Par
Yann Rivallan
Publié le
18 mai 2025 à 12h36
Longue soirée au tribunal judiciaire de Rouen. Vendredi 16 mai 2025, un homme de 53 ans comparaissait pour des faits particulièrement graves : « mise à disposition d’un local privé à une personne s’y livrant à la prostitution et blanchiment habituel ».
En d’autres termes, Benoît*, propriétaire de 45 logements en location de courte durée sur Airbnb et Booking en Normandie, est suspecté d’avoir laissé prospérer un réseau de prostitution dans quatre de ses appartements du centre-ville de Rouen. Et surtout, d’avoir bénéficié de l’argent des locations pour s’enrichir personnellement. Récit de l’audience.
De nombreuses alertes pendant 3 ans
Les faits retenus par le tribunal sont compris entre mai 2022 et mai 2025. Sur ces trois années, de « nombreuses alertes » ont été données à Benoît quant à l’occupation de ses appartements par des prostituées.
Au cours de l’enquête, les policiers entendent plusieurs locataires et propriétaires de la résidence où se situent les quatre appartements. « Tous font état d’activités de proxénétisme avec des allées et venues récurrentes d’hommes dans les logements », rappelle le président du tribunal.
En plus des multiples plaintes d’habitants, le syndic de la copropriété où se trouvent les appartements adresse plusieurs courriers à Benoît pour l’alerter sur des suspicions de proxénétisme. Mais, comme le rappelle le procureur de la République, « l’activité a perduré ».
Il ne « pouvait pas ignorer »
Selon les habitants interrogés, Benoît ne « pouvait pas ignorer » les activités de ses locataires. Les prostituées présentes sur place faisaient « beaucoup de bruit ». Certains habitants disent avoir entendu « des actes sexuels » à plusieurs occasions, sans compter le passage intempestif de nombreux clients dans la cour de la résidence, des cris au beau milieu de la nuit ou encore des altercations.
Pourtant, Benoît nie en bloc. Il confirme avoir été alerté mais dit aussi n’avoir jamais eu « suffisamment de preuves » pour attester une quelconque activité de proxénétisme. Il prend aussi l’exemple « flagrant » d’autres logements à Montivilliers et dans la Manche où il avait eu la preuve que ses locataires se livraient à de la prostitution. Il avait alors alerté les autorités.
Mais la police m’a dit qu’elle ne pouvait rien faire.
Benoît
Prévenu dans une affaire de proxénétisme
Après des surveillances dans la résidence de Rouen, les enquêteurs ont auditionné plusieurs des prostituées. Si elles admettent toutes n’avoir jamais clairement révélé leur activité, certaines assurent que Benoît avait « dû se douter ».
De plus, l’une d’entre elles a avoué aux enquêteurs avoir été aidée par le propriétaire des logements pour désactiver la porte magnétique sécurisée à l’entrée de la résidence. Un moyen de faciliter l’entrée des clients.
« Ça commence à faire beaucoup »
Lors de leurs surveillances, les enquêteurs ont aussi interrogé nombre de clients. Tous ont décrit un même procédé : ils passaient par un site d’escort en ligne avant de se rendre dans la résidence du centre-ville de Rouen. Certains des clients entendus avaient l’habitude de se rendre ici.
« Vous comprenez qu’il y ait des suspicions ? lance le président au prévenu. Il y a eu des SMS, des courriers, des assemblées générales du syndic, des faits de violences vous ont été rapportés et vous avez même été auditionné par la gendarmerie en octobre 2023. Vous ne trouvez pas que ça commence à faire beaucoup ? »
À la barre, le gérant de parc locatif dit avoir fait face à des suspicions qui ne constituaient « pas une preuve ». « Un faisceau d’indices, c’est déjà une preuve », rétorque le président. Quoi qu’il en soit, les alertes n’étaient pas suffisantes aux yeux de Benoît et ce n’est qu’en février 2024 qu’il dit avoir pleinement pris conscience du phénomène.
