies vitrées offrent une vue plongeante sur le pont d’Iéna et la tour Eiffel.

Faire de la science à bord

Mais pourquoi cette expédition jusque dans les méandres franciliens ? Pas question de prélever d’eau de la Seine, ni d’en évaluer la baignabilité ! L’escale éclair (du 12 au 14 mai), à quelques jours la conférence des Nations unies sur l’Océan prévue à Nice, a une portée symbolique, appuie Gilles Bloch président du Muséum. « Ce bateau est une belle illustration du travail de recherche que l’on fait ». Au-delà de sa Galerie de l’évolution bien connue des Parisiens, l’institution travaille sur de multiples projets de recherches et mène toujours des expéditions dans le monde entier, pour découvrir de nouvelles espèces marines, mieux comprendre le fonctionnement des océans et l’impact de l’être humain sur les écosystèmes marins.

Sébastien Aubin, second et chargé d'étude sur La Korrigane.
Sébastien Aubin, second et chargé d’étude sur La Korrigane. (©ES / actu Paris)

La Korrigane – du nom d’une expédition d’exploration scientifique menée dans le Pacifique Sud entre 1934 et 1936 – a des missions plus régionales. Le navire de recherche a pour vocation de travailler à l’échelle du golfe normano-breton. « Tous les 15 jours, elle sort une journée pour faire des analyses physico-chimiques de l’eau. On a aussi beaucoup de missions ponctuelles, par exemple dans le parc éolien de Saint-Brieuc, pour comprendre leur impact potentiel sur la biodiversité. On fait des plongées scientifiques, des projets de recherche, des échosondages… » détaille Sébastien Aubin.

Des innovations précieuses pour les équipes

Outre sa propulsion hybride essentiellement électrique, le navire a changé la vie des scientifiques, témoigne Sébastien Aubin. « Avant, on travaillait sur un vieux chalutier de 38 ans, pas du tout adapté aux prélèvements scientifiques. Celui-ci a été construit et réfléchi pour ça. On a par exemple un portique oscillant qui passe de l’avant vers l’arrière, très pratique pour déplacer des prélèvements lourds. La benne nous permet de faire des prélèvements de fonds marins à 50 m de fond. On peut aussi prélever des poissons grâce à notre chalut. Et surtout, on a un labo intégré qui nous permet de faire les premières analyses en direct », illustre-t-il, détaillant les divers instruments étalés sur une paillasse de scientifique matelassée de tissus ignifugés – la cuisinière, faute de place, est dans la même pièce.

Le laboratoire de La Korrigane.
Le laboratoire de La Korrigane. (©ES / actu Paris)

Pour le reste, le confort est spartiate, mais suffisant. « Le bateau fait 5 m de plus que celui qu’on avait avant, il est beaucoup plus habitable. Mais surtout, il ne fait aucun bruit grâce à l’électrique. C’est hyper reposant de pouvoir partir à la journée et se parler sans avoir un casque sur les oreilles », sourit Loïc Le Goff. À peine arrivés, les marins vont déjà faire demi-tour. Une descente sur le fleuve sans contrainte horaire cette fois-ci, qui met déjà en joie le capitaine.

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