Pour le président du tribunal, le propriétaire « aurait pu tout stopper bien plus tôt ». Par exemple, en arrêtant la location de courte durée ou en cessant les réservations automatiques sans validation sur Booking et Airbnb.
Une hausse des paiements en liquide
Derniers détails troublants dans cette affaire : Benoît a admis en garde à vue avoir été lui-même client de prostituées par le passé. C’est donc un milieu qu’il connaissait bien. De plus, il est en ce moment en pleine instance de séparation. Depuis la fin d’année 2024, il vit dans un des appartements incriminés. Pour un des locataires entendus par la police, « il a forcément vu des clients passer ». Ce que nie encore le propriétaire.
Concernant le blanchiment d’argent, les enquêteurs ont remarqué que les paiements en liquide pour les locations à Rouen avaient considérablement augmenté depuis 2023. Lors de perquisitions dans l’appartement où résidait Benoît, ils vont retrouver 3 250 euros en espèces dissimulés dans la hotte de la cuisine.
Grâce à sa société de conciergerie pour ses locations, le prévenu aurait pu absorber cet argent issu directement de la prostitution pour s’enrichir davantage.
Trois ans de prison dont deux avec sursis requis
Face à tous ces éléments et la gravité des faits, l’association AECP, qui lutte contre le proxénétisme, s’est constituée partie civile. Pour avoir été « un maillon » d’un système violent et hautement lucratif, l’avocate de l’association réclame 3 000 euros de dommages et intérêts au prévenu.
Dans la foulée, le procureur requiert trois ans de prison dont deux avec sursis, cinq ans d’interdiction d’exercer une activité en lien avec de la gestion immobilière, une amende de 30 000 euros ainsi qu’une saisie des quatre appartements et de 80 000 euros sur le compte bancaire de sa société de conciergerie.
En somme, le ministère public estime qu’il est « impossible » que Benoît n’ait pas compris plus tôt que ses logements servaient régulièrement à des activités de prostitution.
Sa femme demande une amende plus élevée
Sur le banc des parties civiles, la femme de Benoît est aussi présente. Pas pour réclamer des dommages et intérêts, mais parce qu’elle est copropriétaire d’une bonne partie des logements gérés par son mari.
L’enquête a démontré qu’elle avait découvert l’hébergement de prostituées lors de sa garde à vue avec son mari en février 2025. Il avait soigneusement tout caché à son épouse, qui lui faisait, dit-elle, « une confiance aveugle », pour gérer leurs biens.
Face à cette situation peu habituelle, l’avocate de l’épouse de Benoît demande d’annuler la saisie des appartements (dont elle est aussi propriétaire) et d’augmenter, à la place, considérablement la peine d’amende de son mari, dans le cas où il serait condamné.
« Qu’est-ce qu’il aurait pu faire ? »
Enfin, l’avocat de la défense plaide la relaxe de son client pour l’ensemble des faits. « Oui, il a su qu’il y avait eu du proxénétisme dans ses appartements. Mais il n’avait rien pour savoir quelles étaient les intentions de ses locataires en amont. »
Il pointe le non-sens que serait de vérifier chacune des réservations dans ses 45 logements en Normandie. D’après lui, Benoît enregistre environ « 4 000 rotations de locataires par an », dans ses logements en location de courte durée. Tout vérifier serait chronophage et une perte de temps puisqu’il apparaît aisé de dissimuler ses intentions en ligne.
Alors, qu’est-ce qu’il aurait pu faire ?
Jérôme Dereux
Avocat de la défense
Les quelques fois où son client a pu confirmer que des prostituées se trouvaient dans ses logements, « la police lui a dit qu’elle ne pouvait rien faire », poursuit-il. Dans ces cas avérés, Benoît aurait averti les plateformes en ligne « mais il ne sait pas si le nécessaire a été fait », pointe encore son avocat.
Comme la mise à disposition d’un local pour de la prostitution n’apparaît pas avérée, il demande de relaxer aussi son client pour un quelconque blanchiment d’argent.
Face à la complexité du dossier, le président annonce que le délibéré sera rendu le vendredi 23 mai.
*Le prénom a été modifié.
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